
Claudine, ce jour tu avais mission de m’installer dans ma nouvelle « résidence ». Mauvais rôle. Epouse de Christophe, tu as remplacé mon fils défaillant, si souvent loin pour affaires. Excusé.
Bises à papa. De Singapour De New-York. De Kuala-Lumpur. Temps maintenant de fermer sur toi la porte de ma chambre. Merci Claudine.
Je t’ai adressé avant que tu disparaisses un sourire mécanique qui n’engage pas. Le réflexe qui remonte les joues et agrandit la bouche. Le petit truc pour conclure sans émotion.
Laisse-moi évacuer tout frais ce que tu as dit, car ta dernière phrase, Claudine, au profond de ma gorge, m’étouffe encore.
Tu as dit : » Ici, vous serez comme à l’hôtel. Votre chambre. Votre salle d’eau. Petit déjeuner servi, ainsi que les autres repas. Comme à l’hôtel « .
Tu as dit : » Comme à l’hôtel « .
Où avais-tu les yeux Claudine lors de l’interminable traversée des couloirs en longeant les chaises alignées ? Toutes occupées d’étranges pensionnaires assis plus à gauche ou plus à droite suivant les douleurs du jour. Tu regardais sans doute droit devant pour ne pas dénombrer les têtes de travers, écrasées sous une somnolence endémique. Les pantoufles doublées, ourlées parfois de fourrure. Les bras croisés en attente de rien. Les regards vagues. Englués dans un monde sans heures, sans jours précis, sans mois nommés, sans saisons attendues. Où avais-tu les yeux?
Après ton départ, assis dans le fauteuil, j’ai fermé les yeux. Assommé je me suis endormi. Ailleurs dans ma tête.
Avec l’âge les détails minuscules enflent d’importance. Les petites choses font le quotidien.
Ma chambre, au rez-de-jardin, donne sur un bout de pelouse. Trois fois en quelques minutes j’ai repéré un merle qui traversait l’herbe rase en habitué des lieux.
Difficile d’imaginer le plaisir ressenti en observant ce merle plein d’entrain.
J’aurai tout le temps de le guetter souvent. Il est de la nature. Sous ses plumes, la liberté. Ancré désormais dans ce lieu, j’ai décidé illico d’en changer l’adresse.
Ce sera une de mes dernières facéties. Et tu viendras me voir, Claudine, à » L’Hôtel du Merle « .
Elégante météorite parmi d’autres rendez-vous. Ton rapide papotage trouvera mes oreilles disponibles.
Nouvelles récentes des derniers passages-éclair de ton mari. Je ne te parlerai jamais ni de l’espoir inusable de voir Christophe enfin, ni des traces de son affection lointaine pour moi.
Bises à papa.
De New-Delhi, de Londres, d’Istanbul