J’écrivis cette série de vers parce que j’eus soudain envie de croquer un fruit de l’arbre qu’une divinité inconnue avait planté au fond du jardin, entre un buisson d’orties et la mare aux canards.
Je dormais sur ma planète
Je dormais sur un tapis
Je dormais sur la carpette
Je dormais sur un parvis
Je dormais dans un escalier
Je dormais sous un peuplier
Pendant ce temps, monde sphérique,
Boule amère et craquelée
Tu roulais, tu tournais,
Tu tourneboulais, toute gaie
Comme un inarrêtable bilboquet
Tandis que je dormais
La tête sur un chat
La tête sur un édredon (quelle drôle d’idée ?)
La tête dans ses bras
La tête sur un mouton,
La tête sous une croix,
La tête en bas,
La tête en l’air,
La tête sur une cafetière
Je voyais ma vie en rêve
Je voyais ma vie sans trêve,
Un esquif sur une grève
Un Ulysse aux petits bras
Sur une barque à fond plat
Le long des berges d’un canal, attend Pénélope
Qui traîne dans des milieux interlopes
Tandis que son mari, hop !
Se tape une nymphe au Calypso
Puis rembarque, hisse et ho !
Pour d’autres galères sur son radeau
Sa friable coque de noix
Se bagarrant dans des tavernes à soldats
Avec d’ombrageux cyclopes
Tandis que la sémillante Pénélope
Fait patienter d’ambitieux politiciens
Rêvant de poser sur le trône leur arrière-train
Je m’éveillai au son d’un tambourin
Au son d’un chant de marin
Au son d’une clochette
Au son d’une tempête
Au creux de mon émoi
Au creux d’un merveilleux sous-bois
Apaisé par une si belle nuit
Je résolus de partir aussi
À l’aventure, à l’assaut
Prenant les illusions au lasso
Pour les forcer à m’être soumises
Pour troquer contre ma chemise
Un bateau qui prend l’eau, un cheval rétif,
Une auto vêtue de rouille, un inoffensif canif,
Afin de faire la nique aux serpents de mer,
De dégommer quelques futiles adversaires
De conquérir l’énigmatique Lune
De franchir du désert les coruscantes dunes
Afin d’atteindre l’inaccessible oasis
De parvenir enfin à une indicible catharsis
D’accoster nocturnement sur des rivages de sable
Où m’attendent des flibustiers anonymes et pitoyables
Enivré et exalté de tant de rhum et de candeur
Près de flammes d’une incroyable hauteur
Je m’endormirai sur ma planète
Faisant le songe d’un fleuve que rien n’arrête
Auprès de ma Reine à qui je soufflerai, au réveil, à demi-mot :
« Viens ! Viens ! Vivons, il est encore tôt ! »
