
Hier, au cœur de la nuit, un oiseau est venu frapper du bec contre ma vitre.
C’était un oiseau tout noir, comme dans la chanson de Barbara, mais pas un aigle, juste un corbeau. Son œil rond et tout triste me dévisageait derrière la fenêtre. Les corbeaux ont mauvaise réputation, c’est pour ça sans doute qu’ils ont l’œil si triste. Leur mauvaise réputation, c’est la faute, entre autres, à François Villon avec sa Ballades des Pendus, et aux anticléricaux qui criaient jadis « croa-croa » sur le passage des curés en soutane, mais il n’y a plus de ratichons dans les rues, juste des burkas-girls et des gothiques pour se balader en habits noirs. Et encore, ces temps-ci, on n’en voit plus beaucoup !
Et donc, le corbac frappait, cognait du bec contre ma vitre : il espérait que je lui ouvrisse.
Je vivais dans le confinement depuis bientôt deux semaines, seul avec mes deux chattes, et cette visite inattendue eût dû me charmer, car, pas d’inquiétude : le corbovirus, ça n’existe pas. (Soit dit en passant : de sombres salauds abandonnent leurs animaux de compagnie, les croyant contaminés. La SPA est débordée. Le nombre des sots est infini.)
Mais mes deux chattes se montraient résolument corbophobes, avec un projet corbophage : elles lacéraient la vitre de leurs griffes, poussant ces hurlements que doit pousser Belzébuth quand on marche sur sa queue fourchue.
Je prends les félines par la peau du cou, et pouf, les enferme dans la chambre. J’ouvre la fenêtre au corvidé. Il entre et se perche sur mon épaule. Au lieu de faire « croa ! croa ! », il a dit : « cépatrotodidonk ! »
Un corbeau qui parle, ça ne m’a pas trop étonné. On vit ces temps-ci des choses tellement incroyables qu’un corbeau parleur, ça ou autre chose… Tiens, par exemple, ce n’est pas plus étonnant qu’une ministresse de la santé qui démissionne de son poste quand le système hospitalier s’effondre, tout ça pour remplacer un politicard onaniste qui s’est filmé, scandale, la main manœuvrant sur sa quéquette en action, comme un qui passe les vitesses sur sa twingo.
– Cépépékimenvoi ! a continué le boulotteur de fromage célébré par La Fontaine.
J’ai traduit par : « C’est Pépé qui m’envoie ! » sans faire de contresens, car je parle mieux le Corbeau que l’Italien. Et j’ai bien compris que le pépé qui m’envoyait ce noir visiteur, c’était Pépé la Téloche. Je ne m’étonnais pas davantage. Un corbeau messager qui jacte, ce n’est pas plus surprenant qu’un pays où les habitants munis d’un Ausweis imposé par le gouvernement mais par eux-mêmes octroyé, séparés de tout contact par une invisible frontière de la peur d’un mètre minimum, errent dans les rues désertées. De l’autre côté d’la rue, comme chantait Piaf, y’a pas d’boulot, Emmanuel, good bye.
Mais j’étais inquiet : était-il arrivé malheur à Pépé la Téloche ? Avait-il succombé au virus, pour la plus grande joie de Jacques Attali, qui affirme qu’à partir de soixante-cinq ans l’Homme coûte plus qu’il ne produit et que l’euthanasie sera la règle des sociétés futures ? ( Le bougre est tout de même âgé de 76 balais à l’heure où j’écris.) Allait-on enterrer Pépé avec un public minimum d’affligés pour éviter la foule à ses funérailles ?
– Lettramapatoune ! Lettramapatoune ! croassait le corvidé.
La bestiole, piquant l’emploi d’un pigeon voyageur, (J’eusse dû le dénoncer à la cégété) voulait me faire comprendre qu’un message était accroché à sa patte. En effet, à la patte de l’animal, enroulé dans un tube de Chloridrine, j’ai trouvé le message suivant, écrit par Pépé la Téloche, que je vous livre in extenso :
Cher créateur,
(Il parle de moi comme si j’étais le bon Dieu, c’est vrai que sans moi il n’existerait pas, et que je peux le faire trépasser quand je veux.)
Copie de cette lettre adressée à la Gente Lectrice et au Distingué (Pépé ne pratique pas l’écriture inclusive, il dit que c’est un truc de bobos, quel vieux réac !)
Tu m’as, Ô sadique créateur, abandonné, dans le dernier épizode de ton farfelu feuilleton (le dix-huitième) au moment où l’ange Langeleau me demandait de lui livrer mon pote Valentin Clafoutis, déserteur du Paradis. Comment allais-je m’en sortir ? tu m’avais foutu dans un sacré merdier, comme dit le légionnaire, et je n’avais pas, comme dit le populaire, le cul encore sorti des ronces… Mais alors que tu te pressais le citron pour inventer la suite de ce feuilleton affligeant, nous voilà, l’Humanité entière, plongés dans un autre merdier, bien pire que celui où tu m’avais fourré.
Me voici, à l’heure actuelle, confiné, dans ma masure, avec l’ange Langeleau, ange dégénéré et porté sur la boisson, et la brave truie Angela. N’aurais-tu pas pu inventer, pour me rendre visite, une blonde experte au jeu de l’amour, plutôt que cet ange ridicule ? (Pépé, malgré son très grand âge, ne semble pas atteint pas l’andropause et s’obstine à vouloir séduire encore.)
Maudit sois-tu, créateur ! Pourquoi m’as-tu mis au monde ? (On dirait un adolescent en pleine crise métaphysique engueulant le Créateur, celui dont le nom s’écrit avec une majuscule… sacré Pépé !)
Malgré tout, j’ai pris goût à l’existence que tu m’as donnée, et j’ai bien l’intention, moi qui ai fait deux guerres mondiales, de survivre à ce virus. Dans les années soixante du siècle dernier, on attendait les Russes, voici qu’arrive le virus. (Pépé adore ces jeux de mots affligeants qui ne feraient même pas rire monsieur Carambar, pardonnez-lui.)
Je veux survivre car je n’ai pas encore épuisé tous les mystères de la vie, cette vie que j’essaie de déchiffrer comme la suprême énigme. Ah, que ne suis-je le Sherlock des Galaxies ! (Il n’y a pas qu’un cochon qui sommeille dans le cœur de Pépé. En lui, le poète lyrique ne dort que d’un œil.)
Le soir, par la fenêtre de ma masure, l’ange Langeleau et moi contemplons les étoiles. Ai-je vécu sur une autre planète, dans une autre vie ? Notre planète à nous n’a-t-elle pas, dans l’Univers, la taille d’un virus ?
Mais mes pensées ne sont pas toujours aussi élevées. Je m’invente aussi des histoires pour tromper l’ennui dû au confinement : Par exemple, l’histoire d’un type qui gagne le gros lot au loto. ( Le gouvernement a fermé les librairies, pas les lieux de gratte-gratte.). Cent millions d’euros. Mais le stylo avec lequel il avait coché les cases lui a refilé le virus, et le type meurt. ( Quel humour morbide, Pépé ! )
Ou une histoire où les maternités sont submergées par les naissances à partir des neuf prochains mois, pour cause de confinement hétérosexuel intime. Et là aussi, le gouvernement est incapable de faire face, vu le nombre de lits de maternité qu’il a fait fermer.
Une histoire encore où un SDF vous demande l’aumône en s’approchant trop près de vous… Si vous lui refilez du pognon, ne va-t-il pas refiler, lui, le virus à d’autres, car cette saloperie doit certainement se communiquer par les pièces de monnaie, qui circulent abondamment.
Une autre encore où les éditeurs sont submergés par les manuscrits à la fin de la pandémie, car tout le monde écrit sur son expérience de la « crise » comme on dit à la télé. On arrête pas de couper des arbres pour en faire du papier. Les écologistes s’indignent. Ils défilent avec le portrait de Greta Tumberg qui est méconnaissable, elle a pris trente kilos à bouffer des nouilles, et ses tresses lui arrivent aux talons.
À propos de télé, toutes les chaînes confondues, où presque, bavent abondamment sur le professeur Raoult qui prescrit la chloroquine. Je me dis que j’avais bien raison de vouloir faire imploser ces téloches décérébrantes. Le gouvernement interdit aux médecins la prescription de chloroquine. Si celle-ci s’avère efficace (d’autres pays vont la tester), cela voudra dire que l’Hexagone, comme on dit à télé-tapin est gouverné par des criminels. (Sacré Pépé, toujours excessif. Jacques Attali a raison, il faut euthanasier ces gérontes.)
Un tribunal de Nuremberg, alors ! Pas de pitié ! (Ces vieillards sont haineux et aigris, il faut leur pardonner !)
Pour eux, la peine de mort ? Non, la peine de vie. Le trépas n’est qu’un mauvais moment à passer. Je propose pour eux le confinement à vie dans une cellule capitonnée. Un miroir au plafond leur renvoie leur image pour qu’ils puissent se regarder dans la glace. Sur un écran défile le visage des victimes du virus et une voix d’hôtesse de l’air déclame leur nom et celui de leurs proches. Si les confinés ont des envies de suicide, impossible, puisque la cellule est capitonnée. L’ange Langeleau qui avec moi contemple par la fenêtre les étoiles me suggère que c’est ça l’Enfer. Enfin, pour ceux qui ont une conscience, ajoute-t-il… (Ce vieillard est vraiment sadique, vite, j’espère qu’il va s’arrêter de vaticiner.)
J’arrête ici cette missive, cher créateur. (ouf !)
Jusqu’à la fin du cauchemar que nous vivons, je resterai reclus dans ma masure en compagnie de l’ange Langeleau. Je te prie de mettre en suspens mes aventures jusqu’à la Libération. En attendant celle-ci, nous allons concocter, l’ange Langeleau et moi, une page rigolote à paraître pour les gentes lectrices et distingués lecteurs de ce blog, page contenant des charades à tiroirs, des calembours stupides, des poèzies, des chansons, enfin des trucs qui aident à supporter l’horreur.
Je te prie d’agréer, cher créateur, mes meilleures salutations.
PS : ne me fais pas mourir, surtout, d’indifférence, ou dans un moment de colère, de paresse ou de lassitude. Merci.
Signé : Pépé la Téloche.
Quelles pages farfelues et prétendues rigolotes nous mitonnent Pépé la Téloche et l’ange Langeleau ?
Nous le saurons au premier interlude qui paraîtra prochainement.