PETITS PLAISIRS SOLITAIRES -Patricia Ligouis Fort

Jeanne riait intérieurement en épelant ces trois mots.
Elle savourait d’avance la supercherie.
Non pas qu’elle n’ait pas pu écrire sur ce sujet brûlant.
Mais les petites douceurs auxquelles elle pensait, étaient d’un autre registre.
Faire l’étoile dans le ciel du lit et s’enrouler à loisir dans la plume de la couette.
Se réveiller en pleine nuit, s’envelopper dans un vieux plaid hideux, les cheveux en bataille et écrire, écrire.
Écrire ces mots qui faisaient tant de bruit, qu’il fallait les attraper dans la lumière de la lampe, comme des éphémères.
Ne pas prévoir le repas du soir.
Commencer par le dessert.
S’autoriser un quart de baguette rillettes.
Attraper les cornichons avec les doigts.
S’autoriser un quart de baguette Nutella et pleurer pour la cinquième fois devant « The Holiday ».
Danser devant la glace en écoutant » I can’tget no (satisfaction) ».
Rentrer par la campagne et regarder le soleil se coucher.
Rouler sans but à la recherche d’une émotion et prendre la photo de ce moment qui n’appartient à personne d’autre.
Se perdre.
Faire la baleine dans son bain et y rester jusqu’à ce que la peau ondule.
Aller voir sa mère aussi souvent que l’on en a envie.
Relire toutes les lettres d’amour de ses ex.
Perdre la notion du temps à une terrasse de café et imaginer des vies de ces passants pressés.
Partir. Revenir, sans que personne n’en sache rien.
Bader pour rien et n’en dire rien.
Choisir de rencontrer, de partager ou pas.
Et tant d’autres…
Sans culpabilité.
Vivre.
Alors oui, c’était difficile, parfois.
Une marginalité qui éloignait de la « norme » et faisait fuir « les vies bien rangées ».
La solitude du corps en manque de tendresse.
Les épaules douloureuses de trop porter.
Jeanne donnait ce temps dont elle disposait à sa guise, aux
« essentiels » et celle qu’elle serait à l’issue de cette traversée en solitaire, Dieu seul le savait.