Jacqueline Fischer – le bouchon

Stupidement, elle replaçait sans cesse le bouchon en équilibre sur le rebord de la bouteille et à chaque fois il retombait. Ce n’était pas pour tuer le temps à ces occupations infimes auxquelles on se livre dans les attentes vaines. Du moins pas seulement. C’était presque une révolte, contre les lois de la pesanteur et surtout les règles de son existence insipide.
Elle voulait vraiment que le bouchon tînt.
Il lui semblait que si cet équilibre s’établissait, alors quelque chose qu’elle désirait très fort sans oser se l’avouer se produirait, ou bien encore un événement qu’elle n’attendait plus depuis si longtemps au point que sa mémoire n’en avait gardé aucune trace, pas même de l’espoir qu’elle en avait conçu.
Il était bientôt midi, et il lui faudrait arrêter ce jeu incompréhensible à tout autre qu’elle pour préparer le repas.
Elle jeta un œil sur la viande qu’il fallait aplatir et rouler, sur la farce qui reposait dans un plat à décongélation, rose, dérisoire comme toute chair morte abandonnée. Si rose que ce n’était sans doute pas naturel.
Mais peut-être une fois encore avant de préparer les paupiettes de veau au vin blanc, replacer le bouchon funambule à la limite du déséquilibre sur le bord de la bouteille, le regarder osciller. Ivre.. .
(initiales lettre S)

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