Je suis dans le tramway quand mon regard est soudainement attiré par un jeune homme tant la tension qui se dégage de lui est palpable. Son visage même semble s’ébranler. Il se transforme de seconde en seconde, ou plutôt quelque chose est en train de le transformer. La chose condense ses traits, les déplace, les rapproche et les serre. Elle lui vole encore sa bouche et la remplace par une ligne raide, minimale, cave, ponctuée d’un rictus. Ses narines se rétractent. Au-dessus les sourcils se sont rabattus, si froncés qu’ils paraissent plus épais, couvrant d’ombre les paupières. Baissées, les paupières. Et du regard ne reste maintenant plus qu’une sorte de faisceau, dirigé vers le bas comme une canne visant l’appui.
Du regard, je cherche un geste, un fait, qui puisse expliquer …
Et l’explication est là en effet, le long du corps de l’homme. Sa main se dirige, infiniment lentement, vers le sac de la vieille dame à ses côtés. Infiniment tentant de simuler la nonchalance à chaque espace gagné.
De toute évidence, il n’a pas l’habitude de voler… Je comprends alors que pour en être capable, il n’a pas eu d’autre choix que d’éprouver de la haine. Celle-là même qui a transfiguré son visage. Il en a trouvé la source en lui, il ne la lâche plus et puise en elle, l’invoque, la suscite, l’excite … Il la réinvente de la même façon qu’il doit imaginer la petite mémé méchante et riche, pour être capable du geste …
Je le regarde intensément et l’appelle intérieurement de toute ma force pour l’empêcher de faire le geste. Car dans cet instant, je ne sais pas comment mais je sais la chose possible… Et, en effet, il m’entend.
Avec la rapidité et la justesse d’un félin, le quelque chose en lui lève ses yeux sur moi, sa main retourne à sa poche, désaffecte le visage, qui redevient lisse.
C’est le temps d’un sursaut. Rien, absolument plus rien de la haine ne subsiste déjà dans ses traits ; c’est ahurissant mais je ne m’arrête pas : je continue de le regarder, de dire « non » intérieurement. Une infime hésitation, et il acquiesce.
Ensuite, il porte un doigt à ses lèvres. J’acquiesce de la tête. En un instant, je perçois qu’il pense à me menacer et se ravise car mon regard se durcit. Le tramway parvient à un arrêt, et le jeune homme se volatilise.
« Qui est pris qui croyait prendre ». Pris par la haine qu’il croyait prendre.
