L’automne s’habillait de couleurs insolentes.
Bouquet final, ultimes éclats qui retomberont en pluie multicolore et laisseront bientôt le ciel vide et silencieux.
Un dernier sursaut de vie, un pied de nez à l’hiver, une sortie de scène magistrale.
Jeanne était en automne.
Elle avait laissé éclore ces dernières passions flamboyantes comme des roses tardives, magnifiques et vaines. Epuisantes d’être si fortes et si odorantes.
Elle ne regrettait rien. Elle sentait les prémices de l’hiver s’infiltrer doucement.
Un frisson, un nuage immobile qui masquait trop longtemps le soleil pâle, laissant une tâche d’ombre sur la plaine des jours.
Assise devant la fenêtre du salon, elle regardait le grand sapin du jardin de son enfance balancer ses bras lourds d’épines dans une danse qui épousait les assauts du vent et le transformait en géant ondulant. Des haillons flottants. Des rubans sur lesquels s’étaient écrits au fil du temps, les vœux, les rêves et les murmures de ceux qui lui étaient chers.
Un immense totem planté là il y avait un demi siècle, témoin muet dont les racines devaient maintenant être aussi profondes que celles qui la liaient aussi à cette terre .
Elle avait aimé tous les paysages qu’elle avait parcourus. Les plus arides avaient donné du relief aux plus beaux.
Rien ne l’ennuyait plus que les eaux dormantes.
A l’âge où certains se rassurent avec tout ce qu’ils ont amassé, bâti, Jeanne avait tout quitté, dérangé, détricoté, ne gardant que l’essentiel pour le fabuleux voyage.
Elle n’attendait rien., avançait pour ne pas perdre l’équilibre, se reposait dans l’incroyable force de la nature, dans les gouttes de lumières qui révélaient comme des loupes grossissantes, les petits bonheurs, les beautés cachées dans toute la laideur du monde.
Elle ne s’illusionnait pas, ne se désillusionnait pas.
Elle croyait en l’interaction du vivant et se sentait liée au delà de son identité avec cette minuscule forme de vie qui était apparue des millions d’années auparavant.
Responsable parce que faisant des choix, adaptable parce que ne niant pas ses erreurs. Imparfaite et parfois dure avec ceux qui confondait l’inaction et la fatalité.
De cet hiver qui allait venir, elle redoutait la force et les mains glacées qui lui étreignaient parfois le cœur.
De l’ignorance, elle redoutait les ravages.
De la peur, elle savait les engeances et la vénalité.
Sur le vieux banc de pierre, un écureuil s’était figé quelques instant et la regardait, espiègle.
Dans un éclair flamboyant, il disparut dans le grand sapin.
Jeanne sourit et se remit au travail.
2012…