Pascal Depresle – J’aurais voulu ce matin

J’aurais voulu ce matin
écrire un poème magnifique,
qui parlait d’amour et de papillons,
de ces sensations que l’on ressent là,
juste au creux du ventre.
Malheureusement, il n’y a que les bébés
et les vieux qui tombent du lit.
Je le sais, ça fait mal.
Et si j’ai passé l’âge de mettre des couches,
je n’ai pas encore celui qui bouclera la boucle.
Mais bientôt, qui sait le temps qui reste ?
J’aurais voulu ce matin
écrire des mots sublimes,
de ceux qui donnent des frissons,
de ceux qu’on cite en exemple,
et qui font parfois pleurer notre enfance évanouie.
Malheureusement, j’ai déclenché un combat,
que j’ai perdu, d’un round,
on ne peut pas lutter contre l’indifférence,
même en y mettant tout son poids
en tendresse et en souvenirs.
Pourtant ça fait quelques kilos.
J’aurais voulu écrire tout simplement,
parce qu’écrire c’est vivre,
c’est vital, c’est de l’oxygène en lettres,
qui, mises bout à bout, font qu’on respire encore,
dans un monde qui m’échappe au fur et à mesure
que s’érodent les visages de ceux qui furent.
Tourne, tourne la ronde,
jouons à faire semblant,
tourne, tourne le monde,
c’est enivrant de s’amuser
à nous toucher, pour faire croire qu’on existe,
à sourire de peur d’avoir à en pleurer,
de toutes façons il n’y a pas de témoin.
Il n’y a jamais de témoin.
Au fond du berceau, le bébé s’est ouvert les veines
avec sa tétine en bisphénol,
il est mort la bouche ouverte,
comme s’il voulait dire ses premiers
et derniers mots d’effroi,
à côté du grand-père qui agonisait
bien avant son arrivée.
Pépé est mort lui aussi ce matin,
la bouche ouverte,
comme pour une dernière conversation.
Mais personne n’était là.
Il n’y a jamais de témoin.
L’un et l’autre sans tomber du lit.
Ils ne se connaîtront jamais,
ils n’auront pas de destinée commune,
racontée à grand cris, pour avoir la parole
plus fort et haut qu’un autre,
par un quelconque membre de la famille.
Et pourtant, leur histoire ensemble commence là.
Toilette, pleurs, soins, cris,
de beaux habits, hurlements,
un peu de parfum, elle s’écroule, terrassée.
Et à chacun une couche propre.
Alors je reste là, généraliste de bien peu de valeur,
à regarder passer les heures et les corps,
et à me dire que, demain, oui, demain
sonnera l’heure ou enfin j’aurai du génie,
et le pouvoir démiurge de ressusciter
les enveloppes sans vie,
tous comme les souvenirs qui y vivaient.
Mais ce sera demain.

Illustration peinture « la vie » – Pascal Depresle


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