Monseigneur – Gregory Ladret

Texte issu de la revue poétique Poésie en Stéphanie 2021

Il est l’heure, Monseigneur… Il s’agit de ne point tarder, car l’heure tourne, les grains de sable du temps s’écoulent, Monseigneur.

Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi l’on dit :  » je tue le temps « , alors que c’est lui précisément qui nous tue, Monseigneur.  » Toutes blessent , la dernière tue « , dit-on des heures, Monseigneur.

Peut-être ne les voyez-vous pas passer, ces heures, Monseigneur, au creux de vos draps douillets, mais nous, Monseigneur, qui trimons du lever au coucher, nous sentons dans notre dos que le temps fait son oeuvre, Monseigneur. Toutes les aubes que Dieu fait nous voient nous lever péniblement pour accomplir notre labeur, Monseigneur, pour satisfaire à vos exigences. Nos mains s’emplissent de raideur, notre visage de laideur et tout notre corps de froideur. L’ardeur ne nous manque pas, Monseigneur, pour apporter à Monseigneur tout le confort et le réconfort dus à son rang. Nous nous allongeons épuisés sur votre lit, perclus de douleur, nous demandant avec candeur :  » Monseigneur a-t-il bien été servi ? Avons-nous été à la hauteur ? Avons-nous offert le service le meilleur ? « . Oui, Monseigneur nous sommes des veilleurs, nous veillons à la bonne marche de la maison de Monseigneur.

Même dans la nuit, nous avons des sueurs :  » l’oreiller a-t-il été bien calé dans les reins de Monseigneur ? L’estomac de Monseigneur ne souffre-t-il point d’aigreurs ? faut-il lui monter une liqueur ? « 

Et nous attendons du lever l’heure, l’heure du lever de Monseigneur, pour ouvrir ses fenêtres en grand sur es fraîches senteurs du petit matin.

Mais, pour Monseigneur, le temps s’écoule aussi. Le temps du malheur, le temps des bonnes heures et, dans la clepsydre, s’égouttent les instants, les moments trompeurs où tout semble parfait. Mais derrière le voile, Monseigneur, l’araignée tisse sa toile, pour vous comme pour nous, Monseigneur.

Vous vous proclamez le maître, mais de cela, qui coule entre vos doigts, vous ne l’êtres pas, vous ne l’avez jamais été. Et il n’y a que vous, Monseigneur, qui ne vous en soyez pas rendu-compte. Car vous ne voyez pas les saisons, votre corps endormi fuit les sensations. Vous ne souhaitez entendre que les doublons qui s’entrechoquent, vous ne souhaitez voir que votre vaisselle d’argent sur la table et ne sentir que de familières odeurs à votre nez agréables, vous ne souhaitez pas frissonner, vous ne souhaitez pas transpirer, vous souhaitez du sucré et fuyez le les amères saveurs.

Mais vous n’aurez pas vécu, Monseigneur. Nous aurons certes souffert, peiné, désespéré, nous serons certes essoufflés, éreintés, écrasés, broyés, mais nous aurons senti le vent du temps éroder notre peau. Nous aurons aimé notre vie de labeur.

Et vous Monseigneur ? Ne mentez pas; je vois, je sens, je suppute votre ennui…

Une ombre est entrée par la porte, Monseigneur. Elle vous demande instamment. Il est l’heure, Monseigneur…

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