Février 2022
ce texte fait partie d’une petite histoire que j’ai écrite durant les vacances de mes petites-filles. Je le partage avec vous aujourd’hui
JanineMartin Sacriste

Madame la Comtesse, sœur de la mère de Gudule est partie chez le notaire tôt ce matin en conduisant elle-même la Torpédo, ce qui n’est pas dans ses habitudes.
Gudule et Violette , sa cousine, assises sur une marche du grand escalier, énumèrent sans conviction les différentes activités qui pourraient les amuser.
La vie de château n’est agréable que dans les livres !
La grande cuisine, la souillarde, les salons, la bibliothèque et les chambres sont envahies par les petites bonnes.. Que faire ?
Leurs yeux sont soudain attirés par une enveloppe en épais papier jaune posée sur la console du vestibule.
Elle est adressée à la Comtesse et l’écriture leur semble étrange… quant au timbre… un tigre effrayant, est tamponné plusieurs fois depuis Macao et Hong Kong. Le gros Atlas dans la bibliothèque leur confirme que cette lettre vient de Chine !
Gudule décide qu’elles doivent lire cette lettre sans attendre. Elles se rendent sans bruit dans la buanderie située à l’extérieur du Château. Gudule pose une bassine en fer emplie d’eau sur le réchaud à gaz et allume l’appareil… elle passe et repasse plusieurs fois l’enveloppe au-dessus de la vapeur et victoire, le rabat se décolle facilement. Les fillettes rangent soigneusement le matériel utilisé et court vers leur cabane pour lire cette mystérieuse lettre.
Sur un papier jaune agréable au toucher il est écrit :
» Ma chère sœur,
La mafia chinoise me cherche des poux dans la tête, je vais donc fermer provisoirement le tripot et la fumerie d’opium et je vais venir trouver refuge au Château pour quelques mois.
Tu ne peux refuser mon arrivée car je pense contribuer largement à ton train de vie dispendieux ; et ainsi je pourrais renouer les liens distendus entre moi et ma fille qui va devenir une vraie paysanne avec la vie austère que tu lui fais mener.
Je te téléphonerai mon jour et heure d’arrivée.
Lee Cage«
Gudule et Violette se regardent folles d’excitation, enfin il se passe quelque chose d’intéressant au Château.
La Comtesse revenue, elle prend la lettre remise à sa place par les fillettes et s’enferme dans son bureau d’où elle donne de nombreux coups de téléphone.
A l’issue du sinistre déjeuner où seuls les bruits des couverts sont autorisés, la Comtesse annonce aux deux fillettes que l’abbé Chamèle viendra les chercher demain matin pour les emmener en stage de voile à Quiberon.
Patatras… Gudule est furieuse. Non ! Pas l’abbé Chamèle, ses yeux de poisson mort et son toc qui consiste à tripoter frénétiquement les petits boutons de sa soutane au niveau de son entrejambe !
Las ! Ni les pleurs ni les gémissements n’attendrissent, la Comtesse, Gudule, Violette et l’abbé Chamèle prendront le train demain matin.

Les malles apportées par le chauffeur du château attendent sur le quai de la gare.
Le train pour Nantes est annoncé, il y aura un changement pour aller jusqu’à Quiberon, l’abbé Chamèle aura la lourde responsabilité de bien gérer ce transfert, de faire porter les bagages jusqu’au nouveau wagon, de trouver un taxi jusqu’au lieu du stage de voile et surtout de veiller sur la sécurité des deux fillettes durant tout le séjour.
Sa lèvre supérieure transpire. « Ce n’est pas normal « , susurre Gudule à l’oreille de sa cousine Violette. Gudule ricane bêtement mais avec une assurance affichée qui met l’abbé de plus en plus mal à l’aise. Que peut bien mitonner cette horrible gamine ? Et Violette n’est pas plus fiable, totalement soumise à sa cousine.
Gudule a appris très tôt à naviguer avec sa mère, d’abord sur un Argonaute puis sur un Vaurien ; des bouts au safran rien ne lui est inconnu sur ce type d’embarcation. Elle naviguait ventre à la mer quand elle n’avait pas encore huit ans.
Mais c’était avant… avant que sa mère ne parte à Macao.
Aussitôt arrivés à Quiberon et installés dans la vieille demeure familiale, Gudule s’empare de la bicyclette rouillée trouvée dans le hangar à bateau et se rend dans un magasin d’articles de pêche… un nouveau caprice, pense l’abbé Chamèle. Elle ressort de la boutique avec un sac assez lourd mais ne propose pas de montrer ses achats.
Le soir venu, dès que Gudule entend Violette gémir et pleurer sous les caresses habituelles et maladroites de l’abbé Chamèle, elle se précipite dans la chambre de ce dernier.
Elle déleste rapidement la poche intérieure de la soutane du lourd portefeuille confié par la Comtesse pour régler les frais afférents au séjour et elle remplit la même poche d’un poids identique en plombs de pêche à la ligne.
Puis, chantant à tue-tête, elle se dirige vers la chambre de la pauvre Violette, prisonnière de l’abbé affectueux et pervers. Elle fait mine de ne rien remarquer de la tenue débraillée du prêtre ni des larmes de sa cousine. L’enjeu du lendemain est autrement important que ces peccadilles !
Avec une partie du pécule dérobée dans la soutane de l’abbé Chamèle, Gudule prend la décision de louer un Corsaire pour se rendre sur les Îles des Glénans. Tous les documents qui l’autorisent à effectuer ce prêt sont dans le porte-feuille… ce cher abbé n’est pas de la famille, n’est-ce pas ? Sa tante la Comtesse conseillée par son avocat a tout prévu, sauf… que Gudule avait depuis longtemps déjoué ses plans pour spolier sa propre sœur partie en Asie et qui pourtant… alimente généreusement les caisses du Château !
Elle a prévu les cartes, les jumelles marines et le sac de provisions de bouche.
Le soir même, à table, elle annonce à l’abbé et à sa cousine qu’ils prendront la mer le lendemain pour les Glénans car le club local n’a pas de petit voilier disponible pour la durée de leur séjour.
Hormis la légende du Christ marchant sur les eaux l’abbé Chamèle ignore tout du monde maritime, quant à Violette elle voue une confiante admiration pour Gudule qui incarne tout le culot dont elle voudrait elle aussi faire preuve.
-Lever sept heures. Sous-vêtements chauds, bottes et cabans pour tous… même pour vous l’abbé !
Ce dernier cache mal une grimace agacée. Cette gamine se permet vraiment tout ! Mais prévenir la Comtesse ne servira à rien… il le sait bien ! Il n’a pas d’autre choix que de suivre cette « Marie-j’ ordonne » qu’il déteste.

Petit-déjeuner pris en silence, sacs marins logés dans les coffres de rangement, l’abbé Chamèle, Violette et Gudule embarquent sur le Corsaire qui les attend le long du quai du club.
Une petite houle chahute un peu le voilier dés la sortie du port.
Gudule à la barre tient bon l’écoute de grand voile, Violette s’occupe du foc, l’abbé Chamèle marmonne à voix basse puis en regardant les fillettes l’une après l’autre, les informe d’un ton sinistre que le portefeuille contenant papiers et argent remis par la Comtesse a disparu de la poche de son vêtement… ont-elles quelque chose à voir dans ce larcin ?
D’une seule voix, Gudule et Violette lui assurent qu’elles ne comprennent pas un mot de cette étrange information. Est-ce à dire qu’elles ne pourront plus jamais revenir au Château ? Violette arrive même à tirer quelques larmes de ses beaux yeux bleus.
Gudule hausse les épaules et d’une voix ferme dit à l’abbé que c’est lui l’adulte responsable et qu’il lui appartient de trouver une solution.
Une vague sournoise tape fort contre le bastingage ! Un vent fort se lève.
L’abbé, tenez-vous prêt à passer à tribord sur mon ordre… parez à virer ? On vire !
La grand voile faseye légèrement et la baume se fracasse contre le crâne du pauvre abbé qui tombe à l’eau tout empêtré dans sa longue et lourde soutane.
Que faire ? L’urgence c’est tenir le cap, la barre et les écoutes.
Violette ! Borde le foc !
L’abbé Chamèle, tel une grosse méduse noire, s’enfonce irrémédiablement dans les creux de vague de plus en plus profonds.
Gudule et Violette manœuvrent avec dextérité et surtout avec une seule idée en tête, arriver aux Glénans et oublier au plus vite ce pénible accident.
Mais quand même, quel balourd cet abbé Chamèle, aussi mou que son nom de sauce blanche.

Accostage sans autre incident sur l’île principale des Glénans.
Gudule se rendit aussitôt au bureau d’accueil pour les informer de leur arrivée et surtout décrire l’horrible accident survenu durant la traversée depuis Quiberon et ayant entraîné la mort de ce malheureux abbé Chamèle, ami fidèle de la Comtesse sa tante et mère de la petite Violette.
Par chance, avant l’embarquement, l’abbé avait déposé son porte-documents à bord du Corsaire et ainsi elles avaient encore leurs papiers d’identité et suffisamment d’argent pour terminer leur stage et retourner au château familial.
La gendarmerie maritime fut averti pour éventuellement retrouver le corps du prêtre et des recherches furent lancées sur-le-champ.
La direction des Glénans s’employa à réconforter les deux fillettes et après une bonne nuit de sommeil elles purent intégrer le groupe de stagiaires et abandonner le masque de tristesse qu’elles avaient adopté ces derniers jours.
La fin du stage venue, le Directeur en personne pris la barre du Corsaire pour les ramener à Quiberon, les aider à prendre leurs bagages à l’hôtel et les conduire à la gare pour prendre leur train.
Grande fut leur surprise quand elles découvrirent à l’arrivée que Lee Cage la mère de Gudule était là et seule pour les ramener au château.
La joie des fillettes fut de courte durée.
Lee Cage leur apprit que la Comtesse s’était pendue dans la chapelle du château en apprenant la noyade de l’abbé Chamèle.
Elle avait laissé une courte lettre où elle avouait qu’elle était la maîtresse du prêtre depuis son adolescence et que Violette était leur fille.
Un hoquet incontrôlable empêcha la fillette d’exprimer surprise et dégoût… l’homme d’église qui abusait d’elle depuis sa petite enfance n’était autre que son père…
Le soir venu, Gudule vint rejoindre sa mère dans son lit et exigea d’en savoir plus sur les relations compliquées entre elle et sa propre sœur la Comtesse.
Lee Cage lui raconta alors, qu’après une grossesse compliquée ayant brutalement arrêtée ses études, un accouchement prématuré et traumatisant, des parents morts en lui léguant à elle seule le château et leur fortune, une vie conflictuelle permanente avec sa sœur s’était installée.
Elle avait dont décidé de partir en Asie, à Hong kong, plus précisément à Macao et son goût pour le jeu lui fit ouvrir un tripot clandestin qui permit à sa famille restée en France de vivre confortablement puisque la Comtesse était incapable de gérer sa petite part d’héritage et les caprices de son amant.
Mais, moi maman pourquoi m’as-tu laissée ici ?
(silence)
Mais, qui est mon père ?
L’abbé Chamèle… mon violeur.
