LETTRE-POEME, 17 août 2021 – Vincent Germani

Bien sûr, par gros temps ou en eau calme, ses voiles ailées ou déchirées, dans ta nef pleine de fous – j’en sais quoi ? -, j’ai peu séjourné. Mon sou sincère, je le verse dans la fontaine des Marges puis « m’en va », j’ai faim de solitude. Je vous aime bien, tellement, vous donnez au présent, vous la Faune, les errants, les sensuels, les revenus et les revenants, les chahuteurs, les vivants : mes images. Je t’inscris dans ce cercle. Sous une brume grasse, vers un couchant de bières, j’avance, tel quel. Tu es là, donc, et j’ignore quelles lignes de toi se marient aux miennes. Je ne bataille pas dans tes arènes. J’entre en prudence dans tes cavernes. J’observe les marchands de poisons et leurs goûteurs assoupis, tout ce vin. Comment ce royaume étrange que jamais je n’embrasse fait de moi ton semblable ? C’est le poème. C’est le poème étendu que tu extrais de tes festins, la conscience que tu poses sur tes ivresses, le roux de l’aube sur le Christ-Roi ou le Tage qui lave les veines. C’est ta survivance. C’est le sens qu’il y a à entrer dans le labyrinthe. Se perdre en vaut la chandelle.

C’est le poème que j’engouffre dans mes yeux comme le vent dans une antre. C’est ma conscience que je fais nue devant la vie, mes nuits comme des jours – là maintenant -, le roux de l’aube sur mes yeux rouges, ma mémoire longue, ma pieuse mémoire qui lave mes manquements à l’élan. C’est ma survivance. Ta foi de feu, la mienne de cieux. Cette justesse très au fond. Cette permanence.

Je te vois. Je me propose témoin. Bonne fée, je te devine de loin. Les épreuves de ta chair et ta transe m’échappent, mais j’y crois. Je crois en ton expérience, en ton usure au nom de, aux noms et couleurs de ta meute, à l’étoile qui te câline en fin de nuit, perchée au-dessus de l’Atlantique noir, des tentes de partout, des tantes aux crinières bleues, le son qui s’endort, le festin dans tes veines qui est content, au tigre à nourrir. Je suis bien mal placé pour t’inciter au soin et à la prudence. Danse bien. Vers une autre fête tu iras, tu y rendras ton œil fou, cent corps agités autour. Tu entres dans les forêts et tu en ressors tant que Dieu le veut. Tu m’expliques peut-être qu’il faut faire violence à son sang, faire d’une nuit une ruine, passer les joyeuses ténèbres, se mouiller à la fantaisie, brûler l’ange, cavaler vers les démons pour que matin revienne et je t’entends, je t’entends si bien d’une chambre (à Saint-Etienne) où mes traces s’entassent, où pleut le doute, là où sinon j’affine mon âme comme se caresse une argile au stylet. C’est là ma vie. Le temps n’existe plus. Un manuscrit mauvais me vaut une aspirine. L’autre meilleur gonfle mes poumons. J’y ai plusieurs mémoires à vivre, comme un bon vampire dans sa bière aspire l’air moite d’une tour, le goût du sang en moins, celui de l’amour à souhait. Tu es l’une d’entre-elles. Toi, tu sais la vie brute, tu sais les herbes bleues, les potions, les fioles et les cachets. Je sais le souvenir et dans ma fiole secrète, aussi, il luit et ne périt pas. De ma chambre je t’entretiens, amie, comme une âme.

J’ai bravé mon angoisse insoutenable, celle de l’avion. Ce rafiot perce le Tage, de Lisboa à Almada. Le bleu intense du fleuve m’intéresse. Tu es assise face à moi, cheveux blonds torsadés et nuque rasée. J’aime la petite chambre que tu me laisses, j’y froisserai du papier, j’y baiserais bien des petits corps. Tu as de grandes lèvres, des plis à la peau comme des preuves de vie, du sourire aux yeux gercés. Adolescent, je te rencontre Vénus, de Vienne ou d’Italie, danseuse, furieuse, suante et nourricière. Je viens aimer tes métamorphoses. Je bénis ta route. Je ne touche pas d’un doigt ta folie, la mienne me ravage, mon calme est roi, indispensable à ma vision, à la netteté de mes mots. Je te sais d’une méditation, d’une nuit ratée où je me morfonds de mes brouillons, qui fait qu’alors je pense à mes conquêtes d’amis, à cette garde autour de mon lac de solitude.

Ma mémoire est longue. Et la tienne aussi.

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