
Chers lecteurs, la réforme des retraites proposée par le gouvernement est un sujet brûlant, sa complexité explique les détails apportés à mon humble article qui tente, à partir des arguments du gouvernement, de proposer d’autres alternatives possibles. Le sujet des retraites est en réalité un sujet de société, et la mobilisation sociale d’une ampleur inédite montre que derrière le refus de cette réforme difficile à comprendre, se joue en creux, le rejet d’un choix de civilisation. Aurore Orensanz
Le projet de réforme des retraites du gouvernement

Le 10 janvier 2023, Elisabeth Borne, première ministre, présente par conférence de presse, le nouveau projet de réforme des retraites du gouvernement, puis le 23 janvier en conseil des ministres. Le 6 février débute l’examen par le parlement poursuivi par le Sénat depuis le 28 février…
Après la première tentative de réforme de la retraite à points, stoppée par les mobilisations sociales et la pandémie de Covid en 2020, le gouvernement repart à la charge sur les retraites. L’objectif de sa réforme est de repousser l’âge légal de départ à la retraite de 62 à 64 ans, et d’allonger à 43 années, la durée de cotisation requise pour bénéficier de la retraite à taux plein.
Pourquoi l’urgence de cette réforme, présentée avec peu de pédagogie explicative ? Pourquoi serait-elle la seule alternative possible ? La question des retraites touche en profondeur notre projet de société : ses enjeux, sa cohésion et son équité entre générations.
Elle concerne toutes les étapes de la vie, du collectif à l’intime de chacun et pose la question des choix vitaux à décider aujourd’hui.
Une majorité de français ne s’y sont pas trompés, ils sont à plus de 70 à 80 % contre la réforme de l’âge de la retraite à 64 ans. Loin d’être une réforme « d’équilibre, de justice et de progrès », comme l’affirme le gouvernement, la raison de son rejet par ses opposants est « qu’elle va contribuer à aggraver les inégalités en s’abattant sur ceux qui exercent les métiers les plus précaires et les plus pénibles ainsi que sur les femmes qui ont des carrières hachées ». Depuis le 19 janvier, les syndicats réunis ont lancé un mouvement de contestation massif, suivi par des centaines de milliers de manifestants rassemblant tous les âges de la population (lycéens, étudiants, familles, travailleurs et retraités), un bras de fer avec le gouvernement qui affiche de son côté, sa « détermination ».
Le mérite de ce projet de réforme est d’avoir mis sur la table comme jamais, les problématiques qui concernent le travail (conditions, qualité, vécu, évaluation des risques, etc) mais aussi la soutenabilité du travail dans le temps et la conciliation entre le travail et la vie hors travail. On fait le constat que la France en la matière n’est pas exemplaire, qu’il y a beaucoup à faire, du fait d’un sous-investissement massif des pouvoirs publics, sur la santé au travail, et la prévention des risques professionnels notamment depuis 2017. L’argument mis en avant par le gouvernement est que « la réforme permettra d’améliorer la prise en compte de la pénibilité ». Les syndicats estiment que la pénibilité physique et psychologique au travail est loin d’être reconnue. L’allongement du temps de travail est le point brûlant de cette réforme. « Il est important de réfléchir sur le « travailler mieux et autrement » nous dit Olivier Mériaux, Directeur de l’Agence pour l’amélioration des conditions de travail. Cette réforme n’aurait-elle pas mérité, à cette occasion une large concertation populaire et un débat démocratique éclairé ?
Mon propos dans cet article n’est pas d’évoquer le Travail, mais de tenter de faire le point sur les arguments avancés par le gouvernement pour imposer sa réforme. Auparavant, je vous propose un petit historique des retraites pour comprendre ce qu’elles sont aujourd’hui
I – Bref historique des retraites et réformes qui ont marqué leur évolution depuis 1945
– Les fondations débutent au 17e siècle mais c’est aux lendemains de la Révolution qu’est créée la première caisse de retraite des fonctionnaires de l’Etat
– Au sortir de la guerre en 1945, le Conseil de la Résistance, met en place un formidable ensemble de protection sociale, dont une assurance vieillesse par répartition rendue obligatoire pour tous les salariés.
– 1961-73 : Création des retraites complémentaires Agirc et Arcco qui fusionnent en 2019.
– 1971, grâce à la loi Robert Boulin : le taux de liquidation de retraite passe à 50 % du salaire initial de chaque salarié et prend en compte les dix meilleures années de salaire, les retraités partent avec des pensions qui leur permettent un meilleur niveau de vie

– 1982, sous la présidence de François Mitterrand, l’ordonnance Jean Auroux abaisse la retraite à 60 ans (au lieu de 65) pour 37,5 années de cotisation, au taux plein de 50 % du salaire annuel moyen. C’est sur les retraités et leur temps de disponibilité, que repose aujourd’hui en grande partie l’équilibre de nos vies familiales (aides matérielles et financières aux enfants et petits-enfants) et que la France bénéficie d’un tel tissu associatif (1/3 des retraités sont bénévoles, l’équivalent de 90 000 emplois temps-plein).
– 1993 : Sous la réforme Edouard Balladur, le nombre d’années de cotisations passe progressivement de 37,5 à 40 ans. On ne prend plus en compte les 10 meilleures années de salaire mais les 25 meilleures (entre 1994 et 2008). Les pensions sont désormais indexées sur l’inflation et non plus sur l’augmentation des salaires.
– 1995 : tollé pour le plan Alain Juppé qui propose une réforme globale de la Sécurité Sociale. Malgré le recul du gouvernement, une grande partie de sa réforme sur la Sécu sera menée à terme.
– 2003 : la loi François Fillon aligne le public avec le privé, tout le monde cotisera 40 années pour toucher le taux complet de pension. Cet allongement de la durée de cotisation augmentera progressivement pour atteindre 41 ans en 2012.
–2007 -2010 : deux réformes sous Nicolas Sarkosy : alignement au régime général des sociétés de service public (EDF, RATP, SNCF, etc) et des professions au statut particulier (clercs de notaires, etc). Ils passent à 40 ans de cotisations.

En 2010 la seconde réforme Eric Woerth, repousse l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans et l’âge de départ à taux plein devait atteindre 67 ans en 2022.
-2014 : la réforme Marisol Touraine allonge la durée de cotisations pour obtenir une retraite à taux plein : elle est relevée d’un trimestre tous les trois ans de 2020 à 2035 pour atteindre 172 trimestres (43 ans) pour les générations nées en 1973 et suivantes.
Pour Pierre LAROQUE, directeur général de la Sécurité Sociale : » Dès la conception de notre Sécurité Sociale, droite, patrons, médecins libéraux, lobbyings privés de tous ordres ont peu à peu mis à mal les principes fondateurs de l’institution »
A la fin des années 1980, la Sécu a connu une baisse progressive des ressources provenant des cotisations sociales et une augmentation des ressources fiscales liées notamment à la hausse progressive du taux de CSG. Un tournant dans la philosophie de la protection sociale et des retraites. Les gouvernements successifs ont poursuivi les politiques fondées sur la baisse du « coût du travail » et donc du salaire socialisé en diminuant de manière drastique, les ressources de la Sécu et les droits des assurés sociaux. Une politique d’austérité qui a déséquilibré les comptes sociaux sachant que les dépenses de protection sociale, dont la santé, sont aussi des recettes, tout comme les pensions de retraite, sont un moteur pour le développement économique.
La loi de financement de la Sécu (LFSS) de 2018 a supprimé le prélèvement des cotisations salariales pour les salariés. Le basculement vers la CSG a poursuivi la fiscalisation de la protection sociale au détriment de la cotisation, une mesure qui veut également étendre le financement du chômage par l’impôt. Ne s’agit-il pas là, en réalité, pour le gouvernement, de reprendre en main plus drastiquement notre système de Sécurité Sociale par répartition en remettant en cause sa gestion paritaire et en la déconnectant de l’indemnisation du revenu ?
II – Arguments du gouvernement en faveur du projet de réforme des retraites
1 – « Notre système de retraite est en péril financièrement «
C’est l’argument choc. « La pérennité du système de retraite serait, soi-disant, mise en péril par son déséquilibre financier avec un trou (immense) de 12 milliards d’euros». Le Conseil d’Orientation des Retraites (COR) a effectivement évoqué, dans un des scénarios envisagés, un possible déficit de 12 milliards d’euros en 2027. Cet argument s’effondre après la publication du dernier rapport du COR : après deux années d’excédents, 900 millions d’euros en 2021 et 3,2 milliards d’euros attendus en 2022, la branche retraite devrait accuser un déficit minime d’ici 2032 (0,5 à 0,8 point de PIB). De plus, fin 2020, les réserves nettes totales du système de retraite s’élevaient à 8,3 % du PIB (191 milliards d’euros).
Pour rappel, le budget des retraites s’élève à 320 milliards d’euros, ces hypothétiques 12 milliards d’euros manquants à l’horizon 2027 ne représentent qu’un déficit de 3,7%. Le COR indique qu’il est en 2022 de 5 %, et qu’il pourrait se résorber avec le temps, on ne l’a pas entendu appeler au feu, ni pronostiquer la ruine de la France.
« La France n’a plus les moyens de financer le déficit du système de retraite » a annoncé Olivier Dussopt, ministre du travail. L’argument n’est pas exact nous disent les analystes, exception faite des deux années de crise de 2009 et 2020, la richesse annuelle produite par l’économie française continue d’augmenter quoiqu’à un rythme plus faible que par le passé.
Pour l’économiste et essayiste Georges Nurdin : « Le déficit des retraites pourrait être facilement gommé « , et d’après le COR, sa trajectoire s’équilibrerait naturellement vers 2070 contrairement aux idées reçues. Dix milliards à comparer aux 300 milliards du “quoiqu’il en coûte » ! Alors pourquoi cette “fixette” obsessionnelle sur un système déjà en quasi-équilibre ? C’est parce que le “ poids des retraites ” est en France d’environ 14 % du PIB, alors que la moyenne européenne est de 10 % … scandale, sacrilège ? Non, car si la part des retraites est de 14% en France (pour le côté “dépenses”), le régime est globalement équilibré, ce qui veut dire que le côté “recettes” est à la hauteur. S’offusquer de ce niveau est stupide.
Par ailleurs la France verse à fonds perdus, chaque année, 42 milliards d’euros à 1,3 millions d’associations dont seules quelques-unes, soit 0,1% d’entre elles sont reconnues d’utilité publique. En diminuant, une seule année, le montant versé à ces “associations” de seulement 24%, le déficit des retraites pourrait être gommé.
L’allongement des cotisations retraite de la réforme c’est ni plus ni moins « un impôt déguisé ». En conséquence, l’idée même de vouloir l’imposer aux français, relève du non-sens. Cette réforme est un contresens économique et sur le plan social, du pur mépris ».
Avec cette réforme allons-nous rejoindre nos voisins européens, comme le prétend le gouvernement, à savoir que nos pensions augmenteraient de 25 % pour rejoindre, ne serait-ce que la moyenne de l’Union Européenne qui est à 65 % de taux de remplacement du dernier salaire perçu ? Plutôt le contraire : à l’inverse des idées reçues et largement véhiculées, la France n’est pas un pays qui sert des retraites généreuses. D’après l’OCDE, le revenu dit de remplacement (le niveau de la retraite perçue) n’est en France que de 52% alors que la moyenne de l’UE est de 65%, les bons élèves vis-à-vis de leurs séniors étant, entre autres, l’Autriche (80%), l’Espagne (80%), le Luxembourg (90%), l’Italie (70%), etc.
La France est la première Nation au monde en termes de prélèvements obligatoires avec un taux aberrant, usurier, de plus de 47% du PIB. En d’autres termes, cela veut dire qu’aucun autre régime au monde, ne “saigne” son peuple à ce niveau. A noter aussi que chaque année les contribuables, à leur insu, paient à hauteur de 45 milliards, soit 2.500 euros nets par an et par contribuable. Ceci est à rapprocher, en creux, des performances record du CAC 40 et du niveau de distribution des dividendes où la France excelle. L’année 2022, a établi un nouveau record pour le CAC 40 avec un total de dividendes versés de 80,1 milliards.
Les déficits enregistrés des retraites résultent en premier lieu des multiples exonérations de cotisations sociales non compensées et aussi d’une politique de blocage des taux de cotisation employeurs et salariés depuis 2017 alors que la population de retraités a continué d’augmenter.
En réalité ce ne sont pas les dépenses qui explosent mais les recettes qui baissent sous l’effet de l’austérité imposée aux services publics, tant en matière d’effectifs que de traitements. Quant au secteur privé, pour engranger des cotisations supplémentaires, il faudrait augmenter le taux d’emploi des seniors très bas en France. Non, le déséquilibre financier n’est pas ce qui justifie la réforme.
2 – Maintenir la part des retraites dans le PIB pour rassurer la Commission Européenne »
Cet objectif est dans la continuité des réformes précédentes : baisser les pensions et inciter celles et ceux qui le peuvent à les compléter en se tournant vers les complémentaires retraite par capitalisation… Et, à terme, démanteler le système de retraite mis en place en 1945…
Pour Georges Nurdin « Le problème du financement des retraites est dans la “normalisation” européenne, dans l’idéologie de l’existence d’un “standard” pan-européen transcendant où la part des retraites dans le PIB doit être calibrée à un pourcentage moyen définit par l’U.E. D’autant plus que la part des dépenses de retraites dans le PIB, indicateur qui permet d’évaluer la soutenabilité financière du système de retraite, sera stable ou en diminution jusqu’en 2070 malgré le vieillissement démographique. Donc le problème, s’il en est, est de l’ordre de l’idéologie, voire de l’affect mais en aucun cas de l’ordre économique »
3 – Cette réforme servirait à financer d’autres dépenses
« La réforme n’a pour but ni de changer la société ni d’assurer la pérennité d’un des piliers de l’État social, elle servira à financer d’autres dépenses, éducation, santé, climat, etc » expliquait le Président en septembre 2022. La seule solution pour dégager des ressources budgétaires serait de travailler plus et plus longtemps, d’où l’importance de la réforme des retraites et de l’assurance chômage. Quelle manne financière est à escompter du report de l’âge légal de la retraite à 65 ans? Bercy chiffre les économies à environ 9 milliards d’euros en 2027 (près de 20 milliards en 2032).
Ces chiffrages sont fragiles car les trajectoires de productivité et du chômage sont incertaines et cette réforme peut se traduire, à l’inverse, par une augmentation des allocations chômage, maladie, invalidité et minima sociaux. Ce discours amalgame, en creux le financement de la protection sociale qui repose sur les cotisations et le financement des politiques publiques assurées par l’impôt.
Si le gouvernement manque de ressources pour financer les dépenses d’avenir, c’est parce qu’il se prive de recettes avec les cadeaux fiscaux aux grandes entreprises et aux ménages les plus riches. Seule une politique fiscale plus juste permettrait de dégager les ressources nécessaires aux politiques publiques. Après avoir menacé de faire passer en force la réforme des retraites sous forme d’un amendement au projet de loi de financement de la Sécurité Sociale (PLFSS), le gouvernement a changé son fusil d’épaule sur cette proposition.
4 – La réforme des retraites « va réduire les inégalités »
Avant d’obliger les salariés français à faire du rab, il faudrait se pencher sur les inégalités et les conditions de travail. Repousser l’âge légal de la retraite à 64 ans est une mesure profondément injuste car de grandes inégalités d’espérance de vie sont enregistrées en fonction du niveau de vie, de la catégorie sociale et des diplômes.
Riches et pauvres ne sont pas égaux face à la mort, à 35 ans, un cadre peut en moyenne vivre encore 34 ans sans problèmes sensoriels et physiques. C’est 10 ans de moins pour un ouvrier. Les hommes cadres vivent en moyenne 6,4 années de plus que les ouvriers. De surcroît, l’espérance de vie en bonne santé à 65 ans, sans souffrir d’incapacité dans les gestes de la vie quotidienne, s’élevait en France, en 2020, à seulement 12,1 années pour les femmes et 10,6 années pour les hommes.
Si les plus riches disposent d’un patrimoine leur permettant de s’affranchir de cette réforme et de partir plus tôt sans avoir besoin de compter sur la solidarité nationale, ce n’est pas le cas des plus pauvres.
Ainsi, en 2021, 5% des plus riches contre 23 % des plus pauvres sont déjà morts à 65 ans. Ces derniers ne peuvent pas compter sur d’autres moyens de subsistance, et c’est donc sous une forte contrainte qu’ils resteront plus longtemps au travail, alors même qu’ils exercent souvent les métiers les plus pénibles et que le travail s’est intensifié ces trente dernières années comme une étude le confirme. Cette souffrance au travail est vécue dans la chair, car l’espérance de vie en bonne santé en France est de 64 ans pour les hommes et 65 ans pour les femmes.
D’après la DRESS (direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), en France 1,4 million de personnes âgées de 53 à 69 ans ne perçoivent ni revenu d’activité ni pension de retraite, Ce sont en majorité des femmes, en moins bonne santé, moins diplômées. Le taux de pauvreté dans cette catégorie atteint 32 %.
Pour les travailleurs « seniors » qui sont dans le « sas de précarité » entre l’emploi et la retraite, le gouvernement a déjà réduit la durée des indemnisations chômage. Ainsi, 32 % des personnes nées en 1950 n’ont plus d’emploi un an avant leur retraite. Cette réforme va les maintenir dans la précarité plus longtemps du fait du transfert des dépenses des caisses de retraite vers l’assurance chômage, la maladie, l’invalidité et les minimas sociaux (comme évoqué précédemment).
D’autre part, pour ceux qui ne peuvent plus exercer un travail, on connait l’impact du décalage de la retraite (de 60 à 62 ans) mis en place en 2010 sous Nicolas Sarkosy : entre 125 et 150 mille personnes supplémentaires ont bénéficié d’une pension d’invalidité et 80 000 allocataires supplémentaires ont été soumis à l’un des minimas sociaux (RSA, RSS, minimum vieillesse, etc).Le recul à 64 ans, de l’âge de la retraite augmenterait de ce fait, le nombre de personnes en invalidité, ou dépendants des minimas sociaux, deux conditions qui ne permettent qu’un niveau de vie très faible.
Au final, l’allongement de la durée des cotisations et le recul de l’âge de la retraite pénalisera tout le monde : les carrières incomplètes et notamment celles les femmes, les jeunes qui ont commencé tôt et ceux qui y rentreront tard du fait de l’allongement des études, les salariés qui ont exercé des métiers pénibles et les séniors qui libèreront leurs postes plus tard au détriment des jeunes. Autant de paramètres sur lesquels on pourrait agir, en incitant les séniors à se reconvertir grâce à la formation professionnelle ou faciliter pour eux des contrats d’alternance sur d’autres métiers moins pénibles, pour garder l’emploi plutôt que réfléchir à cette réforme qui ne marche pas. Le projet de retraite du gouvernement n’a jamais autant mis les conditions de travail au cœur de la contestation.
Si l’espérance de vie à la naissance des femmes et des hommes a augmenté de plus de seize ans entre 1950 et 2019, ses gains décélèrent car ils ont été absorbés par les précédentes réformes des retraites. Cette réforme d’âge est d’autant plus injustifiée car l’espérance de vie à la retraite a déjà diminué d’un an entre les générations 1950 et 1953 et la nouvelle réforme raccourcira encore ce temps. Dire « On vit plus vieux, on doit travailler plus longtemps » est un bobard !
5 – QUID des inégalités entre les hommes et les femmes ?
Le grand chantier d’égalité salariale (hommes/femmes) n’a jamais été ouvert à l’occasion des différentes consultations.
En 2019, 57% des hommes entre 55 et 64 ans sont en activité, contre seulement 53% des femmes. En 2019 le revenu salarial des femmes reste inférieur en moyenne de 22% à celui des hommes, elles occupent les emplois les plus mal payés, dans le secteur des aides à la personne notamment. Certaines d’entre elles plaident pour un vrai service public de la petite enfance. Les femmes partent à la retraite en moyenne un an plus tard que les hommes et leurs pensions sont inférieures de 40% à celles des hommes. Cela s’explique par une forte part de métiers à temps partiel et par des carrières plus souvent hachées par les congés parentaux, un écart qui risque de s’accroitre avec le projet de réforme.

D’après l’économiste Michaël Zemmour 60% des économies de la réforme vont peser sur les femmes, elles vont devoir travailler sept à huit mois de plus contre cinq pour les hommes. Faute d’avoir suffisamment cotisé 20% d’entre elles attendront 67 ans avant d’ouvrir leurs droits à la retraite.
Un nombre conséquent de femmes qui pouvaient partir dès 62 ans à taux plein grâce aux trimestres acquis lors de la naissance de leurs enfants, devront, avec le projet de réforme, attendre l’âge légal, soit deux ans de plus, pour partir à la retraite. Les métiers féminisés sont moins pris en compte que les métiers masculinisés, alors que les femmes sont surexposées aux risques psychosociaux. En ne prenant pas en compte la racine des inégalités, la réforme risque d’aggraver les inégalités entre hommes et femmes déjà existantes.
Santé et qualité de vie au travail, sont des thèmes qui sont abordés aux Assises du travail, lancées le 2 décembre dernier par Oliver Dussopt sous la pression des syndicats. Dommage qu’elles aient lieu avant la décision finale de ce projet de réforme qui a mis de côté les inégalités des carrières professionnelles.
6 – La pension minimale retraite serait de 1200 € brut
Que le gouvernement ait volontairement alimenté une certaine confusion, ce dont certains l’accusent, il est revenu sur ses propos pour les clarifier.
Cette réforme ne touchera pas grand monde, on a aujourd’hui 30 % de retraités qui perçoivent moins de 1200 € de retraite par mois (environ 1100 € au mieux). La réforme concernera les 500 ou 700 mille personnes qui passeront un peu au-dessus de 1120 € de retraite mensuelle et ce montant augmenterait de 70 € pour atteindre 1180 €/mois. De plus, il faudra avoir travaillé 43 ans à temps plein et sans aucune interruption pour en bénéficier. La réforme ne concernera donc pas les carrières incomplètes au premier rang desquelles figurent les femmes. Alors que ce projet de 1200 € de pension minimale pour vivre dignement aurait pu être pensé à l’occasion de la réforme, nombreux sont ceux qui ont pu de bonne foi y croire et qui garderont leurs petites retraites actuelles.
Pour l’économiste Michaël Zemmour : « Le gouvernement a mis en avant les bénéficiaires de cette proposition, soit environ 1,8 millions de personnes, mais certains ne vont rien gagner et certaines personnes vont même perdre quelques euros par un mécanisme comptable de bascule entre les petites pensions, le minimum vieillesse et les APL. Ces éléments de communication ont fait croire qu’il y a des aspects très sociaux dans la réforme, mais en réalité il n’y a que des revalorisations très minimes et la volonté de faire passer une réforme très dure avec un argument qui n’est ni exact, ni valable ».
7 – « Dans les autres pays européens on travaille plus longtemps »
« La France travaille en moyenne beaucoup moins que ses voisins », déclarait Emmanuel Macron lors de sa conférence de presse en avril 2019. Une assertion qui revient dans la bouche de nombreux politiques depuis des années et qu’on peut largement relativiser. Les tenants du recul de l’âge du départ en retraite mettent souvent en avant les exemples allemand, italien ou espagnol, parmi d’autres.

Selon l’économiste Henri Sterdyniak : « La comparaison des systèmes de retraite est un exercice délicat à effectuer avec prudence. Comparaison n’est pas raison. Ne retenir que ce critère d’âge montre une vision très partielle et partiale de la réalité des systèmes de retraite dans les pays voisins. Les paramètres décrits peuvent renvoyer à des réalités différentes (âges, durée, taux, etc). En France, l’âge mis en avant est l’âge légal, en dessous duquel on n’a pas le droit de partir, alors que dans les autres pays, c’est l’âge où on peut partir à taux plein».
Dans le classement 2017 du temps annuel de travail dans les pays de l’U.E, la France compte 1 526 heures travaillées dans l’année. Elle devance le Danemark (1 408 heures), les Pays-Bas (1 433) ou l’Allemagne (1 356). Les Français travaillent 12 % de plus que nos voisins germains.
Selon une enquête menée en 2018, auprès de 1,5 million d’Européens, les Français à temps complet et à temps partiel, travaillaient 37,3 heures par semaine, c’est plus que la moyenne européenne qui s’établit à 37,1 heures, c’est aussi plus que ses voisins néerlandais (30,4), britanniques (36,5), suisses (34,7) allemands (34,9) ou norvégiens (33,8). En réalité, non, les salariés français ne travaillent pas moins que leurs voisins !
En France on n’a pas plus de jours fériés dans l’année qu’ailleurs en Europe Avec onze jours fériés dans l’année, les Français ont autant de jours que les Finlandais, les Suédois et les Luxembourgeois par exemple. Onze jours, c’est aussi la moyenne du nombre de jours fériés sur le continent. Les moins bien lotis sont les Néerlandais et les Britanniques, avec huit jours par an.
La productivité des travailleurs français
De manière plus flagrante encore, les travailleurs français (salariés ou indépendants) font partie des plus productifs d’Europe, avec près de quinze points au-dessus de la moyenne européenne soit 114,8. La France se situe devant l’Allemagne (106,3), le Royaume-Uni (100,2), l’Italie (107) ou les Pays-Bas (111) ; elle est néanmoins derrière les travailleurs suisses (121,1), belges (128,8) ou irlandais (187,1). Plusieurs économistes estiment que si les Français étaient moins productifs, le chômage serait plus faible dans le pays. Les entreprises devraient embaucher plus de salariés pour abattre la même quantité de travail. Cette idée est résumée avec un sens de la formule implacable du journal libéral, The economist : « Les Français pourraient être en congés le vendredi, ils produiraient encore davantage que les Britanniques en une semaine. »
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Pour Pierre Larrouturou, économiste : « La France est l’un des pays qui a la meilleure productivité horaire en Europe. Les gens qui disent qu’il faut travailler plus ne se rendent pas compte de la métamorphose du monde du travail. Il a été démontré qu’en 30 ans, on produit 80 % de plus avec 30 % de travail en moins grâce aux robots et à l’éducation. Cela n’annonce pas la fin des travailleurs, mais il y aura de moins en moins de travail tel qu’on l’a connu jusqu’à aujourd’hui. Il nous faut repenser notre conception du temps de travail et faire des choix : soit on laisse 30 % de gens au chômage, sachant que le chômage fait 15.000 morts par an, soit on est capable de se dire qu’on va partager le temps de travail de manière plus agréable. La meilleure solution à la question des retraites, c’est la semaine de quatre jours sans baisse de salaire. Cette mesure va dans le sens de l’histoire ».
8 – « Il n’y a pas d’autres solutions que de travailler plus… «
C’est ce qu’affirme le gouvernement. D’autres pistes sont pourtant sur la table, venant de la gauche, mais aussi de son propre camp, en disant qu’il n’y a pas « urgence » de cette réforme. Pour maintenir l’équilibre du système, d’autres solutions existent :
– Revenir à l’âge légal de 60 ans : c’est la proposition de la gauche. Pour Patrick Kanner, Président du groupe PS au Sénat « Oui, mais d’abord pour les carrières pénibles et longues. Un travail sur le sujet est en cours entre les groupes politiques de l’Assemblée et du Sénat ». Pour Guillaume Gontard, Président du groupe écologiste au Sénat « L’objectif est de revenir à l’âge de la retraite à 60 ans. C’est un temps de liberté important pour les nombreux retraités, qui sont dans l’associatif ».
De leur côté, les parlementaires communistes portent la retraite à 60 ans et le retour à « 37,5 annuités de cotisations ». Cette proposition est également inscrite dans le programme de la NUPES.
– La Hausse des cotisations patronales : La mesure est proposée à gauche, mais pas seulement. Au sein de la majorité présidentielle, François Bayrou, leader du Modem, a mis l’idée d’une légère augmentation des cotisations patronales sur la table. « C’est une piste, mais à un niveau qui ne touche pas à la compétitivité des entreprises ».
– La Hausse des cotisations salariales
– Pour Michaël Zemmour : « En plus d’une hausse des cotisations patronales, on pourrait « même relever un peu les cotisations salariales de manière ciblée, pour ne pas pénaliser les plus modestes. Elle serait de 0,8 points dit le COR, soit 28€/mois pour ceux qui gagnent le salaire net moyen de 2574 € à temps plein ».
-Pour l’économiste Eric Heyer « Il faudrait que chaque salarié ou employeur cotise 4 euros de plus par mois, et il n’y aurait pas de déséquilibre du système des retraites, pour combler en neuf ans le déficit de 10 milliards prévu en 2027 ».
– Faire contribuer les entreprises :
Pour Monique Lubin Sénatrice socialiste « On pourrait éviter d’accorder davantage de ristournes fiscales aux entreprises, « On n’en a jamais fait autant que sous ce quinquennat. Je rappelle le refus du gouvernement de mettre à contribution des grands groupes qui font des superprofits ».
Pour l’économiste Michaël Zemmour « On pourrait commencer par revenir sur les exonérations de cotisations inutiles, notamment la partie ciblée sur les salaires supérieurs à 2,5 Smic. De quoi faire économiser 2 milliards d’euros à l’Etat ».
L’économiste Maxime Combes, pointe du doigt l’explosion des aides aux entreprises, dont l’efficacité à souvent été mise en cause. « Si on les ramenait à leur niveau de 2018, cela représenterait une cagnotte de soixante milliards d’euros.».
– Taxer le capital :

Pour Guillaume Gontard, « Il faudra se pencher sur la question du capital, des dividendes. On ne pourra pas passer à côté. Ce n’est pas pensable, que les dividendes, qui sont liés à la spéculation, ne soient pas taxés ». Le dernier rapport de l’ONG Oxfam, publié cette semaine, vient apporter du grain à moudre sur ce thème. « Une taxe de 2 % sur la fortune des milliardaires français, soit 42 personnes, suffirait à financer les 12 milliards d’euros annuels finançant le déficit des retraites », a lancé le député PS.
– Faire contribuer les retraités :
C’est un sujet sensible, et tabou pour les macronistes ou pour la droite, dont les retraités constituent une part importante de l’électorat. En retenant un seuil de 2000 euros de pension permettant d’exonérer les trois quarts des retraités, l’économie serait de 1 milliard d’euros, précise le document.
Pour les économistes atterrés, Henri Sterdyniak : « Faire payer les retraités actuels, en oubliant qu’ils ont déjà beaucoup contribué, cela n’améliorera pas l’arbitrage : âge de départ/taux de cotisation/niveau des pensions en 2050. Si l’on souhaite réduire les revenus des retraités les plus riches, ce sont les revenus du patrimoine qu’il importe de cibler… et non les retraites ». Mais ça revient à la question de la suppression de l’ISF aussi.
– Renforcer l’emploi des séniors

C’est un levier qui est plus prometteur. « Si on parvenait à augmenter de 10 points le taux d’emploi des seniors d’ici à 2032, le PIB augmenterait de deux points, engendrant une richesse supplémentaire à cet horizon de l’ordre de 50 milliards d’euros » Jean Lorenzi et Alain Villemeur, économistes. Inciter les séniors à se reconvertir sur des métiers moins pénibles grâce à la formation professionnelle ou par les contrats en alternance, inciter les entreprises à valoriser la transmission des compétences des seniors, en direction des plus jeunes sont des pistes intéressantes pour le maintien des séniors dans l’emploi, donc plus de cotisations pour les caisses de retraite.
– Atteindre l’égalité femmes/hommes
La CNAV (Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse) a calculé qu’aligner les salaires des femmes sur ceux des hommes rapporteraient 5,5 milliards de cotisations par an, dans les caisses de retraite. En étant mieux payées, les femmes et leurs employeurs cotiseraient plus, contribuant ainsi davantage au régime de retraite.
– Réduire le temps de travail avec la semaine de travail à quatre jours pour créer des emplois et renflouer les retraites :
C’est ce que propose Pierre Larruturou, Député européen du mouvement de gauche Nouvelle Donne : « Je suis, pour un meilleur partage du temps de travail. Depuis la retraite à 60 ans (loi instaurée sous F. Mitterand) les années entre 60 et 65 ans ont été les plus belles années de la retraite. On avait du temps libre, on était en bonne santé et il on avait un revenu correct. C’est pour cela que le gouvernement bouge sur cette question de l’âge, les gens en ont conscience. Cette réforme ne prend pas assez en compte l’état de santé moyen des Français à 64 ans. »
Les intérêts de la semaine à quatre jours sont nombreux : il serait plus facile pour les employeurs de recruter dans les secteurs pénibles. La proposition crée des emplois, et fait baisser les cotisations chômage. Ce temps libéré pourrait faciliter l’accès à la formation. Il est bénéfique pour la qualité de vie pour la santé, la vie familiale, faire du sport, du bénévolat ou du tourisme, etc. On a constaté que l’absentéisme a reculé dans les entreprises qui l’ont mis en place. 400 entreprises en France sont passées à la semaine de quatre jours. Des expériences fonctionnent en Angleterre et en Espagne.
Une autre proposition est de créer massivement des emplois, avec le Pacte climat, qu’on propose avec Jean Jouzel, pour isoler les habitations et développer le renouvelable, etc. On créerait ainsi 900.000 emplois. « Rien qu’avec ces deux idées on peut créer 2,5 millions d’emplois, soit autant de personnes qui retrouvent un salaire et qui cotisent pour les caisses de retraite ».
- Le congé paternel ou le congé menstruel voté en Espagne le 16 février 2023…Ces deux congés rémunérés sont à l’étude en Europe, ils s’inscrivent aussi dans les propositions de la réduction du temps de travail.
- Le télétravail est entré massivement dans nos vies : la pandémie a fait bouger le rapport au travail. On s’est rendu compte qu’on pouvait être productif depuis chez soi. Un ou deux jours de présence obligatoire selon les services ont été déterminés pour se voir et pour améliorer le travail collectif (binômes, réunions plus efficaces)..
- Deux conceptions concurrentes de la retraite…

Pour Les sociologues Bernard FRIOT et Nicholas CASTEL : « Derrière la réforme des retraites, l’enjeu c’est notre modèle de société. En réalité il y a deux conceptions concurrentes de ce qu’est la retraite. Dans une conception libérale, la retraite c’est du revenu différé : les travailleurs cotisent une part de leur salaire pour toucher une pension à la retraite qui dépend de ce qu’ils ont cotisé. Mais il y a une autre vision de voir les choses, c’est de considérer la retraite non comme du revenu différé, mais comme la continuation du salaire tout au long de la vie : le salaire continué. La collectivité cotise pour que tous ceux qui travaillent puissent à un moment de leur vie, quitter leur travail et bénéficier d’un temps libéré. Ils continuent à percevoir leur salaire qui leur permet de décider eux-mêmes de quelle manière ils veulent être utiles et contribuer et exister au sein de la société. «
Après la seconde guerre mondiale c’est le second modèle qui s’impose en France : la retraite comme salaire continué avec des conséquences pratiques : on a calculé le montant des pensions sur les six derniers mois des fonctionnaires et les 10 meilleures années des salariés du privé, pour que leur retraite soit une continuation de leur meilleur salaire. Les retraites étaient indexées sur les salaires, pour que le pouvoir d’achat des retraités suive la même évolution que celui des autres salariés. C’est aussi pour cela qu’on a avancé l’âge de la retraite à 60 ans en 1981 pour que les travailleurs disposent d’un temps de liberté toujours plus grand.
Pour la société les conséquences sont extrêmement concrètes, c’est grâce à cette loi que la France bénéficie aujourd’hui d’un tel tissu associatif : 1/3 des retraités sont bénévoles dans 1 ou 2 ou plusieurs associations, c’est l’équivalent de 90 000 emplois temps-plein, et c’est là-dessus aussi que se reposent une grande partie de nos vies familiales en France, les grands parents assurent 23 millions d’heures de garde d’enfants par semaine, autant que les assistantes maternelles. Cela a ainsi favorisé en France un taux de natalité de 1,8 enfants par famille, alors que dans d’autres pays, la garde des enfants est moins possible par les retraités partant après 65 ans à la retraite. Tous les services rendus par les retraités justifient ainsi le salaire continué.
Cette conception initiale de la retraite, s’est peu à peu détricotée à partir des années 1990. Les pensions retraites ne sont plus indexées aujourd’hui sur les salaires, mais sur les prix qui augmentent moins vite. Dans le privé les pensions ne sont plus calculées sur les 10 meilleures années de travail, mais sur les 25 années, ce qui a réduit considérablement le montant des pensions du privé. L’écart entre ce que les travailleurs touchaient comme salariés et entre ce qu’ils touchent comme retraités, n’a cessé de se creuser et les travailleurs sont de plus en plus incités à prendre une épargne complémentaire. Tout cela va dans une conception très libérale de la retraite et il en va de même pour la réforme actuelle.
En exigeant que ce soient les travailleurs qui, en travaillant davantage, équilibrent à eux seuls les déficits du système, le gouvernement assume et affirme sa conception des retraites comme un revenu différé et tant pis si vous n’avez pas la santé suffisante pour utiliser votre temps libéré comme vous l’auriez voulu !
Le gouvernement aurait pu décider ce que la France a fait durant toute la seconde moitié du 20è siècle : augmenter légèrement et progressivement les cotisations des salariés et des entreprises sur de longues années, pour préserver ce temps libéré et non subordonné à la fin de vie. C’est la preuve que cette réforme n’a rien de pragmatique et qu’elle est idéologique, elle promeut une vision libérale de la société.
8 – La place des retraités en France
Les retraités s’expriment collectivement peu et le débat sur les retraites est trop souvent traité de façon réductrice. Les médias titrent régulièrement sur « une génération en or », reprochant à la génération actuelle des retraités, plus particulièrement à celle des baby-boomers, d’avoir conçu après la Seconde Guerre mondiale un système de retraite très généreux pour leur génération qui serait à l’origine des déséquilibres des régimes de retraite des actifs d’aujourd’hui, or nous venons de démontrer que ces déséquilibres sont le fait des choix des gouvernements successifs. D’autre part, c’est oublier ce que les retraités apportent à toutes les générations.
La durée de la retraite est aujourd’hui de vingt-deux ans pour un homme et de vingt-sept ans pour une femme. Les seniors sont propriétaires de 70 % du patrimoine français dont une partie provient d’héritages. Ce sont eux qui sont dans les instances dirigeantes et s’investissent dans les mairies. Parmi les seniors encore actifs, 500 000 personnes continuent à travailler après leur retraite. Ainsi, 20 % des auto-entrepreneurs sont des seniors. Ce statut a d’ailleurs été inventé pour eux en 2008.
Selon le rapport du Conseil des retraites de 2013, le niveau de revenus des retraités même s’il reste modeste est légèrement supérieur à celui de l’ensemble de la population, le ratio entre les deux étant de 107 % (103 % pour les femmes et 108 % pour les hommes). La relative aisance économique des seniors, s’arrête au-delà des 75ans, l’âge où les revenus sont inférieurs de 23 % à la moyenne nationale.
La moitié de la consommation en France est due aux seniors, Ils achètent de préférence français et sont très sensibles à aider l’emploi en France
Sur le plan matériel, ils vont devenir acheteurs et prescripteurs de services à la personne (2 millions d’emploi, 15 000 structures), de produits de santé (dont les objets connectés de prévention) et d’aides techniques au maintien à domicile. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui la « silver économie », l’économie du vieillissement, qui sera un moteur de la croissance (de 150 à 300 milliards d’euros) et pourrait générer des milliers d’emplois.
La vie des jeunes retraités actifs, se structure souvent autour des petits-enfants. Selon le Conseil d’analyse économique, ils réalisent 30 milliards d’euros de transferts financiers par an vers leurs enfants et petits-enfants. Ils transmettent des sommes d’argent importantes à leurs descendants de leur vivant. Ils jouent un rôle important dans toutes les donations

Ils sont des papy et mamy-sisters réguliers – une aide indispensable aux parents qui travaillent, un lieu d’écoute des petits-enfants et des référents adultes rassurants. Une façon pour eux de rester utiles. Le nombre d’heures consacrées par les grands-parents à leurs petits-enfants est 23 millions, autant d’heures de travail que la totalité des assistantes maternelles en France.
Les retraités aident également au financement du coût de la perte d’autonomie de leurs parents. Le nombre de personnes dépendantes (environ1,1 million) va augmenter de 50 % d’ici 2040. Le « reste à charge », net des aides reçues, est en moyenne de 1200 euros par mois. Cette aide à la dépendance va peu à peu structurer la vie des jeunes retraités, c’est la « génération pivot », celle qui prend soin à la fois de ses ascendants et de ses descendants.
Les retraités assurent l’accompagnement des personnes dépendantes : 4,3 millions d’aidants familiaux entourent 1,1 million de personnes pour vivre leur grand âge à domicile, ce qui est le souhait de 94 % des Français… Les aides apportées à autrui par les retraités représenteraient entre 6 et 14 milliards d’euros en 2010, soit 0,3 à 0,7 % du PIB.
Sans eux, le tissu associatif français ne fonctionnerait pas. Or, celui-ci assure les fonctions d’accompagnement des plus fragiles à la place des structures étatiques exsangues. La moitié des retraités sont bénévoles, un tiers en tant que membres d’une association ou d’autres dans les solidarités (secours populaire, restos du cœur, etc)
Tous ces éléments propres aux retraités font d’eux une chance pour la France. Pour toutes ces raisons, on peut avancer que les retraités sont les amortisseurs économiques et affectifs d’une France en crise.
En revanche Le Conseil d’analyse économique annonce dans son rapport de 2006 la fin de l’âge d’or des retraités pour plusieurs raisons : la baisse des pensions (de base, complémentaires et de réversion), les contributions plus fortes aux transferts sociaux (CSG alignée sur les actifs), la part plus grande de personnes seules liée à l’avancée en âge. Le COR confirme cette évolution en 2020.
Pour conclure…
« Comme nous vivons plus vieux, nous devrions travailler plus longtemps » nous dit le gouvernement alors qu’en fait il faut comprendre l’inverse : « c’est parce que nous travaillons moins que nous vivons plus longtemps ».
La réforme des retraites ne doit pas se limiter à une approche comptable, elle est un enjeu majeur de santé publique indispensable à la cohésion et à la paix sociale. Ne pas prendre la mesure de cet enjeu est une erreur. Restons mobilisés pour préserver nos retraites et relevons le défi exaltant d’une réforme plus digne, plus égalitaire et solidaire.
Formidable et essentielle lecture. Merci pour le partage!
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merci pour aurore
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