La dénonciation du colonialisme et l’engagement dans la cause noire sont les deux combats intimement liés chez Aimé Césaire le Martiniquais et Léopold Senghor le Sénégalais. Toute leur œuvre poétique est engagée dans ce combat pour l’émancipation et la liberté du peuple noir. Ces deux poètes, par leur combat pour la liberté de leur peuple ( les deux se sont engagés politiquement et Senghor sera le premier Président du Sénégal ) ont donné à la poésie une dimension engagée forte et puissante qui a contribué à changer la vision que l’on avait du peuple noir.
Petit rappel historique

Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les pays occidentaux ont perdu de leur superbe et les pays sous tutelles ou colonisés réclament leur indépendance, ce qui n’est que justice. En Afrique, En Inde, En Indochine, aux Antilles, en Guyane et ailleurs on revendique le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes…
La décolonisation de l’Afrique, pour l’essentiel, se fera dans les années 1950-1960 et se fera dans l’ensemble sans heurts majeurs pour les colonies françaises, à l’exception de l’Algérie. Pour d’autres comme l’Angola et le Mozambique, colonies portugaises, elle ne se fera qu’en 1975 après de longues années de guerres civiles menées par des mouvements marxistes tels que le Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA) d’Agostinho Neto . Notons encore que l’Afrique australe et son » Apartheid » ne prendront fin que dans les années 1980 ( Zimbabwe 1981 ).
Ainsi, de 1945 à 1981, les pays d’Afrique accèdent progressivement à leur indépendance. La décolonisation n’ a pas été » un long fleuve tranquille » et si certains pays comme le Ghana s’émancipent dans la concertation, d’autres pays comme l’Algérie se libèrent à l’issue d’une guerre. Si l’indépendance acquise dans la concertation a souvent apporté une forme de stabilité aux pays émancipés, elle fut beaucoup plus difficile a acquérir dans les pays ou elle fut faite dans la violence et la souffrance.
Cependant, l’émancipation des pays africains n’a pas refermé les cicatrices d’une période coloniale lourde, et l’Afrique post-coloniale connaît de nombreux conflits ethniques liés au tracé des frontières jugé parfois injuste et par la floraison de dictatures ( RDC, Angola, Togo, Erythrée, Guinée Equatoriale, Zimbabwe, Soudan, Tchad, Congo Brazzaville, Cameroun, Swaziland, Ouganda, Djibouti, Togo, Gabon, Angola, Ethiopie, Egypte, Algérie, Tanzanie, Mozambique, Burundi, Mauritanie, Côte-d’Ivoire (2016), Rwanda) De même, le retard de l’Afrique place le continent sous une nouvelle forme de domination de type économique dont profite largement les puissances occidentales.
« Moins le blanc est intelligent, plus le noir lui paraît bête. »
André Gide – Voyage au Congo, 1926
Définition du racisme
Etymologie : de l’italien razza, sorte, famille, souche, venant du latin ratio, ordre, catégorie, espèce, partie.
Le racisme est un système de théories et de croyances individuelles ou collectives selon lesquelles il existe des « races » dans l’espèce humaine et une hiérarchie entre elles. Les individus sont réduits à un ensemble de critères identitaires considérés comme spécifiques et sur lesquels il est porté des jugements de valeur : inférieurs, nuisibles…
Ces théories servent alors à légitimer des doctrines politiques racistes qui recherchent la domination d’une « race », considérée comme pure et supérieure, sur les autres. Des droits, reconnus à certains, sont contestés à d’autres. Au-delà du sentiment d’hostilité envers un groupe racial, le racisme sert à justifier des entreprises de marginalisation (ghettos), de ségrégation, d’exclusion, d’anéantissement (pogroms), de génocide.
Aimé Césaire ( Poète et homme politique français -1913-2008 ) ou le concept de » négritude « .

« Je suis de la race de ceux qu’on opprime ».
Aimé Fernand David Césaire naît à Basse-Pointe en Martinique dans une famille modeste de sept enfants. Après des études au lycée Victor Schoelcher de Fort-de-France, il part étudier à Paris au lycée Louis-le-Grand ( où il se lie d’amitié avec Léopold Sédar Senghor ) et termine ses études à Normale Sup.

Le jeune étudiant fréquente le salon de Paulette Nardal, femme de lettres et journaliste martiniquaise. elle milite pour la cause noire, et est une des inspiratrices du courant littéraire de la négritude. c’est la première femme noire à étudier à la Sorbonne) où il rencontre d’autres étudiants africains et prend conscience de » l’aliénation culturelle qui caractérise les sociétés coloniales martiniquaises et guyanaises » de l’époque. C’est cette prise de conscience qui le pousse à fonder en 1934 » l’ étudiant noir » où Le Guyanais Léon-Gontran Damas publie ses premiers poèmes pigmentaires et le Sénégalais Léopold Sedar Senghor ses premiers articles. C’est dans un article intitulé « Conscience raciale et révolution sociale » du no 3 mai-juin 1935 de L’Étudiant noir qu’Aimé Césaire exprimera pour la première fois son concept de négritude, qu’il reprendra dans toute son œuvre.
Avec son concept de » négritude » Aimé Césaire entre en lutte contre la politique d’assimilation culturelle de la France et au contraire promeut et défend farouchement la culture africaine victime du racisme lié à la colonisation. Vision humaniste d’un homme qui défend tous les opprimés de la terre « Je suis de la race de ceux qu’on opprime ». Après avoir obtenu son agrégation de lettres en 1939, il rentre au pays en Martinique où il enseigne tout comme son épouse au Lycée Victor Schoelcher et publie parallèlement ce qui sera son oeuvre la plus marquante « Cahier d’un retour au pays natal « .
Et voici soudain que force et vie m’assaillent comme un taureau […].
Et nous sommes debout maintenant, mon pays et moi, les cheveux dans le vent, ma main petite maintenant dans son poing énorme et la force n’est pas en nous mais au-dessus de nous, dans une voix qui vrille la nuit et l’audience comme la pénétrance d’une guêpe apocalyptique. […]
car il n’est point vrai que l’œuvre de l’homme est finie,
que nous n’avons rien à faire au monde que nous parasitons le monde,
qu’il suffit que nous nous mettions au pas du monde
mais l’œuvre de l’homme vient seulement de commencer
et il reste à l’homme à conquérir toute interdiction immobilisée aux coins de sa ferveur
et aucune race ne possède le monopole de la beauté, de l’intelligence, de la force
et il est de la ,place pour tous au rendez-vous de la conquête et nous savons maintenant que le soleil tourne autour de notre terre éclairant la parcelle qu’à fixée notre volonté seule et que toute étoile chute de ciel en terre à notre commandement sans limite.
( extrait Cahier d’un retour au pays natal)

Avec d’autres intellectuels français, il fonde la revue » Tropiques » qu’il parviendra à faire publier jusqu’en 1943, malgré le régime de Vichy. Par sa pensée, par sa poésie, Césaire va influencer des intellectuels africains et noirs américains dans leur combat contre le colonialisme et l’acculturation. De même, Césaire qui a rencontré Breton en 1941 en Martinique ( Breton qui préfacera en 1943 l’édition bilingue de » Cahier d’un retour au pays natal ) se ralliera en 1944 au surréalisme par le biais de son recueil » Les Armes miraculeuses « .
Les armes miraculeuses( extrait )
Le grand coup de machette du plaisir rouge en plein
front il y avait du sang et cet arbre qui s’appelle
flamboyant et qui ne mérite jamais mieux ce nom-là
que les veilles de cyclones et de villes mises à sac le
nouveau sang la raison rouge tous les mots de toutes
les langues qui signifient mourir de soif et seul quand
mourir avait le goût du pain et la terre et la mer un
goût d’ancêtre et cet oiseau qui me crie de ne pas me
rendre et la patience des hurlements à chaque détour
de ma langue
la plus belle arche et qui est un jet de sang
la plus belle arche et qui est un cerne lilas
la plus belle arche et qui s’appelle la nuit
et la beauté anarchiste de tes bras mis en croix
et la beauté eucharistique et qui flambe de ton sexe
au nom duquel je saluais le barrage de mes lèvres violentes […]
Membre du Parti communiste, il sera élu maire de Fort-de-France en 1945 et le restera jusqu’en 2001, puis deviendra député jusqu’en 1993 ( non inscrit, il devient apparenté socialiste partir de 1978 à 1993 ). En 1956 il quitte le parti communiste ( désaccord avec le PC sur la question de la déstalinisation ) et crée deux ans plus tard le Parti progressiste martiniquais ( PPM ) qui revendique l’autonomie de la Martinique. La politique culturelle de Césaire cherche à mettre la culture à la portée du peuple et à valoriser les artistes du terroir, notamment avec la mise en place en 1972 des festivals annuels de Fort-de-France.

En 1947 Césaire crée avec Alioune Diop ( 1910-1980 ) intellectuel sénégalais, la revue Présence africaine . En 1948 paraît l’Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache, préfacée par Jean-Paul Sartre, qui consacre le mouvement de la « négritude ».
En 1950, il publie son Discours sur le colonialisme, pour lui l’étroite parenté qui existe entre nazisme et colonialisme ne fait aucun doute :
« Oui, il vaudrait la peine d’étudier, cliniquement, dans le détail, les démarches d’Hitler et de l’hitlérisme et de révéler au très distingué, très humaniste, très chrétien bourgeois du XXe siècle qu’il porte en lui un Hitler qui s’ignore, qu’Hitler l’habite, qu’Hitler est son démon, que s’il le vitupère, c’est par manque de logique, et qu’au fond, ce qu’il ne pardonne pas à Hitler, ce n’est pas le crime en soi, le crime contre l’homme, ce n’est pas l’humiliation de l’homme en soi, c’est le crime contre l’homme blanc, c’est l’humiliation contre l’homme blanc, et d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes dont ne relevaient jusqu’ici que les arabes d’Algérie, les colonies de l’Inde et les nègres d’Afrique […] »
En 2005, bien que retiré de la vie politique, il s’insurge contre la loi du 23 février » sur les » aspects positifs de la colonisation » qu’il faudrait évoquer dans les programmes scolaires. En 2007 il soutient Ségolène Royal à l’élection présidentielle. Aimé Césaire meurt le 17 avril 2008 et a droit à des obsèques nationales à Fort-de-France, en présence du Président de la République.
Ta tiare solaire à coups de crosse enfoncée jusqu’au cou
ils l’ont transformée en carcan; ta voyance
ils l’ont crevée aux yeux ; prostitué ta face pudique ;
emmuselé, hurlant qu’elle était gutturale,
ta voix, qui parlait dans le silence des ombres.
Afrique,
ne tremble pas le combat est nouveau,
le flot vif de ton sang élabore sans faillir
constante une saison; la nuit c’est aujourd’hui au fond
des mares
le formidable dos instable d’un astre mal endormi,
et poursuis et combats – n’eusses-tu pour conjurer
l’espace que l’espace de ton nom irrité de sécheresse.
Boutis boutis
terre trouée de boutis sacquée
tatouée
grand corps massive défigure où le dur groin fouilla
Afrique les jours oubliés qui cheminent toujours
aux coquilles recourbées dans les doutes du regard
jailliront à la face publique parmi d’heureuses ruines,
dans la plaine
l’arbre blanc aux secourables mains ce sera chaque arbre
une tempête d’arbres parmi l’écume non pareille et les
sables,
les choses cachées remonteront la pente des musiques
endormies,
une plaie d’aujourd’hui est caverne d’orient,
un frissonnement qui sort des noirs feux oubliés, c’est,
des flétrissures jaillies de la cendre des paroles amères
de cicatrices, tout lisse et nouveau, un visage
de jadis, caché oiseau craché, oiseau frère du soleil.
AFRIQUE – Aimé Césaire
Poète universaliste d’une puissance sans égale, dramaturge engagé, essayiste résolu, chantre de la négritude, Aimé Césaire a rejoint le panthéon des plus grands créateurs littéraires en langue française et demeure aujourd’hui comme un poète majeur du XXème siècle.
La semaine prochaine sera consacrée à Léopold Sédar senghor ( 1906-2001 ) Poète, écrivain, 1er Président de la République sénégalaise et membre de l’académie française
A reblogué ceci sur L'envolée des Soudanites.
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