
Ce texte d’Amanda Sthers m’a beaucoup touchée et m’a fait du bien comme on savoure un doux bonbon qui réconforte.
C’est un texte tout en retenue, contenu, très dense.
Chaque phrase contient un trésor, une délicatesse. Chaque élément de ce roman est sublime, un trésor de poésie et de profondeur, avec cette grâce de la sincérité qui ne peut que toucher.
Parfois les mots d’ Amanda Sthers décrivent des choses crûment, Amanda Sthers lâche les chiens, mais tout reste en transparence, dans ce texte beaucoup plus que dans ses précédents elle habille ses images d’une langue qui reste toujours subtile. La rage surgit parfois, mais cela sert la douceur du présent ou plutôt de « Ukiyo » qui « veut dire profiter de l’instant, hors du déroulement de la vie, comme une bulle de joie » en japonais (p. 11).
En une phrase elle peut évoquer des pans entiers de votre vie et vous vous sentez rejoint dans votre incommensurable solitude, vos souvenirs incommunicables à l’oral.
Pour ce qui est de votre servante, voici quelques phrases qui m’ont parlé : « Le chagrin des autres m’a toujours paru dégoûtant et je ne sais qu’en faire. Je console en offrant le miroir de ma propre peine en silence. »
Et puis cet autre passage : « Vos créatures légendaires sont terrifiantes, elles ressemblent au moment où la journée bascule dans la nuit, à ce qui pourrait être vrai, ce qui nous effraie enfant : ces formes dans la chambre sombre qui souvent deviennent des monstres. »
Alice Cendres, l’héroïne, est à l’approche de la cinquantaine. Elle pousse un jour la porte d’un salon de thé japonais et se voit invitée à aller dans la salle attenante où un masseur arrive bientôt.
Elle ne saura pas son nom tout de suite. Elle saura tout d’abord ses mains sur sa peau – enfin à travers le pyjama qui la protège puis fait lien entre eux deux.
L’incroyable délicatesse et le respect de cet homme révèle Alice à elle-même et réveille son désir mis en berne depuis si longtemps. Elle se surprend à manger à nouveau de bonnes gourmandises bien sucrées et à en apprécier la saveur. Pendant si longtemps, pendant trop longtemps, peut-être presque toujours, elle a été anesthésiée. Elle s’est comme extraite de son corps qui était devenu un allié utile mais plus habité.
Dans notre société – mais est-ce très actuel ou intemporel ? – combien de femmes vivent, comme Alice, l’esprit séparé de leur corps ?
Que faut-il traverser pour se laisser toucher ? Ne faut-il pas une écoute et une bienveillance portées par un amour qui peut être désintéressé, pour laisser éclore la fleur du désir féminin, qui souvent, brimé, malmené, violenté, assujetti, par l’homme maladroit, peut pousser la femme à avoir honte de son corps, de ses désirs, d’avoir été objet de « désir » et n’avoir pas eu le temps ni le loisir de devenir sujet de son désir.
Ce livre fait du bien, il est comme une caresse qui malgré les expériences malheureuses passées peut permettre d’éclore à la vie.
Cette vie qui coule, cette sensualité, cette envie de séduire, cette liberté qui irradie les peurs et nous fait aller à la rencontre des autres. De l’autre.
A celui à qui son coeur, ou son corps – mais peut-être est-ce la même chose pour une femme – désire dédier une mélodie.
L’héroïne décide d’apprendre le japonais, découvre une culture étrangère.
Le départ pour le Japon de l’homme qui a su toucher son être, ce masseur, la pousse à se dépasser.
Alice décide, dans cette absence qu’elle combat par l’écriture, d’adresser une lettre à cet homme qui l’a réveillée à elle-même et à la vie… une lettre d’amour sans le dire.
Voici la quatrième de couverture :
« On m’a dit qu’au Japon, les gens qui s’aimaient ne se le déclaraient pas. Qu’on évoquait l’état amoureux comme une chose qui dépasse les êtres, les enveloppe, les révèle ou les broie.
On ne dit pas « je t’aime » mais « il y a de l’amour », comme il y a du soleil.
Je ne sais pas si vous aimeriez me revoir ou m’écrire. Il y a mon nom et mon adresse au dos de cette enveloppe et toute ma vie à l’intérieur. Je suis prête à ce que vous ne vouliez rien en faire.
J’espère pourtant que vous comprendrez ce que je ne vous dis pas. »
Catherine Balay