Aujourd’hui encore elle se demandait comment elle avait pu échapper à la vigilance de sa mère.
En ce début du mois de juillet, elle s’était soudain retrouvée dans les rues d’un centre ville presque désert, s’étant donné pour mission ce jour-là d’aller chercher sa soeur aînée à la sortie de son travail.
Elle avait accéléré son pas, un peu oppressée par cette chape de silence qui pesait sur la ville.
Sa mère lui avait pourtant donné l’ordre formel de ne pas sortir, car depuis quelque temps on ne cessait de retrouver des cadavres de femmes et surtout de très jeunes filles, atrocement mutilés, à l’extérieur des villes.
La plupart du temps, elle étaient traquées et kidnappées dans des voitures qui sillonnaient les rues depuis la déclaration d’indépendance. Les restes des corps étaient disséminés dans les champs alentour.
Les trottoirs étaient complètement déserts et Sara sentit son coeur s’emballer à la vue d’un véhicule roulant à faible allure derrière elle.
Elle se trouvait seulement à mi-chemin quand elle eut la franche sensation d’être suivie. Elle se retourna pour s’en assurer et se trouva face à une vieille berline aux vitres teintées. Elle ne parvint pas à distinguer les visages du conducteur et des passagers mais, gagnée par un mauvais pressentiment, elle décida soudain de rebrousser chemin et de regagner le plus vite possible son domicile.
Elle se mit à courir comme une folle, s’imaginant déjà sous la totale emprise de ses ravisseurs. Sans ralentir sa course, elle se retourna pour voir si la voiture était encore là et elle l’aperçut, roulant toujours à la même allure derrière elle.
Il ne lui restait plus que quelques mètres encore avant d’atteindre le bout de la rue, la traverser et en s’engageant dans l’avenue perpendiculaire, elle serait presque arrivée au pied de son immeuble. Un point de côté lui coupa la respiration mais elle surmonta la douleur et s’efforça de garder le rythme.
– Cours Sara, cours, cours !!!
Encore un petit effort, se dit-elle, alors que son coeur battait à tout rompre dans sa poitrine et qu’elle dégoulinait de sueur.
– Tu n’vas tout de même pas finir ta vie ici et maintenant, dans ce pays qui n’est même plus le tien et que tu t’apprêtes à quitter dans quelques jours. Tu n’peux pas mourir déjà, c’est beaucoup trop tôt..! Cours Sara, cours, mais cours plus vite !!!
À bout de souffle, elle traversa la rue et s’aperçut que la voiture avait encore freiné pour prendre la contre-allée qui bordait l’avenue de sa résidence. Elle regarda autour d’elle et fut presque soulagée quand elle croisa un vieux couple sur le trottoir.
Le véhicule roulait toujours au ralenti juste derrière elle, quand elle put enfin pénétrer dans le hall de son immeuble. Elle grimpa quatre à quatre les escaliers des étages qui la séparaient du logement familial.
Arrivée devant sa porte, elle tambourina de toutes ses forces et quand sa mère lui ouvrit, elle s’effondra en larmes dans ses bras, presque au bord de l’évanouissement.
Depuis ce jour, Sara n’eut plus qu’un seul désir, fuir au plus vite cet endroit taché des bleus de son enfance.
BaBeL
