LA SCULPTURE -Elisa Ka

L’expression de plénitude émanant de ce visage de femme et l’abandon de tout son corps laissait entrevoir la jouissance du sculpteur qui avait utilisé son burin comme une arme dans une ultime emprise sur sa proie. Elle semblait s’être livrée à tous les caprices de ce créateur qui l’avait figée sur ce trône d’impudeur.
Le regard amoureux porté sur elle aux premiers jours n’avait pas tardé à se charger d’indifférence puis de mépris. Il s’était appliqué à démonter une à une toutes les pièces du puzzle qu’elle avait si soigneusement assemblées comme on érige un rempart contre ses vieux démons.
Mise à nue, transpercée jusqu’à l’âme par la lance affûtée de ce chevalier sans armure qui n’hésiterait pas à l’humilier pour mieux la trahir ensuite, elle ne retrouvait dans l’abîme de ce miroir aux alouettes qu’un reflet d’elle-même complètement déformé.
Il avait travesti sa fragile beauté d’un masque d’inconvenance par peur d’être poursuivi par son vrai visage et l’avait finalement ensevelie dans ce linceul d’abandon comme on se débarrasse d’un fardeau trop pesant ou d’une ombre trop envahissante.
Durant la longue errance qui le mena ensuite aux quatre coins du monde, il fut ébloui jusqu’à l’aveuglement par tous ces visages de femmes drapées de leurs désirs refoulés. À court de mots jolis et de mensonges, il s’enfonça peu à peu dans le silence, ne proférant plus un seul mot jusqu’à son dernier souffle.

Elle reprit soudain conscience en s’apercevant que la galerie où elle avait projeté sa dérive s’apprêtait à fermer.
Se dirigeant vers la sortie et juste avant de franchir le seuil, elle jeta un dernier regard à la femme sculptée qui lui avait raconté sa propre histoire.