
J’aurais pu puiser n’importe où dans l’œuvre ô combien abondante et variée du cofondateur de ce blog. J’ai choisi l’une de ses dernières livraisons, un petit opus que j’ai acquis lors de la Fête du Livre à Saint-Étienne, où le confinement est évoqué à plusieurs reprises. On trouve même deux dates : mars 2020, celle où notre infortuné poète erre, l’âme en chagrin, en mal de « magasins », de « bistrots » de « restaurants », de « cinoches ouverts » et, tout à la fin, celle où l’ouvrage est paru : octobre 2021.
Quatre nouvelles, brèves mais tellement riches ! (« Désir et désert, désert et désir », qui donne, à peu de chose près, son titre au recueil, «Psychiatrist Blues », Histoire de Monsieur Lapin qui ne vivait que pour les trèfles à quatre feuilles » et « Goutte de sang, goutte de pluie »).
Sans vouloir cultiver le paradoxe, je garderai la première pour la fin.
La troisième, au titre long comme un jour sans vin, nous parle donc d’un lapin, une des bêtes favorites d’Henri (il y a aussi les matous : son unique point commun, Dieu merci, avec la Madone du FN !), et plutôt deux fois qu’une : homme de théâtre autant que de poésie et de littérature, ne l’ai-je pas vu jouer, il y a quelques années, au sein de la compagnie « La phalène », dans une pièce de Coline Serreau intitulée « Lapin lapin » ?
Le titre de la nouvelle est suffisamment explicite. Nul besoin de détailler. Disons simplement que l’animal, après bien des efforts infructueux, en répondant à un réflexe de générosité gratuite, trouve enfin son Graal, les trèfles qu’il cherchait obstinément.
Dans « Psychiatrist Blues », on est en pleine pandémie et en plein délire avec une interversion inattendue du soigné et du soignant. Le narrateur se rend chez un médecin de l’âme (comme le chantait Brassens, un moustachu à ajouter, dans son Panthéon, aux deux bêtes susnommées) qui s’apprête à lui prescrire des antidépresseurs, notamment un remède qu’il nomme « Nickmakron » à prendre juste avant le coucher (pour prévenir les cauchemars ?).
Mais, au contraire de tous les autres patients faisant la queue devant le cabinet, ce n’est pas du tout cela qu’il est venu chercher. C’est un peu plus coquin, autrement dit plus « merlesque ».
Il identifie dans le toubib, lorsque celui-ci ôte son masque pour se moucher, un vieux condisciple (un surnommé Fa-dièse : le plus proche du sol) qu’il protégeait à la récré et qui a de nouveau besoin de lui pour ne pas se flinguer devant le défilé incessant des victimes mentales du virus ; ils échangent donc les rôles et ça dure jusqu’à l’aube, puis il revient quotidiennement pour d’autres « séances » dûment arrosées. En guise de médoc, il apporte du sauciflard, l’homme de l’art se chargeant du rouquin.
Je me garderai bien de déflorer le contenu du texte final, le plus bref mais le plus intense (qui figure dans « Poésie en Stéphanie 2021», le livret annuel du Cercle des Lettres et des Arts (CLA), association stéphanoise dont Henri fut longtemps le président) : une merveille où, encore une fois, la bonté fait bon ménage avec l’inspiration de l’artiste (un zeste de paillardise, de la fantaisie et beaucoup d’humanité : c’est tout Henri). Je ne vous en dirai pas plus.
Dans la première nouvelle (nous y voilà !), notre ami (au sens le plus authentique du terme, il ne s’agit pas d’une formule) poète déambule en quête d’inspiration.
Comme il ne trouve rien de convaincant dans les rues ni dans les nuages ni chez Belzébuth, il se décide à entreprendre une longue virée intergalactique en compagnie d’ET et reviendra quelque 100 000 ans plus tard .
Voilà qui explique le fait que, depuis quelque temps, on ne le voit plus par chez nous. On se disait bien, aussi, qu’il tenait trop à sa pipe pour la casser !
En bonus, je vous offre in extenso un autre texte en vers qu’il m’a donné il y a longtemps. Il s’intitule « Chansonnette savonnette ». Il n’est pas autobiographique. La mésaventure, m’a-t-il confié, est survenue à l’un de ses copains :
Hier encore, dans la salle de bains,
Tandis qu’elle astiquait ses tout petits seins,
Sa rose fleurette à la savonnette,
Jamais de refrains ni de chansonnettes.
Maintenant, les gars, j’en reste baba,
Elle chante cha bidou bidou ba.
Moi, j’en déduis à son comportement
Que Madame vient de prendre un amant.
Et là, j’ai senti que venait l’hiver :
C’est plus à l’endroit ni même à l’envers
Qu’elle s’attarde dedans la cuisine
À beurrer les faces de ma tartine :
Je reste au pain sec comme un vieux croûton
Tandis qu’elle chante Adi dou ron ron :
Moi, j’en déduis à son comportement
Que Madame vient de prendre un amant.
Vais-je jouer au jaloux sicilien,
Les tuant, elle, ses lapins, le chien,
Ou jouerai-je, romantique, morose,
Chopin chopant une tuberculose ?
Allons plutôt retrouver les copains :
Au bar des Marins je les cherche en vain :
Moi, j’en déduis à leur comportement
Que Madame a pris bien plus d’un amant.
Pour vous procurer « Désirs et déserts »(moyennant 5 euros, c’est donné) et maintes autres productions d’Henri, une seule adresse :
Abribus
La stéphanoise d’écriture
14 rue Georges Tessier
42000 Saint-Étienne
NB. Avec ce coup de cœur, je n’ai pas vraiment quitté l’univers de la chanson puisque nombre des poèmes d’Henri ont été brillamment mis en musique et enregistrés par Claude Graziano. Les CD sont également disponibles chez Abribus. Qu’on se le dise !
