
Le mouvement surréaliste connaît son apogée dans l’entre-deux-guerre. » Révolution surréaliste » la revue fondée (1924 ) et dirigée par Benjamin Perret et Pierre Naville, prend en 1930 un tournure plus engagée, plus politique puisque nombre de ses membres sont inscrits au parti communiste et que le mouvement lui-même y avait adhéré depuis 1927. Cet engagement politique du mouvement et la personnalité même de Breton furent à l’origine de nombreux départs comme ceux de Soupault ou encore de Arthaud. En 1929, le Second Manifeste du Surréalisme vit l’adhésion de nouveaux membres parmi lesquels René Char et Francis Ponge. Parallèlement Prévert, Duhamel et Tanguy ( le groupe du château ), longtemps lié au mouvement surréaliste s’en éloigne. En 1933 la revue Minotaure, fondée par Skira, et dont Breton est le rédacteur en chef ( jusqu’en 1937 ) accueille les œuvres des surréalistes de tous bords….
Mais, en Europe, gronde la montée des totalitarismes ( Fasciste en Italie, Nazi en Allemagne, Franquiste en Espagne, Communiste en Russie ) et en 1939 la seconde guerre mondiale éclate…Dès les premiers jours certains poètes rejoignent le camps des résistants comme
Robert Desnos ( 1900-1945 ) qui sera arrêté, déporté et mourra au camp de concentration de Theresienstadt, en Tchécoslovaquie du typhus quelques jours après la libération du camp,

Maréchal Ducono se page avec méfiance,
Il rêve à la rebiffe et il crie au charron
Car il se sent déja loquedu et marron
Pour avoir arnaqué le populo de France.
S’il peut en écraser, s’étant rempli la panse,
En tant que maréchal à maousse ration,
Peut-il être à la bonne, ayant dans le croupion
Le pronostic des fumerons perdant patience ?
À la péter les vieux et les mignards calenchent,
Les durs bossent à cran et se brossent le manche:
Maréchal Ducono continue à pioncer.
C’est tarte, je t’écoute, à quatre-vingt-six berges,
De se savoir vomi comme fiotte et faux derge
Mais tant pis pour son fade, il aurait dû clamser
Robert DESNOS
Recueil : « À la caille »
ou encore Paul Eluard dont le poème LIBERTÉ sera parachuté à des milliers d’exemplaire en 1942 par les avions de la royale air force au-dessus du territoire français,

Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom
Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom
Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom
Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom
Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom
Sur tous mes chiffons d’azur
Sur l’étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J’écris ton nom
Sur les champs sur l’horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J’écris ton nom
Sur chaque bouffée d’aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J’écris ton nom
Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l’orage
Sur la pluie épaisse et fade
J’écris ton nom
Sur les formes scintillantes
Sur les cloches des couleurs
Sur la vérité physique
J’écris ton nom
Sur les sentiers éveillés
Sur les routes déployées
Sur les places qui débordent
J’écris ton nom
Sur la lampe qui s’allume
Sur la lampe qui s’éteint
Sur mes maisons réunies
J’écris ton nom
Sur le fruit coupé en deux
Du miroir et de ma chambre
Sur mon lit coquille vide
J’écris ton nom
Sur mon chien gourmand et tendre
Sur ses oreilles dressées
Sur sa patte maladroite
J’écris ton nom
Sur le tremplin de ma porte
Sur les objets familiers
Sur le flot du feu béni
J’écris ton nom
Sur toute chair accordée
Sur le front de mes amis
Sur chaque main qui se tend
J’écris ton nom
Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J’écris ton nom
Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom
Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom
Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
Liberté.
Paul Eluard
Poésie et vérité 1942 (recueil clandestin)

Citons encore René Char qui durant la guerre devint chef départemental d’un réseau de résistants dans les Basses-Alpes sous le pseudonyme de « Capitaine Alexandre ». Durant son activité de résistance, il écrivit un journal poétique qu’il publia après la guerre sous le nom de Feuillets d’Hypnos.
Fragment « 128 » des Feuillets d’Hypnos
Le boulanger n’avait pas encore dégrafé les rideaux de fer de sa boutique que déjà le village était assiégé, bâillonné, hypnotisé, mis dans l’impossibilité de bouger. Deux compagnies de S.S. et un détachement de miliciens le tenaient sous la gueule de leurs mitrailleuses et de leurs mortiers. Alors commença l’épreuve.
Les habitants furent jetés hors des maisons et sommés de se rassembler sur la place centrale. Les clés sur les portes. Un vieux, dur d’oreille, qui ne tenait pas compte assez vite de l’ordre, vit les quatre murs et le toit de sa grange voler en morceaux sous l’effet d’une bombe. Depuis quatre heures j’étais éveillé. Marcelle était venue à mon volet me chuchoter l’alerte. J’avais reconnu immédiatement l’inutilité d’essayer de franchir le cordon de surveillance et de gagner la campagne.
Je changeai rapidement de logis. La maison inhabitée où je me réfugiai autorisait, à toute extrémité, une résistance armée efficace. Je pouvais suivre de la fenêtre, derrière les rideaux jaunis, les allées et venues nerveuses des occupants. Pas un des miens n’était présent au village. Cette pensée me rassura. À quelques kilomètres de là, ils suivraient mes consignes et resteraient tapis. Des coups me parvenaient, ponctués d’injures. Les S.S. avaient surpris un jeune maçon qui revenait de relever des collets. Sa frayeur le désigna à leurs tortures. Une voix se penchait hurlante sur le corps tuméfié : « Où est-il ? Conduis-nous », suivie de silences. Et coups de pied et coups de crosse de pleuvoir. Une rage insensée s’empara de moi, chassa mon angoisse. Mes mains communiquaient à mon arme leur sueur crispée, exaltaient sa puissance contenue. Je calculais que le malheureux se tairait encore cinq minutes, puis, fatalement, il parlerait. J’eus honte de souhaiter sa mort avant cette échéance. Alors apparut jaillissant de chaque rue la marée des femmes, des enfants, des vieillards, se rendant au lieu de rassemblement, suivant un plan concerté. Ils se hâtaient sans hâte, ruisselant littéralement sur les S.S., les paralysant « en toute bonne foi ». Le maçon fut laissé pour mort. Furieuse, la patrouille se fraya un chemin à travers la foule et porta ses pas plus loin. Avec une prudence infinie, maintenant des yeux anxieux et bons regardaient dans ma direction, passaient comme un jet de lampe sur ma fenêtre. Je me découvris à moitié et un sourire se détacha de ma pâleur. Je tenais à ces êtres par mille fils confiants dont pas un ne devait se rompre.
J’ai aimé farouchement mes semblables cette journée-là, bien au-delà du sacrifice.
René Char, Feuillets d’Hypnos, Paris, Gallimard, 1946
En juillet 1943, après avoir publié l’année précédente Le Silence de la mer signé « Vercors », pseudonyme de Jean Bruller, les Editions de Minuit font paraître L’honneur des poètes, un recueil poétique de différents poètes engagés qui signent sous pseudonymes. Paul Eluard en rédige la préface mais ne la signe pas. D’autres poèmes engagés continuent ensuite de paraître pendant ces années 1943 – 1945, toujours dans la clandestinité donnant ainsi au peuple un message d’espoir et de liberté à venir.
Pour aller plus loin : https://www.reseau-canope.fr/poetes-en-resistance/poetes/