
Et ton rire un oiseau…
Le monde d’après
Est-ce qu’il neige à Montréal ?
La synfaunie des animaux
La tête en jachère
Tes yeux
C’est une idée
La femme et l’homme sont égales
J’attends la fin de la nuit
Célébration des oiseaux
Désolé
Il rêve encore
Faut bâtir une terre
Si ce n’était manque d’amour – Printemps 2020
Un album de Jofroi, c’est une fête des sens : non seulement on se délecte de son timbre qui ne faiblit pas au fil des ans, avec une manière de reverb’ venue d’on ne sait quel tréfonds et qui vous prend aux tripes, mais on sent le souffle d’Éole, on voit des brumes qui se dissipent, des yeux (pas ceux d’Elsa mais c’est tout comme) et l’on savoure les amandes qu’il a semées « dans son coin de pré ». Sans oublier que l’on boit ses paroles.
C’est aussi une formidable leçon de générosité universelle. Le message est clair dès la première chanson. Si les mises en garde, un peu technocratiques, du GIEC entrent par une oreille et ressortent par l’autre, on peut difficilement rester sourd (en principe) à celles du poète qui en appelle à la sensibilité et au bon sens de ses contemporains :
« Du glacier qui se noie à la source tarie
Tant de signes sont là, ce n’est qu’un raccourci
De ce qu’on laissera, à moins que, ou bien, si ? ».

Il s’agit de chansons du confinement. Celle-ci, comme indiqué en haut, s’appelle « Le monde d’après ». Que de fois n’a-t-on entendu et lu, avec ou sans pandémie, un vague message d’avenir et d’espoir relatif à notre bonne vieille planète, des propos qui ne mangent pas de pain ! Et quand on voit le résultat ! La procrastination n’est pourtant plus de mise :
« Que va-t-il se passer
Si on attend demain ? «.
Contraints par les perturbations du climat, de la politique ou des armes, des gens errent en quête de rivages plus doux. Que n’imitent-ils nos trente millions d’amis :
« Ils sont cent milliards
Cent milliards de migrants
Tous un peu différents »
« Célébration des oiseaux », d’après un texte de son ami québécois André Lavoie (j’y reviendrai).
On trouve une autre chanson sur la faune : « La synfaunie des animaux » où l’attaque est encore plus nette : en plein concert, un de nos congénères vient insinuer son couac :
« Mais voilà qu’un jour
À l’orée du bois
Le son d’une voix
Silence se fit
Apparaît un homme
Qui s’assied bonhomme
Sans qu’on se méfie
Et sans protocole
Il prend la parole
C’est du charabia ».
Eh oui, au beau milieu d’un festival où l’on « gazouille » et « zinzinnule » à l’envi, le bonhomme s’invite sans qu’on l’ait sonné. J’ai pensé à « Discours de fleurs », une posthume de Brassens mise en musique et interprétée par Éric Zimmermann (qui, curieusement, ne figure pas dans l’intégrale ! Mais ne nous éloignons pas de notre sujet).
Tous nos congénères ne sont pas, Dieu merci, destructeurs ou simplement négligents mais, pour sûr, il y en a trop qui continuent leurs petites ou grosses affaires comme si de rien n’était. Du moment qu’il y a eu les accords de Paris et autre Grenelle de l’environnement…
Même entre eux, il y aurait des choses à remettre d’aplomb, comme la question du genre dont on parle tant. Il ne s’agit en aucune façon de substituer un matriarcat au patriarcat (comme chez les abeilles) mais de considérer que le sexe ne change rien à l’affaire : « La femme et l’homme sont égales ». Tout est dans le titre.
Et puis un texte aborde un autre problème de notre quotidien : « Désolé ». Ce n’est pas une simple question de vocabulaire. Et Jofroi n’y va pas par quatre chemins : lorsque l’on vous dit « Désolé », vous avez le sentiment « Que l’on vous prend pour un con ». C’est vrai, les gens font mine de compatir tout en se déculpabilisant, c’est confortable mais tellement faux cul. « Désolé, mais faut bien qu’on vive ! », comme dirait le pollueur.
L’album a pour titre « et ton rire un oiseau…». Un vers emprunté à « La tête en jachère », un des textes les plus sensuels de l’album :
« Les eaux gorgent la terre
Et gonflent les ruisseaux
La vie est une plume
Et ton rire un oiseau ».
Ton rire : inutile de se demander à qui Jofroi s’adresse. On a la réponse dans « Tes yeux ».L’amour, voilà le maître mot, non seulement de cet album, mais de toute l’œuvre de notre poète. Celui que l’on voue, certes, à une femme, mais aussi à la nature, à nos semblables, à tout ce qui vit ou végète.
Voilà le moment venu d’évoquer ses amis québécois : le poète André Lavoie que je ne connaissais ni d’Eve ni d’Adam, un homme chenu à la barbe de père Noël, que je vous invite à découvrir. Quelqu’un chez qui l’on a diagnostiqué en même temps Parkinson et une Fibrose pulmonaire mais qui n’a rien perdu de sa sérénité. Et qui vous fait remarquer que dans « vieillir », il y a « vie ». Un type de ce calibre (ou de celui de Jofroi) serait fichu de faire aimer l’existence à n’importe quel Zemmour-Le Pen !
Outre la chanson déjà citée, « Célébration des oiseaux », qui est donc inspirée d’André Lavoie, l’album comporte une très belle lettre à cet ami poète qui s’intitule « Est-ce qu’il neige à Montréal? » :
« Pensée pour les feuilles de saule
Qui au moindre souffle de vent
Tremble au-dessus de ton épaule
Comme la main en soulevant
La plume sur la feuille blanche ».
Un autre artiste de la Belle Province a les honneurs (mais s’agit-il d’honneur ou plutôt de fraternité ?) de cet album : Raymond Lévesque (décédé le 15 février 2021), l’auteur de « Quand les hommes vivront d’amour », une œuvre écrite en 1956, au début de la guerre d’Algérie, et qui serait peut-être demeurée confidentielle si trois grands de la chanson, à savoir Félix Leclerc, Robert Charlebois (78 ans aux pommes) et Gilles Vigneault ne l’avaient interprétée un jour d’août 1974 dans les plaines d’Abraham, à l’occasion de la Superfrancofête à Québec, devant 120 000 spectateurs (c’est plus grand que le Trocadéro !), lui permettant de devenir un succès planétaire (mais qui, apparemment, n’est pas parvenue aux oreilles de nos irresponsables politiques).
Le texte qu’a inspiré ce « tube » à Jofroi s’intitule « C’est une idée » mais qu’on ne s’y trompe pas : il n’est léger qu’en apparence.

On ne pourrait passer sous silence le petit chef-d’œuvre intitulé « J’attends la fin de la nuit » : une chanson toute de délicatesse sur notre destination de créatures éphémères.
« Qu’en est-il de ce passage
Tant se sont évanouis
Ne laissant dans leur sillage
Qu’une étoile dans la nuit …
Sommes-nous vraiment certains
Qu’en petits tas de poussière
Se résument nos destins
A propos de la lumière
Le dernier qui passe éteint
Y aura-t-il quelqu’un derrière
Pour écrire le mot « fin » ?»
Et le CD s’achève en apothéose avec une version collective de « Si ce n’était manque d’amour », un titre qui remonte à ses débuts. J’ignore si des chorales ont adopté cette chanson mais je la trouve vraiment faite pour ça. Et quand vous l’aurez écoutée une fois, le refrain ne vous quittera plus :
« On s’rait bien mieux en ces beaux jours
Si ce n’était, si ce n’était
On s’rait bien mieux en ces beaux jours
Si ce n’était manque d’amour »
Avant des reprises dudit refrain, d’abord a cappella, puis avec instruments, par toute une troupe (ceux qui ont interprété ce titre avec lui à un moment ou à un autre : ils sont 56 !), ceux-ci lui lancent un chaleureux: « Merci, Jofroi ! ».
Et nous de faire, bien entendu, chorus avec eux !
Afin de vous procurer ce nouvel album :
http://www.jofroi.com/jofroi-disco.html
https://www.epmmusique.fr/fr/cd-chanson-française/2966-jofroi-et-ton-rire-un-oiseau.html