Dédicace à l’artiste – Vincent Germani

La journée au lycée prit fin. Dans les rues, dans les jardins, sur les visages, le printemps s’était montré. J’entrai dans le tramway rejoindre le centre-ville de Saint-Etienne.

De l’âge bien connu du lycée, les amis, que vous reste-t-il ? Établissez vos souvenirs. Souvent, la phrase d’un livre ou d’un nouveau visage me saisissait, me possédait, m’exposait au contentement ou à l’angoisse la plus déchirante et le calme, la mesure, jamais, ne venaient. La critique et la bonne parole, tantôt l’une, tantôt l’autre, je les avalais crues. J’étais sous l’empire des regards extérieurs. J’eus peur des sirènes. Je célébrais des idées. Entre la théorie et les tempêtes, ma tête se fatiguait. Et vous ? Quand, enfin, avez-vous pris le parti de respirer ?

Campée sous les arcades fraîches de l’Hôtel de Ville, Anne lisait un journal. Les passants observaient pudiquement ses dessins et ses peintures. Certains s’arrêtaient et se livraient, entre bonheur et tracas. Je me mis à aimer sa présence. En fait, instinctivement, je la nommais Liberté. La rue reprenait ses couleurs. Dans le choix de ses œuvres, je voyais aussi une vie : là était le plaisir. Sa vie – qu’en sais-je ? – n’était pas toute exprimée dans ses créations. Or, quelque chose avait à être connu de l’artiste. Aujourd’hui, je le sais bien. Il s’agit de son humanité. Sans ambages, je demandai à m’asseoir sur son petit siège. Ce que plus tard, elle put me le rappeler en souriant !

Des semaines plus tard, parfois, je revenais. Anne et moi, nous parlions des vertus du dessin, des gens comme on se devrait de les aimer, du vent, des nouvelles du temps. Adolescent, cette conversation d’ordre général n’est jamais sommaire : vous vous croyez un peu plus réfléchi. Présent avec elle sur ce bout de trottoir, comment me souvenir exactement de cette sorte d’éducation à la simplicité ? Je souhaitais avec elle parler de tout et, de ce tout, m’en faire une idée claire pour enfin trouver du goût à mon existence. Quand parfois je crayonnais à ses côtés, j’essayais d’être le roi de ce moment bien que mes doigts eussent tremblé. De nos rencontres, je repartais léger et nourri.

Je me souviens d’une nuit, après celle qui m’avait conduit au cinéma du Square Jovin Bouchard. J’avais vu  » Parle avec elle  » ma première rencontre avec Pedro Almodovar. D’une certaine façon à cette époque, le Sud, sa définition essentielle me procurait les Meilleures sensations. Je m’étais plu à voir dans les oeuvres d’Anne le Mexique, L’Afrique et les gitanes andalouses. Cette rêverie ne concerne que moi et tapisse mes souvenirs. Anne aimait réaliser ce qu’il lui semblait bon, voilà tout. Pour elle, j’imagine qu’aujourd’hui ce principe demeure. Le mois de juillet, donc, agissait sur mon imaginaire. Ce fut d’ailleurs la seule fois où l’artiste m’invita à son domicile. Où est-elle désormais ? Qu’importe, je ne veux me rappeler que de ce moment. Il ressemble à une scène heureuse observée dans le verrou du temps.

Vous, chers amis, combien de fois êtes-vous passés sous les arcades de l’Hôtel de Ville ? Plus anciennement, vers le Cours de la Libération, quelle a été votre conversation avec Anne ? Un jour, l’avez-vous retrouvée sur la place d’un marché ? Savez-vous qu’elle a tant voyagé, aussi, comme ceux portant sur leur dos un baluchon ? Quelle âme sentez-vous battre dans ses peintures ? Rappelez-moi sa technique : l’aquarelle, me semble-t-il ? Et de ses couleurs, quelle est pour vous la dominante ? Comme moi, en ville, aimez-vous ses apparitions ?

Anne Lordey

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