
Grady MUGISHO, les lectrices et lecteurs du Dix Vins Blog, le connaissent bien puisqu’il publie ses poèmes sur le blog depuis trois ans déjà (Grady de Christine). Ce jeune poète et auteur, originaire de Kinshasa (RDC) où il a vu le jour il y a 21 ans a souhaité s’impliquer davantage au sein du blog afin de pouvoir partager son ressenti, sa vision du monde et des sociétés qui le composent. Il nous proposera donc le 15 de chaque mois un billet sur un sujet qui parle de » l’humain « , de ses choix, de ses visions, de ses défis pour aujourd’hui et pour demain et comment tout cela interagit sur la société. sans compromis ni concession, c’est pas le genre !
» Comme le temps est devenu dur, plus dur avec ce nouveau monde connecté par les fils étranges groupés en un seul mot rocambolesque : technologie. Ainsi, cette série » comme Narcisse » s’invite comme un chant, profond et humain, c’est-à-dire ce temps où le » moi » surdimensionné est mis en valeur comme un trophée, où le réel et l’idéal sont séparés par l’apport de la technologie. Le voyage commence. « Grady MUGISHO
LES CŒURS SONT LA OÙ IL Y A L’INTERACTION
Depuis quelque temps, nous assistons à la version humaine du tableau de Van Gogh, c’est-à-dire une bande de prisonniers, tournant en rond sans cesse, et on ne sait ce qu’ils se disent ou ruminent : sûrement ils philosophent, s’arc-boutent avec, sur le silence, ce long fleuve qui n’est pas tranquille. Ils tournent, tournent en rond comme un triste vinyle. Mais ce n’est pas le silence qui brûlera nos tripes durant cette chronique, c’est autre chose, plus profond.
Depuis quelque temps, nous décidons de ce qu’on veut placer dans la ligne de mire: les images appropriées sur les écrans géants de New-York. Chaque passant peut les voir, les envier… l’objectif c’est ça. Étaler sa vie sur ce qui nous lie ce dernier temps, brise les frontières n’a rien de mauvais, c’est plutôt du progrès. Nos grands-pères nous le diront. Ce n’est pas grave si certains, les nostalgiques, disent le contraire, s’ils disent que selfies, posts, stories les choquent et qu’ils qualifient de cela d’un excès de … ?
– Grands-pères, c’est la modernité, il faut vivre avec le temps, être à fond en roulant les tambours. -Rouler à fond ? rétorquent en chœur les grands-pères édentés.
C’est là où le bât blesse, comme l’a dit Baudelaire : « à partir de ce moment là, la société immonde se rua, comme un seul Narcisse, pour contempler sa triviale image sur le métal ». Mais maître Baudelaire, épargnez-nous, s’il vous plaît, ces mots cuisant, nous ne sommes que des chercheurs : nous ne cherchons qu’à lier les fils, nous aimons l’interaction, Narcisse n’était qu’un nombriliste, tout comme la rivière.
Depuis quelque temps, une place considérable est occupée par « qu’est-ce que je suis libre, mon Dieu ! ». La toile est peuplée de nos « moi » en surenchère sous leurs meilleurs jours.
Ce n’est pas mal de s’aimer ainsi, d’offrir, à défaut de souffrir (nous sommes des starlettes sur notre communauté), ce qui est plus subtil, plus enivrant, plus enviant aux passagers à bord. C’est-à-dire ces photos retouchées plusieurs fois où les seins, les fesses, les lèvres pulpeuses, les tablettes chocolats… accompagnées de mots copiés-collés qui font de nous, du coup, des coachs de vie ( ah bah! Dieu rit) et qui ont la stature de nous faire oublier la réalité, surtout quand les « j’aime et j’adore » nous tombent dessus en pluie de bénédiction.
-Ah ! comme on aime surveiller les j’aime et les j’adore… ce sont nos biberons – on les suce en regardant la télé-, nos dieux de dopamine mettent tous nos sens en éveil pour qu’on puisse rester branchés, accros au sucre, comme si notre niveau de bien-être social dépendait de ça : des réactions de l’autre.
Répondre aux compliments, ça aussi, ça nous fait humain ! Contrairement à Narcisse, puisque nous aimons interagir. Ainsi, le plaisir doit être renouvelé, il faut alimenter sans cesse ce « moi » idéal ; et chaque jour, on devient de plus en plus des créateurs en pose : nous savons faire au moins quelque chose aussi dans la vie.
Avant de publier une photo, nous prenons plusieurs poses à la recherche de la perfection, en utilisant des filtres ou en retouchant les images, pour ne point trahir ce succès qui, en réalité, est illusoire ; on le sait mais on s’en fout royalement. Que nous rappelle cette histoire de recherche ? L’exemple de cet adolescent britannique qui a tenté, suite à plusieurs selfies, de se suicider faute d’arriver à un résultat satisfaisant. Imaginez la scène : il se prenait en photo jusqu’à 200 fois par jour, mais toutes lui semblaient moches. Mon Dieu ! pauvre Danny Bowman !
Depuis quelque temps, une question plus profonde, plus humaine soulève la poussière et nous pique aux yeux. Pourquoi avons-nous besoin de toutes ces mécaniques ? Une chose est sûre, nous ne sommes rien, des corps vides, alors pour exister nous avons besoin du regard des autres, un prétexte donc, pour qu’ils viennent mettre un peu de piment dans notre vie qui est, peut-être d’une solitude extrême ou remplie d’un sentiment d’abandon.
Une chose est sûre encore, nous ressemblons à ces prisonniers de tableaux de Van Gogh, qui tournent, tournent en rond sans cesse. Et À force de séparer le réel et l’idéal, devinez ce qu’on crée : le mal-être, biensur. Mais On s’en fout royalement, tant qu’il y a l’interaction, nous sommes comblés.
On pourrait penser que ce sont les réseaux sociaux qui font de nous des gens centrés sur leur nombril. Est-ce que, quand Zuckerberg a créé Facebook, c’était pour faire de nous ce que nous sommes ? Point d’interrogation, le débat est ouvert !