C’est en réaction au mouvement naturaliste ( plus proche selon les symboliques du reportage et du documentaire scientifique que de la littérature et de la poésie ) et à celui du Parnasse dont la poésie ciselée au couteau reste cependant froide et sans émotion, que le symbolisme va naître vers 1870, mais il faudra attendre la parution en 1886 du » Manifeste du Symbolisme » de Jean Moréas pour que le mot symbolisme soit utilisé de façon formelle.
» « La poésie symbolique cherche à vêtir l’Idée d’une forme sensible qui, néanmoins, ne serait pas son but à elle-même, mais qui, tout en servant à exprimer l’Idée, demeurerait sujette « . dixit Moréas.
En premier lieu, donnons l’Étymologie de mot » symbolisme » :
Le mot « symbolisme » est formé à partir du terme « symbole » qui vient du latin symbolum, « symbole de foi », symbolus, « signe de reconnaissance », du grec sumbolon, « objet coupé en deux constituant un signe de reconnaissance quand les porteurs pouvaient assembler (sumballein) les deux morceaux ». Dans la Grèce antique, le « symbolon » était un morceau de poterie qui était brisé en deux et qu’on donnait à deux ambassadeurs de cités alliées pour se reconnaître.
Bref, le symbolisme c’est l’art de la métaphore et l’allégorie. Ainsi, au lieu de nommer un objet, le poète symboliste tentera plutôt de rendre compte de l’impression que nous apporterait sa présence ou son absence. Dans tous les cas il faut une bonne dose de concentration pour en saisir toutes les subtilités. Pour les symboliques, la religion et la mythologie occupent une place prépondérante et ils y font de fréquentes allusions ( » Le mystère universel ne peut être que sacré ! « ) dans leurs textes. Ils jouent aussi avec le rêve et le subconscient et, pour traduire leurs impressions, utilisent souvent les métaphores… L’irréel au service du réel ! Ainsi le poète associe souvent une image concrète à une abstraction. Les symboliques opposent donc à la certitude scientifique et matérialiste des parnassiens et des naturalistes, des images, des analogies pour traduire leurs états d’âmes et leur perception du monde qui les entoure et privilégie « le vers libre « . Leurs thèmes de prédilections sont le mystère, la mort, le rêve, la mythologie…

Bien que considéré par ses pairs comme le père du mouvement symbolique, Paul Verlaine ne s’en est jamais réclamé, laissant à Stéphane Mallarmé le rôle de » chef de file « . parmi les symboliques les plus connus citons Verlaine, Rimbaud, Charles Cros, Moréas, Mallarmé, Paul Fort ou encore Tristan Corbière.
Cette semaine nous parlerons de Baudelaire, le précurseur du mouvement, et de Verlaine, le » Prince des poètes « .
Le précurseur de ce mouvement ( dont Charles Cros, Arthur Rimbaud et Paul Verlaine seront les fers de lance ) est Charles Baudelaire dont le recueil » Les fleurs du mal » annonce ce bouleversement poétique. En effet dans sa poésie il mêle réalisme et idéalisme par le biais des correspondances qui font » le lien entre le monde des sensations et

celui des idées « . Pour Rimbaud, il est «le premier voyant, roi des poètes, un vrai Dieu. » et Mallarmé le considère comme son maître. Le caractère scandaleux de certains de ses textes attirera au poète les foudres d’une société bien pensante au point qu’il il dut ôter des Fleurs du Mal certains vers jugés trop suggestifs comme ceux-ci dans Le Léthé » :
» Je veux longtemps plonger mes doigts tremblants
Dans l’épaisseur de ta crinière lourde
Dans tes jupons remplis de ton parfum »
ou encore ceux d’« À celle qui est trop gaie »…
….Ainsi je voudrais, une nuit,
Quand l’heure des voluptés sonne,
Vers les trésors de ta personne,
Comme un lâche, ramper sans bruit,
Pour châtier ta chair joyeuse,
Pour meurtrir ton sein pardonné,
Et faire à ton flanc étonné
Une blessure large et creuse,
Et, vertigineuse douceur !
A travers ces lèvres nouvelles,
Plus éclatantes et plus belles,
T’infuser mon venin, ma soeur !
Et lorsque ‘en 1857 paraissent « Les fleurs du mal » il se retrouve avec un procès sur les bras pour atteinte aux bonnes mœurs et écope d’une amende de 300 francs sans compter le retrait de six poèmes
jugés par trop scandaleux. Ces poèmes ne seront finalement édités qu’en 1949. C’est la première fois » qu’un poète concilie laideur et beauté, faisant surgir le sublime de la réalité la plus triviale « . Traducteur du grand Allan Edgar Poe, il aimait à lire les contes fantastiques de cet auteur américain et voulait le faire mieux connaître en France. Malade, il s’éteint en 1867 à 47 ans en ayant ouvert la voie à la modernité en poésie.
pour en savoir plus : http://www.linternaute.com/biographie/charles-

Paul Verlaine ( 1844-1896 ) : écrivain, poète, nouvelliste, critique d’art et de littérature, conférencier. mais aussi un homme fragile, tourmenté par ses passions, ses amours…sa liaison avec le jeune Rimbaud fait de lui un poète maudit et en même temps il est considéré comme » le prince des poètes « . Poète de son temps, il peint les sentiments avec les mots mêlant fluidité musicalité, clairs obscurs à l la façon des peintres impressionnistes.
…Les sanglots longs des violons de l’automne
Blessent mon cœur d’une langueur monotone…
Tout suffoquant et blême quand sonne l’heure
Je me souviens des jours anciens et je pleure…
( Chanson d’automne )
…Une aube affaiblie verse dans les champs
La mélancolie des soleils couchants
La mélancolie berce de doux chants
Mon coeur qui s’oublie aux soleils couchants...
( Soleil couchants )
Verlaine n’a que 22 ans lorsqu’il publie son premier recueil » Poèmes saturniens » ( 1866 ). L’influence de Baudelaire y est indéniable avec l’emploi d’un langage imagé et la présence de symboles. Il épouse Mathilde Mauté en 1870, ensemble ils ont un fils Georges, mais alcoolique, violent, tourmenté, Verlaine se supporte pas cette union et en 1874 le divorce est prononcé. Entre temps il a participé à la

Commune de Paris et fait la connaissance du Jeune Arthur Rimbaud ( 1871 ) avec lequel il entretient une liaison orageuse et passionnée ( ainsi qu’une une vie d’errance entre France, Angleterre et Belgique ) qui se termine deux ans plus tard dans la violence, à Bruxelles : Verlaine a tiré sur son jeune compagnon au cours d’une scène de jalousie et bien que ce dernier s’en tire avec une simple blessure, il est emprisonné pour deux ans. Il verra son amant une dernière fois à Stuttgart puis Rimbaud disparaîtra à jamais de sa vie… C’est durant leur deux années de liaison que Verlaine et Rimbaud écriront leur plus beaux vers, ceux là même qui aujourd’hui encore font de Verlaine et Rimbaud deux des plus grands poètes de tous les temps. Les 15 dernières années de sa vie l’entraînent doucement vers une atroce déchéance physique, alcoolique, diabétique, usé par les excès ( syphilis ), il meurt à Paris le 8 janvier 1896, d’une pneumonie aiguë à l’âge de 51 ans .
Le ciel est par-dessus le toit
Le ciel est par-dessus le toit,
Si bleu, si calme !
Un arbre, par-dessus le toit,
Berce sa palme.
La cloche, dans le ciel qu’on voit,
Doucement tinte.
Un oiseau sur l’arbre qu’on voit
Chante sa plainte.
Mon Dieu, mon Dieu, la vie est là
Simple et tranquille.
Cette paisible rumeur-là
Vient de la ville.
Qu’as-tu fait, ô toi que voilà
Pleurant sans cesse,
Dis, qu’as-tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse ?
( recueil Sagesse, 1884 )
Ses œuvres principales sont les poèmes saturniens, les fêtes galantes, romance sans parole, Sagesse, les confessions, Mes hôpitaux, mes prisons, mais aussi « Mes souvenirs de la Commune de Paris »,des œuvres autobiographiques ou de fiction,des récits de voyage.

Edmond de Goncourt a qui nous devons aujourd’hui le prix Goncourt et l’académie du même nom prononcera à la mort de Verlaine des propos infamants et indignes d’un écrivain : « Malédiction sur ce Verlaine, sur ce soûlard, pédéraste assassin, couard …Malédiction sur ce grand pervertisseur qui par son talent a fait école dans la jeunesse lettrée de tous les mauvais appétits et goûts antinaturels » Son homosexualité est un crime qu’on ne lui pardonne pas.
Goncourt ? qui le connaît, aujourd’hui, en tant que poète ? Personne ! On connaît le prix Goncourt de littérature certes, mais de là à imaginer qu’un « écrivain » ait pu tenir de tels propos au sujet d’un génie littéraire reste incompréhensible. Ces propos haineux semblent pleins de jalousie et d’envie envers celui qu’on avait sacré » Prince des poètes « .
Promenade sentimentale
Le couchant dardait ses rayons suprêmes
Et le vent berçait les nénuphars blêmes ;
Les grands nénuphars entre les roseaux
Tristement luisaient sur les calmes eaux.
Moi j’errais tout seul, promenant ma plaie
Au long de l’étang, parmi la saulaie
Où la brume vague évoquait un grand
Fantôme laiteux se désespérant
Et pleurant avec la voix des sarcelles
Qui se rappelaient en battant des ailes
Parmi la saulaie où j’errais tout seul
Promenant ma plaie ; et l’épais linceul
Des ténèbres vint noyer les suprêmes
Rayons du couchant dans ses ondes blêmes
Et les nénuphars, parmi les roseaux,
Les grands nénuphars sur les calmes eaux
( poèmes saturniens )
Bénédiction qu’un tel poète ait pu voir le jour et écrire toutes ces œuvres magnifiques et, ironie de l’histoire : lors de la seconde guerre mondiale, ce fut le poème » Chanson d’automne » qu’on choisit en 1944 pour annoncer le débarquement. En effet chaque strophe évoquait le déroulement du débarquement des alliés.
Chanson d’automne
Les sanglots longs
Des violons
De l’automne
Blessent mon coeur
D’une langueur
Monotone.
Tout suffocant
Et blême, quand
Sonne l’heure,
Je me souviens
Des jours anciens
Et je pleure
Et je m’en vais
Au vent mauvais
Qui m’emporte
Deçà, delà,
Pareil à la
Feuille morte.
Car de toute évidence Verlaine est un des plus grands poètes français de tous les temps et c’était une manière de l’honorer que de choisir un de ses plus beaux poèmes pour accompagner l’événement majeur de la seconde moitié du XX è siècle, à savoir : la libération de la France !
La seconde partie des Symboliques sera publiée la semaine prochaine : De Rimbaud à Tristan Corbière.