
Vous en avez sous les chaussures, sur le pantalon, sur le bas de la veste. En vous mettant debout – c’est immédiat – vous reconnaissez la crotte du caniche de votre voisin. Pas besoin de faire une analyse. C’est la sienne. Toujours au même endroit. Il doit revenir, votre voisin, après la diagonale quotidienne qu’il fait sur la place avec, au bout de la laisse, son animal favori qui n’en finit plus d’honorer tout ce que le quartier compte de lampadaires.
Patientez. Restez dans la zone du sinistre. Ne modifiez rien. Laissez les traces intactes. Prenez appui sur le mur, respirez à fond en tournant la tête. Au sol, la longue traînée atteste de votre dérapage incontrôlé.
Ils arrivent, le maître sifflotant, le chien sautillant – bien plus léger qu’au départ.
Vous vous surprenez à dire une banalité aigre du genre : « Eh, dites donc, le caniveau, ça existe ! ». Et vous remettez ça deux fois.
Votre voisin, qui a toujours eu une admiration secrète pour la couleur de vos cravates et pour votre grande dignité, n’en revient pas. C’est tout son monde qui s’effondre. Il ne reconnaît plus rien, votre voisin. Ni vous. Ni le trottoir. Ni la crotte. Ni le chien.
Laissez-le balbutier. Et puis, d’un coup, retrouvant votre dignité et avant qu’il ne tombe dans les pommes, DONNEZ-LUI UN SUSUCRE.