
Leonardo de Vinci
Les artistes de grand talent sont souvent très susceptibles et n’admettent guère d’être importunés lorsqu’ils exécutent leurs œuvres. Le grand Léonard de Vinci était de ceux-là. Lorsqu’il fut chargé de peindre la célèbre Cène dans le couvent des Grâces, à Milan, le prieur Vincent Bandello s’aperçut que le peintre travaillait avec une lenteur désespérante. Il se risqua à quelques allusions, mais à chaque fois de Vinci répliqua qu’il était souvent arrêté par le désir de rechercher l’absolue perfection. Enfin la Cène parut toucher à sa fin. Il n’y manquait plus qu’un apôtre : Judas. Des semaines passèrent et le traître n’était même pas ébauché. Vincent Bandello finit par se lasser. Mais, comme il n’osait plus aborder l’artiste de front, il le fit appeler par le podestat de la ville qui le pria de mettre le plus rapidement possible un terme à sa tâche.
– Si je ne l’ai pas finie, expliqua Léonard de Vinci, c’est parce que je n’avais pas encore trouvé de modèle me permettant de rendre le caractère odieux de Judas. Ce modèle, je l’ai enfin découvert et je puis vous assurer que dans quinze jours j’aurai donné à la Cène mon dernier coup de pinceau.
Certes, le peintre tint parole. mais, lorsqu’on vint contempler le chef-d’œuvre, on constata avec surprise et consternation, que Léonard de Vinci avait donné à Judas les traits du prieur Bandello !

Michel-Ange
De la même manière, Michel-Ange se vengea de Biago Martinelli , maître des cérémonies du pape Paul III. Le génial artiste brossait à ce moment le « Jugement Universel » de la Chapelle Sixtine. Martinelli alla se plaindre au souverain pontife de l’excès de nudité des sujets peints par Michel-Ange. Ce dernier plaça alors l’image du maître des cérémonies dans la partie du tableau représentant l’Enfer, image quelque peu ridicule par l’adjonction d’un ventre énorme et d’une paire d’oreilles d’âne.
Outré Martinelli fit entendre ses doléances au pape, exigeant que son effigie soit effacée par l’artiste. Mais Paul III, qui aimait beaucoup l’artiste, répliqua, finement :
– Hélas ! Mon ami, je n’y puis rien y changer. Si vous vous trouviez dans le purgatoire, vous auriez eu quelques chances d’aller bientôt au Paradis. Mais vous êtes en Enfer, et il n’y a que Jésus-Christ qui puisse vous en tirer.

Girobamo Romanino
Nous terminerons en rapportant une autre anecdote dont le principal héros fut Girobamo Romanino, excellent peintre du XVIe siècle. La municipalité de Valcamonica l’avait chargé de peindre dans son église un gigantesque Saint-Christophe. Le prix qu’il lui était offert était dérisoire. Le peintre voulut le discuter, mais les parcimonieux édiles se refusèrent à verser un centime de plus. Romanino dépourvu de numéraire s’inclina.
Lorsque le tableau fut terminé et que l’artiste le dévoila aux yeux des édiles, ces derniers protestèrent. Saint-Christophe était vêtu d’habits qui lui descendaient à peine au-dessous de la ceinture.
– Avec le paiement que vous m’accordez, expliqua froidement le peintre, il m’était impossible de consentir à de plus grands frais d’étoffe.
Et cette fois les autorité du Vatican accordèrent une prime supplémentaire, afin que Saint-Christophe apparût dans une tenue plus décente.
Mardi 30 mai 1939 – F.Esvèbe