Leïla Huissoud, le coup de cœur de Pierre Thevenin

L’ombre Auguste ( 2018 : studio)

(2016 : live : extraits de plusieurs spectacles)

A priori, une artiste qui, non seulement s’est « compromise » dans « The voice », mais en a été lauréate, ne serait pas de notre chapelle ? Erreur sur toute la ligne : nous tenons là une pépite ! Heureusement que je n’ai pas joué les grands esprits, la repoussant d’un revers de menton, et que je l’ai écoutée. N’ayant jamais regardé l’émission en question, je croyais bêtement que c’était de la pâte dont on fait les tubes dispensables. Mea maxima culpa ! En allant voir sa biographie, j’ai lu ensuite que cette demoiselle de souche iséroise avait été biberonnée à Barbara, Moustaki et, last but not least, tonton Brassens, à qui elle rend plusieurs hommages comme on le verra.

En plus, elle a commencé sa « carrière » dans la rue et en a gardé une présence scénique étonnante, avec une sacrée dose de fantaisie. Une petite bonne femme de 26 ans qui, par certains côtés, me rappelle Agnès Bihl.

S’il faut ajouter une autre référence et parce qu’elle a inscrit à son répertoire « La vieille » (l’anti- Orpea), de Patrick Font et, du même, « Infidèle » (qui ne se trouve pas sur les albums), deux titres désopilants, je citerais Évelyne Gallet qui a également repris, entre autres, ces deux chansons (là, il vous faut remonter aux premiers balbutiements du présent blog : en 2009).

À la télé, elle a choisi d’interpréter « Caravane » de Raphaël (vous conviendrez qu’il y a pire !). Sa « voice » n’a rien à voir, Dieu merci, avec celle d’une diva, elle est à portée de cœur, légèrement voilée, expressive à souhait. Mis à part les deux titres mentionnés un peu plus haut, tout est de son cru. Et elle écrit et compose avec une étonnante maturité.

Les deux CD commencent par une adresse au public, avec, dans le deuxième, nettement plus de culot : en live, elle demande en quelque sorte aux gens, avec un naturel peu courant, de l’aider à surmonter sa fragilité assumée, son trac (avec une intro musicale répétée plusieurs fois, comme si elle n’arrivait pas à démarrer) :

«Y a rien de plus flippant qu’vos regards

Parce que j’ les prends en pleine figure…

C’qu’est bien quand on est trouillarde

C’est qu’il faut du courage pour tout

On s’cramponne à la rambarde

Mais on est fier d’être debout. »

Dans « La farce », en revanche, elle affiche un mépris simulé pour ses prestations et pour les gens qui l’écoutent :

« Valsons si y a qu’ça pour s’nourrir, ça nous f’ra les pieds en trois temps

J’vous aime pas, c’est encore pire j’préfère vos souliers à mes dents … « .

À la fin de l’album, on retrouve cette agressivité amusée dans une métaphore musicale :

« Peut-être que je chanterai pas la chanson qui vous a fait venir

Et les rappels, quand y’en a pas, c’est qu’j’ai plus rien à dire

Alors si mon art piège je peux vous l’accorder

J’suis une merde en solfège et pour la note, j’vous laisse payer ».

Il faut citer également « Chianteuse » (coucou, Agnès Bihl !) :

« La ronchon d’la chanson

L’acharnée du pamphlet

La mal peignée du diapason

La pleureuse du sonnet

L’empaffée au micro

Sensible et torturée »

Sans doute plus sensible que torturée et, en tout cas, toujours bigrement originale (histoire d’atténuer l’émotion) :

« Tu ressembles à une pharmacie …

Mais j’aurai quand même tous les ans

Une nouvelle vignette à mon pare-brise ».

(« Lettre à la Suisse »)

Encore un exemple : amoureuse délaissée :

« J’me suis vue agripper mon ventre

Parce que j’en avais besoin

D’ce truc qui serre et qui maintient

Pour aller jusqu’au matin

Et j’retiens l’odeur de ses mots

Qui venaient s’échouer sur ma peau

Au creux des phalanges il me reste

Un peu de la beauté du geste

(« En fermant les yeux »)

Vous l’aurez compris, ce n’est pas de la chanson engagée au sens où on l’entend couramment, de celle qui prétend donner des leçons au premier degré :

« On f’ra un enfant communiste

Sur la plus petite des montagnes

Le plus gland des alpinistes

Se fout qu’Lénine soit en campagne

On en sort moins élégant

Mais il en faut pour les perdants

L’mpossible montre l’espoir

Faisons un enfant ce soir »

(« Un enfant communiste)

« Voilà le temps de partir sans avoir personne où aller (belle trouvaille, et c’est bien loin d’être la seule !)

Je sais pas quoi construire mais pas d’envies c’est pas de regrets »

(« La niaise »)

Nul message, donc, mais elle affirme, sans la moindre ambiguïté, sa prédilection pour ce que l’on peut appeler la chanson d’expression (« chanson à texte » est devenu un peu trop passe-partout) :

« J’vous ai vus sauter dans la foule, j’vous ai vus faire lever des mains …

« Pourtant j’troquerais pas mon français qui sent le vin rouge à plein nez,

Le bistrot du coin, la musette, les champs d’lavande et la violette,

J ‘resterais pendue à la moustache de celui qui m’a bercée,

Les chansons subtilo-potache, l’accent sétois, le faux sourire gêné ».

(« Mon français »)

Dans les hommages, Brassens a la part belle : Indirectement dans « Alexis HK » (alias Djohkounian), un chanteur qu’elle s’amusait à imiter lorsqu’elle était au petit coin (je crois qu’ils ont tous fait ça, surtout quand il y avait un miroir en face) et qui, outre ses propres compos, pas suffisamment connues (« L’homme du moment » ou « Les affranchis »), a consacré un spectacle entier au moustachu (mis en scène par François Morel, excusez du peu, et immortalisé par un album).

Et, dans « Le vendeur de paratonnerres », Leïla procède à la même démarche que « Les Brassinades » (voir coup de cœur de 2014) en inventant en quelque sorte un prolongement à « L’orage », du moins en nous donnant le point de vue du cocu :

« Je défonçai de suite son pompeux portail

Lui qui en toute conscience en avait fait de même

Avec le postérieur de la femme que j’aime

Que je couvrais de perles depuis nos épousailles ».

Allez, encore un petit coup de griffe avant de terminer : dans « Les comédies en streaming », elle replonge dans son éducation sentimentale à grand renfort de classiques du cinéma, après quoi les deux derniers vers tombent tel un couperet :

« Et si je m’adresse aux jeunes filles, c’est qu’les garçons depuis longtemps ont trouvé leurs

équivalents …

Pour ceux qu’ont pas l’amour facile, il y a Youporn pour soigner leurs tourments ».

Il n’empêche, après ce tour d’horizon non exhaustif (très loin s’en faut), on retiendra peut-être surtout l’aspect faussement cynique et l’on aura envie de lui dire ce que l’intervieweur adressait affectueusement à Agnès Bihl (eh oui, encore elle) la première fois que j’ai entendu cette « chianteuse » plus âgée à la radio : « Au revoir, petite peste ! ». Au revoir et, surtout, un immense merci !

Si vous voulez en savoir plus et passer de riches moments (écoutez, pour finir de vous en convaincre, les vidéos que notre blogueuse Elsapopin a mises en ligne ci-dessous), vous trouverez ces deux premiers albums (en attendant la suite qui ne manquera pas d’arriver ; laissons la demoiselle et le temps faire leur œuvre !) chez tous les bons disquaires.

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