Pascal Depresle – Bonjour Docteur (3)

– Bonjour docteur !

– Bonjour.

– Docteur, il faut que je vous parle d’un truc.

– Vous allez encore me bassiner avec votre syndrome d’abandon ? Vous savez, on en a fait le tour, la balle est dans votre camp !

– Je sais, docteur. D’ailleurs j’ai renoncé à mes pancartes aimez-moi, à mes appels masqués sur les réseaux sociaux du ronronnement du like, ce pouce levé, tribun romain, qui m’allait si bien. J’ai bien travaillé, un jour je vous montrerai de quoi je suis capable, d’être moi, simplement moi, sans fard ni costume de carnaval ou de clown.

– Vous n’avez pas peur d’avoir déjà fait du vide autour de vous, que vous en soyez contraint à vouloir me montrer de quoi vous êtes capable ?

– Possible, docteur. Sans doute, même. Mais j’écris toujours, et si, je le sais, la solution n’est pas que dans l’écriture, docteur, vous verriez ce que je peux faire autrement, par exemple …

– Nous sommes amoureux ?

– Nous deux ? Ben non, docteur, quelle idée.

– Alors vous n’avez rien à me prouver, à me montrer, pas à moi. Etait-ce l’objet de votre visite ?

– Un peu. Mais pas que. Je viens vous faire une confidence. Figurez-vous que je suis aupiedumuriste.

– C’est quoi ce truc ? Jamais entendu parler.

– Enfin docteur, allons ! Aupiedumuriste, c’est que je ne fais bien les choses que quand je n’ai plus le choix.

– Bref, vous procrastinez.

– Pas une seconde, docteur, j’aupiedumure. J’aime la caresse violente du parpaing brut en pleine gueule, les morceaux de peau que j’y laisse, mes écorchures et les traces de sang que ça provoque. Qui s’impriment aussi. Ça me donne l’impression d’être un artiste qui graphe les parois de sa vie. Alors qu’au fond, je suis juste un poisson rouge qui se cogne à son bocal. C’est étonnant l’effet grossissant ou non, selon que l’on se trouve dans le bocal ou à regarder tourner le poisson.

– Vous vous blessez ?

– Oui, docteur, parfois. Mais je blesse bien souvent plus les autres, ceux que j’aime. C’est violent un mur de parpaings bruts. Ce qui est paradoxal, puisque quand on l’observe de l’extérieur, c’est une paroi ronde et lisse, sans angles ni aspérités. Un aquarium.

– Et ça se manifeste autrement ?

– Docteur, allons !

– Si, si, poursuivez.

– C’est par exemple attendre dimanche pour rendre quelque chose le lundi matin première heure. C’est attendre que la main cloque pour relâcher un fer rouge. Que l’être aimé s’en aille pour savoir que je pouvais, que je savais faire autrement. Prendre en pleine gueule l’aspérité du béton brut pour m’exclamer « oh, voilà le mur, qu’il est grand ! », même si j’avance dans son ombre depuis des heures. C’est par exemple dire je veux aller en randonnée, et à la vue des sacs pleins et prêts, déclarer que je n’ai pas envie, que je préférerais aller au cirque ou voir des cracheurs de feu.

– En fait, vous ne savez pas ce que vous voulez.

– Si, docteur, mais je ne sais pas le dire.

– Avez-vous déjà tout simplement essayé d’être naturel ?

– Naturel ? Oui, il y a longtemps. On m’a moqué, blessé, j’ai été malheureux.

– Ah, parce que là vous êtes heureux ?

– Non, c’est vrai. Mais je m’attends toujours au pire, comme ça ….

– Foutaises ! Vous faut-il détester le parfum de toutes les roses parce qu’une seule vous a piqué ?

– Docteur, c’est pas Le Petit Prince, ça ?

– Désolé, je croyais que c’était Freud. Mais ça le vaut largement.

– A mon avis, plus encore.

– Parce que vous avez des avis ?

– Sur tout, docteur. Enfin surtout. Mais de ce côté-là j’ai appris à me taire.

– Comment appelez-vous cette chose, déjà ?

– L’ aupiedumurisme !

– Drôle de nom.

– Oui, docteur, mais d’étonnantes blessures.

– Vous aimez ça ?

– Pas du tout.

– Je vais me renseigner sur votre pied de je ne sais plus quoi.

– Aupiedumurisme, docteur.

– Merci, je le note.

– Ce sera tout pour moi.

– Alors à une prochaine fois.

– Euh, docteur, c’est gênant, mais comme vous ne connaissiez pas, ce sera cinq cents euros.

– Vous plaisantez, j’espère ! Je connaissais, c’est juste votre mot que j’ignorais. Vous l’avez inventé pour que je vous écoute !

– Quand bien même, docteur ?

– Quand bien même, vous vous foutez de moi, oui !

-Cinq cents euros pour un mot et une histoire, c’est pas cher payé, docteur.

– Vous continuez à vous foutre de moi ?

– Non, docteur. Disons cinq cents euros et je vous offre en prime un de mes recueils dédicacé.

– Ben mon garçon, vous ne manquez pas de culot !

– Si, docteur, c’est de ça qu’il s’agit. Qui me pousse toujours à en faire trop ou pas assez. Disons quatre cents et le livre au choix, ça vous va ?

– Vous êtes un auvergnat, ce n’est pas possible autrement !

– Mince vous saviez, docteur ?

– Ah non, j’ai dit ça comme ça.

– Méfions nous des clichés, docteur, ils sont si réducteurs.

– Parce que vous êtes vraiment auvergnat ?

– Oui, docteur.

– Tenez vos cinq cents euros, je ne veux pas y passer la journée.

– Non, quatre cents, maintenant.

– Vous les faîtes exprès ?

– Et pour la dédicace, docteur ?

– Quelle dédicace ? Ah oui, j’avais oublié, la dédicace.

– Docteur, c’est blessant.

– Oui, bon, je ne l’ai pas fait volontairement.

– Voilà, vous comprenez enfin. Donc pour la dédicace ?

– J’hésite entre escroc et rien d’autre.

– Le pied du mur, docteur, le pied du mur. Alors ?

– Ne mettez rien, signez juste.

– Docteur ?

– Les plus jolis mots sont ceux qu’on ne prononce pas, c’est bien que vous m’aviez dit un jour ? Alors pourquoi devraient ils s’écrire ?

– Bravo docteur. Vous apprenez vite.

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