
_ Allo ? Oui, c’est moi, je suis sur l’autoroute, le temps est superbe, encore une heure environ et je vais entrer dans la campagne Normande.
_ Oui, je te rappelle dés que j’arrive à Bernay.
_ Non, c’est une petite ville de province, je n’ai aucune inquiétude pour trouver le lieu du rendez-vous, il s’agit d’une Brasserie PMU au centre ville. A tout de suite.
Pour l’instant, c’est du gâteau, les panneaux de signalisation sont grands et faciles à lire, il fait jour et même grand soleil, j’ai le GPS de mon fils qui gâte l’écoute de France Inter mais qui me rassure, j’ai le guide Michelin, j’ai le plan de la ville piqué sur Internet, j’ai mon téléphone portable qui est bien chargé et puis… j’ai une langue non ? Pour demander mon chemin si je me crois perdue.
Et voilà, bravo ma fille, Bernay tout droit, 4 kms.
Oh ! Les jolies chaumières, oh ! Les belles prairies bien grasses et leurs belles Normandes fessues en velours noir et blanc !
Maintenant concentration maximum, tu arrives en ville… la gare, c’est une bonne idée la gare, une place pour me garer, à l’ombre d’un… non ce n’est pas un pommier. Mais je rêve, la Brasserie est juste là en face de la gare, bien joué.
_ Bonjour Madame ! Je fais partie du Concours Alexandre Vos Ecrits, je crois que le point de rassemblement est chez vous, serais-je la première arrivée ?
Regard peu amène de la matrone qui me répond sur un ton glacial : si c’était le cas j’aurais été la première informée, non ?
_ Euh ! bien sûr, bien sûr. Je ne suis donc pas au centre ville ?
_ Non ! Vous êtes en face de la gare.
Je remonte penaude dans ma voiture bien fraîche (l’arbre), je recule sans trop regarder derrière moi car je cherche le panneau centre ville ; coup de klaxon mais sourire aimable d’un conducteur courtois. J’aperçois une pancarte : Intermarché… carburant à 1km ; je vais aller faire le plein du réservoir ce sera raisonnable. Le Normand est également un être raisonnable car une file immense de véhicules attendent la même chose que moi, l’accès à la pompe, petite différence, eux, ils ont également des jerrycans à remplir.
L’agacement pointe son nez sous la forme d’un léger affolement que je connais bien, premier Lexomil.
En sortant du parking, une camionnette retourne mon rétroviseur droit. Heureusement dans le bon sens. Le panneau centre ville est là, sous mes yeux. Ouf ! Quelques tours, détours, les rues deviennent plus étroites, je dois me garer. Fait. J’attrape mon cartable, verrouille les portières et me dirige vers une Brasserie fort accueillante.
_ Bonjour Madame ! Je fais partie du Conc…
_ Je vous arrête tout de suite, ce n’est pas chez moi.
_ Pardon Madame, combien y-a-t-il de Brasseries au centre ville ?
Autant qu’d’habitants me dit-elle dans un grand rire.
Je décide de partir à pied à la découverte de ces débits de boissons, je trouverai bien celui que je cherche avant la nuit, il n’est que 16h30.
Après une quête d’une bonne demi-heure sous un soleil de plomb, qui a dit qu’il faisait froid en Normandie au mois de septembre ? J’arrive enfin devant une énième brasserie PMU, dans laquelle j’entre pour me rafraîchir – mon ensemble en coton est à tordre – et boire une pression. Mon regard se pose sur une affichette, Concours Alexandre – Vos écrits, etc.… j’ai trouvé, je ne vais pas pleurer, c’est la fatigue, plus de cinq cent kilomètres, toute seule au volant.
Un Sms. Nous sommes à la gare, tu viens nous retrouver ? Nous irons ensemble à la Brasserie.
_ Nnnon ! Je vous attends devant ma bière, j’y suis déjà à la brass…
Mes belles dames arrivent. Moment d’émotion puis rires. Je ne connais personne, j’adore cette situation. En pleine félicité, une horrible pensée traverse ma pauvre tête.
Sur quel parking ai-je déposé ma voiture ? J’essaie de refaire mon parcours pédestre à l’envers, impossible.
P. me dit : il faudrait aller chercher un des concourants à la gare et ensuite nous pourrons aller à l’hôtel, peux-tu m’y emmener ? Ta voiture est garée loin ?
_ Oui… non, je veux dire, oui je t’emmène, non ce n’est pas loin, c’est entre ici et la gare par les rues commerçantes. Elle me regarde d’un air amusé et comprend que je ne sais plus en fait où je me suis garée. Nous partons joyeusement et par un hasard que je ne m’explique toujours pas, nous avons retrouvé sans peine ma p’tite auto.
Nous arrivons sans incident à la gare, puis nous partons à l’hôtel, là, tranquille, je roule derrière une voiture qui connait le chemin, j’essaie de repérer quelques trucs qui pourront me servir cette nuit pour revenir après le spectacle.
Nous repartons en ville pour dîner et je bavarde et je ris et je me gare comme je peux car il y a une vie nocturne à Bernay. Nous nous rendons tous à pied au théâtre depuis le restaurant.
P. et moi décidons de rentrer directement à l’hôtel afin de prendre un peu de repos, le lendemain sera très chargé en festivités.
Nous nous regardons et éclatons de rire… où nous sommes-nous garées tout à l’heure ? Aucun souvenir. Nous arpentons courageusement les rues et les parkings du centre ville, nous effectuons deux tours complets de la ville avant de retrouver ma garce de voiture dans une ruelle tout près du théâtre.
Nous prenons la route de l’hôtel, mais… il fait nuit noire, les repères du jour ont disparu et j’ai laissé le GPS dans ma chambre. Pour un trajet de 10mm nous avons dépensé une bonne heure.
Deuxième Lexomil.
Nous prenons la ferme résolution de nous garer le lendemain matin sur le petit parking à côté de la brasserie-point de ralliement. Ce projet était sensé mais c’était compter sans la foire du samedi matin qui ferme la ville aux automobilistes pour l’ouvrir aux piétons. J’ai fait des détours insensés pour trouver enfin une petite place dans une rue minable. Ah ! Je n’allais pas l’oublier cet emplacement !!!
Changement de jour, changement de temps, j’avais prévu m’habiller d’un charmant petit ensemble lin et soie. Le vent et la pluie lourde et grasse m’ont encouragée à me vêtir comme un vieux loup de mer, pantalon bleu en toile épaisse et gros caban de laine.
En marche vers le premier spectacle de rue je fais une emplette que je vais vite regretter : 3 kilos de pommes rouges et parfumées. Ces pommes ont gâché ma journée et celle de mon charmant prince Chako, car pour cause de ville fermée nous n’avons jamais pu les déposer dans ma voiture. Ainsi, ces belles pommes normandes sont allées de spectacles de rue en concerts au théâtre ; de musée en abbatiale, de bars en restaurants, de bras en bras et j’imaginais pour calmer mon courroux la verte prairie ensoleillée, les pommiers couverts de fleurs réjouissantes et parfumées comme des joues de petites filles, les premiers fruits mûrissants sous lesquels j’aurais tant aimé m’allonger pour les contempler et anticiper l’heureux moment où je les croquerais… mais non, je suis sous une pluie battante, les chaussures pleines d’eau et trois kilos de pommes à me coltiner jusqu’à plus d’heure.
Mon lit, des draps secs et chauds, une douche brûlante, s’il vous plait !
C’est alors que, dans la nuit froide et pas étoilée je me suis souvenue que j’avais oublié où j’avais garé ma voiture le matin.
Et, comme dans les contes, deux bonnes fées vêtues de brocard d’or, m’ont fait monter dans leur carrosse en argent et nous avons, dans une bulle de rire, abordé six beaux gendarmes, qui, après avoir compris que nous venions d’une autre époque, nous ont permis de retrouver la délinquante qui était garée près d’un transformateur électrique, ce qui explique sûrement pourquoi mon histoire se termine bien.
Janine Martin-Sacriste