Les plus textes d’amour de la littérature : Notre Dame de Paris – Victor Hugo.

Victor Hugo

16 Fevrier 1831, Le troisième roman de Victor Hugo, tout juste agé de 29 ans, parait. Il s’agit d’un roman moyenâgeux avec pour héroïne la cathédrale  » Notre Dame de Paris « . Le succès est immédiat et populaire et le livre se vend comme des petits pains. La cathédrale est devenue sous sa plume un personnage vivant, dont les splendeurs architecturales restent à jamais dans la mémoire du lecteur à tel point que désormais et pour toujours  » personne ne se hasardera à y toucher « . Rappelons qu’à l’époque, oubliée, presque en ruine, il était question de la démolir… Avec ce roman la cathédrale redevient un lieu de ferveur et les gens s’y ruent pour la visiter. Notre Dame est sauvée et va même être restaurée et devenir au fil du temps un des symboles de Paris et de la France.

 » Rien de plus sulfureux que cette immense cathédrale, son parvis où grouille la misère, son prêtre halluciné par le désir, son gnome habité par la grâce, sa princesse en haillons, ses murs de forteresse qui ne protègent ni du vice ni de la mort. Les démons et les anges s’y affrontent, indifférents aux souffrances humaines, combattants éternels dont les âmes sont l’enjeu. «  (Anonyme)

Pittoresque, flamboyant, grandiose Notre Dame de Paris est Un roman historique fantastique et romantique. Une histoire d’amour au cœur des pages de l’Histoire, cruellement belle.

 » Dans un vaste espace laissé libre entre la foule et le feu, une jeune fille dansait. Si cette jeune fille était un être humain, ou une fée, ou un ange, c’est ce que Gringoire, tout philosophe sceptique, tout poète ironique qu’il était, ne put décider dans le premier moment, tant il fut fasciné par cette éblouissante vision.

 Elle n’était pas grande, mais elle le semblait, tant sa fine taille s’élançait hardiment. Elle était brune, mais on devinait que le jour sa peau devait avoir ce beau reflet des Andalouses et des Romaines. Son petit pied aussi était andalou, car il était tout ensemble à l’étroit et à l’aise dans sa gracieuse chaussure. Elle dansait, elle tournait, elle tourbillonnait sur un vieux tapis de Perse, jeté négligemment sous ses pieds ; et chaque fois qu’en tournoyant la rayonnante figure passait devant vous, ses grands yeux noirs vous jetaient un éclair.

   Autour d’elle tous les regards étaient fixes, toutes les bouches ouvertes ; et en effet, tandis qu’elle dansait ainsi, au bourdonnement du tambour de basque que ses deux bras ronds et purs élevaient au-dessus de sa tête, mince, frêle et vive comme une guêpe, avec son corsage d’or sans pli, sa robe bariolée qui se gonflait, avec ses épaules nues, ses jambes fines que sa jupe découvrait par moments, ses cheveux noirs, ses yeux de flamme, c’était une surnaturelle créature. « 

*****

Le lendemain matin, elle s’aperçut en s’éveillant qu’elle avait dormi. Cette chose singulière l’étonna. Il y avait si longtemps qu’elle était déshabituée du sommeil. Un joyeux rayon du soleil levant entrait par sa lucarne et lui venait frapper le visage. En même temps que le soleil, elle vit à cette lucarne un objet qui l’effraya, la malheureuse figure de Quasimodo. Involontairement elle referma les yeux, mais en vain ; elle croyait toujours voir à travers sa paupière rose ce masque de gnome, borgne et brèche-dent. Alors, tenant toujours ses yeux fermés, elle entendit une rude voix qui disait très doucement :

-N’ayez pas peur. Je suis votre ami. J’étais venu vous voir dormir. Cela ne vous fait pas de mal, n’est-ce pas, que je vienne vous voir dormir ? Qu’est-ce que cela vous fait que je sois là quand vous avez les yeux fermés ? Maintenant je vais m’en aller. Tenez, je me suis mis derrière le mur. Vous pouvez rouvrir les yeux.

Il y avait quelque chose de plus plaintif encore que ces paroles, c’était l’accent dont elles étaient prononcées. L’Égyptienne touchée ouvrit les yeux. Il n’était plus en effet à la lucarne. Elle alla à cette lucarne, et vit le pauvre bossu blotti dans un angle de mur, dans une attitude douloureuse et résignée. Elle fit un effort pour surmonter la répugnance qu’il lui inspirait. -Venez, lui dit-elle doucement. Au mouvement des lèvres de l’Égyptienne, Quasimodo crut qu’elle le chassait ; alors il se leva et se retira en boitant, lentement, la tête baissée, sans même oser lever sur la jeune fille son regard plein de désespoir.

-Venez donc, cria-t-elle. Mais il continuait de s’éloigner. Alors elle se jeta hors de sa cellule, courut à lui, et lui prit le bras. En se sentant touché par elle, Quasimodo trembla de tous ses membres. Il releva son œil suppliant, et voyant qu’elle le ramenait près d’elle, toute sa face rayonna de joie et de tendresse. Elle voulut le faire entrer dans sa cellule ; mais il s’obstina à rester sur le seuil.

-Non, non, dit-il ; le hibou n’entre pas dans le nid de l’alouette.

Alors elle s’accroupit gracieusement sur sa couchette avec sa chèvre endormie à ses pieds. Tous deux restèrent quelques instants immobiles, considérant en silence, lui tant de grâce, elle tant de laideur. A chaque moment, elle découvrait en Quasimodo quelques difformités de plus. Son regard se promenait des genoux cagneux au dos bossu à l’œil unique. Elle ne pouvait comprendre qu’un être si gauchement ébauché existât. Cependant il y avait sur tout cela tant de tristesse et de douceur répandue qu’elle commençait à s’y faire.

Il rompit le premier ce silence. -Vous me disiez donc de revenir ?

Elle fit un signe de tête affirmatif, en disant :

-Oui.

Il comprit le signe de tête. -Hélas ! Dit-il comme hésitant à achever, c’est que… je suis sourd.

-Pauvre homme ! s’écria la bohémienne avec une bienveillante pitié.

Il se mit à sourire douloureusement. -Vous trouvez qu’il ne me manquait que cela, n’est-ce pas ? Oui, je suis sourd. C’est comme cela que je suis fait. C’est horrible, n’est-il pas vrai ? Vous êtes si belle, vous !

Il y avait dans l’accent du misérable un sentiment si profond de sa misère qu’elle n’eut pas la force de dire une parole. D’ailleurs il ne l’aurait pas entendue. Il poursuivit :

-Jamais je n’ai vu ma laideur comme à présent. Quand je me compare à vous, j’ai bien pitié de moi, pauvre malheureux monstre que je suis ! Je dois vous faire l’effet d’une bête, dites. -Vous, vous êtes un rayon de soleil, une goutte de rosée, un chant d’oiseau !

-Moi, je suis quelque chose d’affreux, ni homme, ni animal, un je ne sais quoi plus dur, plus foulé aux pieds et plus difforme qu’un caillou !

Alors il se mit à rire, et ce rire était ce qu’il y a de plus déchirant au monde. Il continua :

-Oui, je suis sourd ; mais vous me parlerez par gestes, par signes. J’ai un maître qui cause avec moi de cette façon. Et puis, je saurai bien vite votre volonté au mouvement de vos lèvres, à votre regard.

-Hé bien ! Reprit-elle en souriant, dites-moi pourquoi vous m’avez sauvée.

Il la regarda attentivement tandis qu’elle parlait.

-J’ai compris, répondit-il. Vous me demandez pourquoi je vous ai sauvée. Vous avez oublié un misérable qui a tenté de vous enlever une nuit, un misérable à qui le lendemain même vous avez porté secours sur leur infâme pilori. Une goutte d’eau et un peu de pitié, voilà plus que je n’en paierai avec ma vie. Vous avez oublié ce misérable ; lui, il s’est souvenu.

Elle l’écoutait avec un attendrissement profond. Une larme roulait dans l’œil du sonneur, mais elle n’en tomba pas. Il parut mettre une sorte de point d’honneur à la dévorer.

-Écoutez, reprit-il quand il ne craignit plus que cette larme s’échappât : nous avons là des tours bien hautes ; un homme qui en tomberait serait mort avant de toucher le pavé ; quand il vous plaira que j’en tombe, vous n’aurez pas même un mot à dire, un coup d’œil suffira.

Alors il se leva. Cet être bizarre, si malheureuse que fût la bohémienne, éveillait encore quelque compassion en elle. Elle lui fit signe de rester.

-Non, non, dit-il, je ne dois pas rester trop longtemps. Je ne suis pas à mon aise. C’est par pitié que vous ne détournez pas les yeux. Je vais quelque part d’où je vous verrai sans que vous me voyiez : ce sera mieux.

Il tira de sa poche un petit sifflet de métal.

-Tenez, dit-il : quand vous aurez besoin de moi, quand vous voudrez que je vienne, quand vous n’aurez pas trop d’horreur à me voir, vous sifflerez avec ceci. J’entends ce bruit-là.

Il déposa le sifflet à terre, et s’enfuit.

*****

« Jamais je n’ai vu ma laideur comme à présent. Quand je me compare à vous, j’ai bien pitié de moi, pauvre malheureux monstre que je suis ! Je dois vous faire l’effet d’une bête, dites. – Vous, vous êtes un rayon de soleil, une goutte de rosée, un chant d’oiseau ! – Moi, je suis quelque chose d’affreux, ni homme, ni animal, un je ne sais quoi plus dur, plus foulé aux pieds et plus difforme qu’un caillou ! »

[…]

Il la regarda attentivement tandis qu’elle parlait. « J’ai compris, répondit-il. Vous me demandez pourquoi je vous ai sauvée. Vous avez oublié un misérable qui a tenté de vous enlever une nuit, un misérable à qui le lendemain même vous avez porté secours sur leur infâme pilori. Une goutte d’eau et un peu de pitié, voilà plus que je n’en paierai avec ma vie. Vous avez oublié ce misérable ; lui, il s’est souvenu. »

*****

– Oh ! Dit le prêtre, jeune fille, aie pitié de moi ! Tu te crois malheureuse, hélas ! Hélas ! Tu ne sais pas ce que c’est que le malheur. Oh ! Aimer une femme ! Être prêtre ! Être haï ! L’aimer de toutes les fureurs de son âme, sentir qu’on donnerait pour le moindre de ses sourires son sang, ses entrailles, sa renommée, son salut, l’immortalité et l’éternité, cette vie et l’autre ; regretter de ne pas être roi, génie, empereur, archange, dieu, pour lui mettre un plus grand esclave sous les pieds ; l’étreindre nuit et jour de ses rêves et de ses pensées ; et la voir amoureuse d’une livrée de soldat ! et n’avoir à lui offrir qu’une sale soutane de prêtre dont elle aura peur et dégoût ! Être présent, avec sa jalousie et sa rage, tandis qu’elle prodigue à un misérable fanfaron imbécile des trésors d’amour et de beauté ! Voir ce corps dont la forme vous brûle, ce sein qui a tant de douceur, cette chair palpiter et rougir sous les baisers d’un autre ! Ô ciel ! Aimer son pied, son bras, son épaule, songer à ses veines bleues, à sa peau brune, jusqu’à s’en tordre des nuits entières sur le pavé de sa cellule et voir toutes les caresses qu’on a rêvées pour elle aboutir à la torture ! N’avoir réussi qu’à la coucher sur le lit de cuir ! Oh ! ce sont là les véritables tenailles rougies au feu de l’enfer ! Oh ! Bienheureux celui qu’on scie entre deux planches, et qu’on écartèle à quatre chevaux ! – Sais-tu ce que c’est que ce supplice que vous font subir, durant les longues nuits, vos artères qui bouillonnent, votre coeur qui crève, votre tête qui rompt, vos dents qui mordent vos mains ; tourmenteurs acharnés qui vous retournent sans relâche, comme sur un gril ardent, sur une pensée d’amour, de jalousie et de désespoir ! Jeune fille, grâce ! Trêve un moment ! Un peu de cendre sur cette braise ! Essuie, je t’en conjure, la sueur qui ruisselle à grosses gouttes de mon front ! Enfant ! Torture-moi d’une main, mais caresse-moi de l’autre ! Aie pitié, jeune fille ! Aie pitié de moi !

Le prêtre se roulait dans l’eau de la dalle et se martelait le crâne aux angles des marches de pierre. La jeune fille l’écoutait, le regardait. Quand il se tut, épuisé et haletant, elle répéta à demi-voix : – Ô mon Phoebus ! Le prêtre se traîna vers elle à deux genoux.

– Je t’en supplie, cria-t-il, si tu as des entrailles, ne me repousse pas ! Oh ! Je t’aime ! Je suis un misérable ! Quand tu dis ce nom, malheureuse, c’est comme si tu broyais entre tes dents toutes les fibres de mon coeur ! Grâce ! Si tu viens de l’enfer, j’y vais avec toi. J’ai tout fait pour cela. L’enfer où tu seras, c’est mon paradis, ta vue est plus charmante que celle de Dieu ! Oh ! Dis ! Tu ne veux donc pas de moi ? Le jour où une femme repousserait un pareil amour, j’aurais cru que les montagnes remueraient. Oh ! Si tu voulais !… Oh ! Que nous pourrions être heureux ! Nous fuirions, – je te ferais fuir, – nous irions quelque part, nous chercherions l’endroit sur la terre où il y a le plus de soleil, le plus d’arbres, le plus de ciel bleu. Nous nous aimerions, nous verserions nos deux âmes l’une dans l’autre, et nous aurions une soif inextinguible de nous-mêmes que nous étancherions en commun et sans cesse à cette coupe d’intarissable amour !
Elle l’interrompit avec un rire terrible et éclatant.

– Regardez donc, mon père ! Vous avez du sang après les ongles !

Le prêtre demeura quelques instants comme pétrifié, l’oeil fixé sur sa main.
– Eh bien, oui ! Reprit-il enfin avec une douceur étrange, outrage-moi, raille-moi, accable-moi ! Mais viens, viens. Hâtons-nous. C’est pour demain, te dis-je. Le gibet de la Grève, tu sais ? Il est toujours prêt. C’est horrible ! Te voir marcher dans ce tombereau ! Oh ! Grâce ! – Je n’avais jamais senti comme à présent à quel point je t’aimais. Oh ! Suis-moi. Tu prendras le temps de m’aimer après que je t’aurai sauvée. Tu me haïras aussi longtemps que tu voudras. Mais viens. Demain ! Demain ! Le gibet ! Ton supplice ! Oh ! Sauve-toi ! Épargne-moi

*****

Deux ans environ ou dix-huit mois après les événements qui terminent cette histoire, quand on vint rechercher dans la cave de Montfaucon le cadavre d’Olivier le Daim, qui avait été pendu deux jours auparavant, et à qui Charles VIII accordait la grâce d’être enterré à Saint-Laurent en meilleure compagnie, on trouva parmi toutes ces carcasses hideuses deux squelettes dont l’un tenait l’autre singulièrement embrassé. L’un de ces deux squelettes, qui était celui d’une femme, avait encore quelques lambeaux de robe d’une étoffe qui avait été blanche, et on voyait autour de son cou un collier de grains d’adrézarach avec un petit sachet de soie, orné de verroterie verte, qui était ouvert et vide. Ces objets avaient si peu de valeur que le bourreau sans doute n’en avait pas voulu. L’autre, qui tenait celui-ci étroitement embrassé, était un squelette d’homme. On remarqua qu’il avait la colonne vertébrale déviée, la tête dans les omoplates, et une jambe plus courte que l’autre. Il n’avait d’ailleurs aucune rupture de vertèbre à la nuque, et il était évident qu’il n’avait pas été pendu. L’homme auquel il avait appartenu était donc venu là, et il y était mort. Quand on voulut le détacher du squelette qu’il embrassait, il tomba en poussière.

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