
Chaque jeudi de ce mois de février je vous propose de découvrir une nouvelle de Joelle Pétillot, autrice et poétesse dont vous avez pu lire certains poèmes. Cette nouvelle est issue du recueil de nouvelles » Les petits miracles « . Joelle fait aussi parti des auteurs de la maison d’Edition » Fables Fertiles « . Et surtout n’hésitez pas à vous rendre sur la page FB de Joelle vous y trouverez textes, nouvelles et poémes…(https://www.facebook.com/joelle.petillot)
« Née dans une famille d’artistes, Joëlle Petillot a grandi entre les pinceaux de son père et le piano de sa mère. Tardive dans la famille, son arrivée inopinée a fait d’elle une « petite » à vie aux yeux de ses trois grands aînés, dont les deux premiers pourraient par l’âge être ses parents. Paradoxe, la bonne dernière de quatre a donc été élevée comme une fille unique. Ces décalages — qui l’ont nourrie — ont développé chez elle une conscience exacerbée de l’importance de la transmission. Dans sa vie professionnelle au sein des Hôpitaux de Paris, l’écriture l’a toujours accompagnée, comme un exutoire. Et la transmission la plus jouissive qui soit est pour elle de raconter des histoires. » (page auteur Balelio)
De plus en plumes
Le début est surprenant, inquiétant meme. Ces oiseaux d’une espèce inconnue qui se fracassent contre les vitres de maisons, les réactions très différentes des personnages ( angoisse, sidération, colère, satisfaction… ) ajoute à l’inquiétude …On se demande si on va vers les oiseaux d’Hitchcock ou si l’histoire va soudainement bifurquée comme ces oiseaux venus de nulle part qui tombent par centaines…Une présentation des personnages simple : des gens en quelque sorte ordinaires à première vue, avec leur caractères, leurs petite manies mais sans en dire trop juste assez pour sentir que l’essentiel n’est pas encore dit… Ça tient en haleine…et l’on se demande pourquoi eux et quel rapport avec les oiseaux si seulement il y en a un…? Et voilà que peu à peu, de plumes en plumes, les personnages se révèlent …Les oiseaux ne seraient ils là que pour eux uniquement pour eux ? et pourquoi ? Pour rattraper les erreurs, changer le cours de leur vie, leur permettre de faire la paix avec eux-mêmes, pour se retrouver ? Jusqu’à ce qu’éclate la vérité…sur qui ils sont vraiment et le lien qui les unit… une nouvelle tendre et dure avec Alzheimer en toile de fond et des oiseaux morts pour ne pas oublier le passé et reconstruire le présent… dur et tendre malgré tout.
Chapitre I

Quand les premiers oiseaux commencèrent à tomber, personne ne s’y attendait.
Que faire en un jour ordinaire, sinon vaquer ?
Mélanie Chantelle, après plusieurs hésitations sur la meilleure façon d’amener la chose, fit le choix de l’élégance via une lettre manuscrite pour clore une histoire d’amour devenue boulet. Albert ne lui était plus rien depuis bien avant qu’elle s’en rendît compte. Longtemps, le charme titillant de son absence de cheveux, comme son prénom désuet prononcé dans la pénombre sous l’effet de caresses peu imaginatives, mais à tout le moins efficaces, l’avaient contentée.
Jusqu’à ce jour de lucidité où elle croisa le nouveau voisin auréolé de boucles et dont le prénom branché s’affichait en cursives sur la boîte aux lettres : Jérémie Larcher.
Mélanie Chantelle, nourrie à des lectures freudiennes et ne croyant pas au hasard, sauta sur le signifiant du patronyme pour oser enfin rédiger une lettre de rupture qu’elle trouva admirable, après double relecture pour supprimer les fautes, en vain d’ailleurs, il ne s’en trouvait aucune. Mélanie maîtrisait mieux l’orthographe que les sentiments.
De son côté, Aliénor DAUTRY contemplait sans joie son reflet dans le miroir prévu à cet effet (la contemplation sans joie) suspendu à côté du portrait de son père, au mur du salon. Comme à l’accoutumée, au vu de la moustache martiale et du veston croisé elle se dit : « vieux con ». Aliénor pourtant n’avait guère eu connu ce géniteur réduit pour elle à une effigie inexpressive qui la fixait depuis son Olympe, sur ce foutu mur de ce foutu salon, le tout dans cette baraque de merde qu’elle détestait sans pouvoir la quitter, faute de moyens.
Un bruit précipité d’averse lui fit gagner sa fenêtre en ronchonnant. Elle eut le temps de penser sur les quelques mètres parcourus à différentes choses en vrac, comme changer de prénom : les fortunes qu’elle eût données pour se nommer Jeannette, Simone, ou Léa ne se comptant même plus. Comble de tout l’âge venant elle souffrait d’arthrite et devenait dure d’oreille. Saloperie de …
Au même moment, Louis Tournemine, menuisier de son état, livrait une bonnetière rénovée avec un vif amour du métier à une vieille dame charmante qu’il vénérait, tant pour la célérité avec laquelle elle réglait ses factures que pour ce geste adorable de joindre invariablement à son chèque un pot ou deux de confiture dont il n’avait jamais goûté ailleurs. Les noms, calligraphiés soigneusement, chantaient à son oreille avant de faire vibrer son estomac : Potimarron à la vanille, framboise au gingembre, compotée pomme-châtaigne...
Louis Tournemine, en se rendant dans cette demeure surannée éparpillée de livres, tentait de garder sa dignité de manuel en évitant de baver : les parfums venus de la cuisine à l’heure du thé lui donnaient pourtant du fil à retordre.
Lorsque les vitres crépitèrent sous ce qu’il prit d’abord pour une tombée de grêle, Louis Tournemine, assis devant une tarte au citron artistement meringuée, avait la bouche pleine et se mettait à croire en Dieu.
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Le docteur Brillet traversa le couloir de son service comme il traversait la vie : encombré d’hommages. Sa panoplie naturelle de baroudeur cheveux-gris-œil-vert-jade induisait chez le personnel féminin un frisson dont il se foutait, conscient de son homosexualité depuis l’âge de 15 ans.
Pour l’heure, il rassemblait son maigre courage pour entrer dans la chambre numéro vingt-quatre.
Il y resta peu de temps car les échanges avec la patiente s’avéraient problématiques : à quatre-vingt-sept ans allégés d’une mémoire intermittente, Elodie Parenty se souvenait toutefois avec acuité qu’elle détestait le praticien. Aussi le mettait-elle invariablement à la porte d’une royale main en mâchonnant « Je me porte très bien », et ne l’appelait jamais que « la libellule » : non pour ses préférences, par ailleurs insoupçonnées, mais à cause des pans de sa blouse trop grande qui ballotaient sur ses flancs, lui conférant ainsi des airs aquatiques.
Une infirmière résignée suivit de peu l’homme de l’art après un entretien très court (« J’ai la patate, dégage ») et entama la conversation d’une voix machinale.
– Bien dormi
– Kessapeu te foutre ?
La femme, quarantaine vaillante en ayant vu bien d’autres, lui entoura le bras de ce truc à bruit qui faisait scrchchchch, soi disant pour lui prendre sa tension. Garce.
– Encore eu ces rêves imbéciles. Vous serrez trop fort, Juliette
– Julienne, rectifia l’infirmière sans frémir.
– Julienne ? Un prénom pour la soupe. Vous rêvez souvent ?
– Kessapeu vous foutre ?
L’infirmière avait souri en imitant l’intonation à merveille. Elodie sourit de concert.
– Tu me plais, ma gosse. Tu rêves d’oiseau, des fois ? Parce que moi…
– Je rêve de rosiers, de pont, de ceinture de chasteté et d’ouvre -boite. Cela vous convient-il ?
Soudain, les vitres éclatèrent en mille bruits heurtés. Julienne les vit par la fenêtre, s’écrabouiller contre la vitre comme des fruits murs. Elle pensa stupidement au noyer de son enfance, au bruit des noix tombant dans le panier. Elle eut le temps de voir que ces oiseaux dégringolés en pluie (mais de quel ciel ?) lui étaient tout-à-fait inconnus.
– … Nous faudrait un ornithorynque, murmura Elodie.
– Ornithologue, reprit Julienne en s’éloignant, son travail terminé.
-N’empêche, continua Elodie, n’empêche. Il en pleut. Exactement comme dans mon rêve.
