Ulysse. Johanne en avait rêvé enfant, parce que sa Maman lui en racontait l’histoire. Oh, doucement, par bribes, seulement. Sa voix était douce. Et l’histoire d’Ulysse, c’était devenu ça, pour elle, la douceur de la voix de sa mère. Page après page. Oh, l’histoire, elle ne s’en souvenait pas bien, mais des vagues de mots, si. C’était comme Ulysse, qui avait pris la mer. Tout quitté, pour quoi au juste ? Elle ne s’en souvenait pas, elle trouvait si terrible de quitter sa famille. Femme et enfant. Tout cet amour. Elle, elle voulait juste rester reliée à la douceur de la voix de sa mère. Ulysse y était sensible aussi, puisqu’il s’était attaché au mat pour résister au chant des sirènes. Voilà qui la fascinait.
Il était donc possible d’envoûter quelqu’un avec la voix. Quel prodige de la nature, tout de même. Toute la beauté, la douceur, le rythme dont est capable une voix seule.
Il lui paraissait incompréhensible que des créatures utilisent leur voix pour provoquer la perte d’un être … Pour elle, le chant était amour. A hauteur de l’ange. Une onde pour élever les cœurs à la douceur de l’air. Elle se sentait un peu comme Ulysse. Parce que sa famille avait fait naufrage et qu’un jour sa mère et son père n’avaient plus été là pour lui raconter l’histoire. Alors elle chantait, seule, des mots d’amour qui s’élevaient au ciel. Pour les retrouver. Oui, elle était certaine qu’ils le pouvaient. Elle levait les yeux au ciel et murmurait, à leur intention : « Dans la grâce maladroite du fol espoir, tout deuil au vent, je jette des mots d’amour dans le ciel ! »
Et elle pensait au chien de l’histoire. C’est peut-être le personnage qui l’avait le plus marquée car il était écrit que seul le chien avait reconnu Ulysse à son retour. C’était si unique, un visage. Elle avait la passion des visages. Elle les dessinait souvent. Elle aimait sourire à des inconnus. Cette lumière qui s’éclairait alors, sur toute la face, naissant du regard.
Elle ignorait encore qu’un jour, elle serait privée d’eux, comme Ulysse de ses camarades. Parce qu’une maladie, une Circé de malheur, les obligerait tous à porter des masques. Finie, la diversité, la multitude des grâces. Pour un temps. De l’histoire d’Ulysse, enfant, elle aurait dû entendre et apprendre la patience et la ruse. La persévérance.
Elle aurait dû l’apprendre du chien et de son amour inconditionnel.
