Marion Lubréac (micro nouvelle horrifique) – LITIGE

– Pourquoi me fixe-t-il de la sorte ? Il m’empêche d’être !

Robert PIERCE se sentait très gêné par le lourd regard accusateur de PAGE qui le fixait maintenant depuis trois quarts d’heure exactement. Il n’osait ni se lever, ni bouger les jambes, ni même baisser les yeux.

– As- tu découvert ce que tu cherchais ? Demanda brusquement PAGE.

– Quoi… l ’ Absolu ? Pas encore ! Répondit aussitôt Robert PIERCE.

A cet instant, il se demanda s’il avait bien passé l’examen. Car bien sûr, cette question ne pouvait être qu’un test ! (Au moins avait- il à présent la faculté de bouger ses membres endoloris…)

Cependant, il nota que PAGE avait de nouveau le regard fixé sur lui. Il le regardait soigneusement, d’un air mi – amusé, mi – moqueur, et Robert PIERCE pensa qu’il avait exactement une tête de rat.

Que me veut-il donc ? Se demanda-t-il. Le regard de PAGE longea son visage et descendit subitement le long de ses bras qu’il songea un instant à dissimuler. Lui-même posa furtivement les yeux sur l’articulation, et il fut pétrifié d’horreur : son bras se fissurait !

Il y avait sur l’avant-bras une longue fente assez profonde : le seul fait de respirer approfondissait l’écartement, mais il fut étonné de ne voir aucune larme de sang…Les bords étaient nets et bien faits : c’était une belle blessure, pensa-t-il.

Mais il se rappela que sa situation n’avait quand même rien de normal. Il fouilla PAGE du regard : il était tout à fait tranquille, celui-là ! Il le contemplait, impassible. Pas un muscle de son visage ne frémissait. Il ne semblait même pas étonné. Il savait ce qui se passait pourtant. C’était même lui qui avait attiré son attention sur la fente qui se craquelait.

C’est alors qu’un petit soupçon jaillit dans sa pensée :

Ne serait-il pas le seul responsable de cette fissure ? PAGE n’aurait-il pas provoqué cela, de lui-même, pour une raison quelconque ? Bien qu’enflammé de colère, il se savait au fond coupable et se doutait bien que son attitude précédente devait être en relation directe avec le phénomène présent. C’est pourquoi il n’osa pas crier et gifler PAGE de toutes ses forces, bien qu’il en ait fortement envie. A peine osa-t-il prononcer, d’une voix molle et incertaine :

Je ne vois pas du tout d’où cela peut venir, PAGE, je n’ai pourtant manipulé aucune arme, puisque je n’ai pas voulu travailler aujourd’hui !

A ces mots, PAGE sortit littéralement de ses gonds :

Comment, misérable hypocrite, tu prétends que ta punition est injuste ? Tu oses affirmer que tu n’as pas mérité cela, que tu n’y es pour rien ? Infâme couleuvre, répugnant objet ! S’écria-t-il violemment. Il avait sauté sur la chaise où il était assis quelques instants auparavant, en brandissant très haut au-dessus de sa tête l’hebdomadaire qu’il venait de trouver dans le courrier.

Que peuvent-ils bien raconter là-dedans qui le mette dans une telle fureur ? S’inquiéta Robert PIERCE, qui ne tenait vraiment pas à mettre PAGE en colère (ils devaient vivre ensemble encore plusieurs mois avant son départ pour le nord ou l’est, peu importait). Il fixait avec effroi le journal qui menaçait de lui tomber rageusement sur le crâne.

Soudain, la colère de PAGE tomba d’un coup. Il descendit de la chaise et se rassit en souriant.

-N’aie crainte, après tout, nous n’en avons plus pour longtemps. La paix sera bientôt à l’image de ta vérité et la clarté régnera. Rassure-toi, vas, tu trouveras bientôt ce que tu as longtemps cherché. Tes efforts ont été louables et nous t’en remercions.

A ces mots, PAGE donna un violent coup de poing au centre de la table et la chaise de Robert PIERCE se désintégra au-dessus d’un immense trou noir, hérissé de pointes aiguës et baveuses d’acide.

Déséquilibré, Robert PIERCE alla donner de la tête contre un morceau de métal plat. Sa cervelle gicla sur les pointes et alla s’étaler près d’autres corps au fond du trou béant, sur un bloc de béton.

PAGE referma les battants, masquant ainsi le caveau. Il sonna. Une femme de ménage arriva en clignant de l’œil et lava les taches de sang qui maculaient le sol par places.

PAGE alluma une cigarette et se remit à écrire à son banquier. Dehors, il pleine lune brillait dans un ciel noir sans étoile.

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