Chronique quasi télé : ÉPIZODE DIX-HUIT des aventures quasi-véridique de Pépé la Téloche- Henri Merle

Épizode prouvant que si l’on ne monte pas toujours jusqu’au Septième Ciel, le Septième Ciel peut parfois descendre jusqu’à vous.

Et donc, le lendemain de la minuit où Pépé la Téloche agita trois fois sa lanterne pour autoriser son mystérieux correspondant épistolaire à venir le visiter en personne, le lendemain donc à minuit précise, l’on frappa à la porte de la chaumine de l’ancêtre. Douze coups, puis trois coups. La Trinité, suivie des douze apôtres.

– Entrez ! dit Pépé la Téloche.

Alors, un ange entra. Ce n’était l’un de ces anges du catéchisme, à longues ailes et robe blanche, à chevelure blonde soigneusement peignée. Ce n’était pas non plus l’ange peint par Delacroix.

Ce n’était pas non plus un ange en toc, un ange des deux sexes d’une émission de télé-réalité, tout en seins, tout en pectoraux, en tatouages, en bronzage UV, exhibant ses appas avant la page décérébrante de publicité, et destiné à abrutir le populo en attendant l’abattoir ou l’euthanasie pour sexagénaires préconisée par le fringant septuagénaire monsieur Jacques Attali.

Si l’apparition avait été un ange réglementaire célébré le grand Claude Nougaro, Pépé la Téloche se fût agenouillé, car il avait du savoir-vivre. S’il avait surgi devant lui un ange de la télé-réalité, Pépé l’eût mis à la porte, car l’ancêtre réactionnaire considérait la télé-réalité comme une insulte à l’intelligence et une atteinte à la dignité humaine.

Mais l’apparition angélique, obèse, mesurait un mètre-vingt de haut sur un mètre-vingt de large. Sa face du lune était criblée de cratères pustuleux. Sur le crâne ne poussaient que sept cheveux gris. La bouche était celle d’une gargouille tombée de la cathédrale. Le nez ivrogneux ressemblait à une aubergine par la forme et à une fraise par la couleur. Seule la robe blanche mais maculée de taches douteuses, et les ailes dans le dos permettaient de reconnaître un ange en cet être disgracié. Mais les plumes étaient rares et bien ternes.

Mais le regard, le regard ne pouvait tromper : l’œil bleu ( il n’y en avait qu’un seul, le gauche, le droit portait un bandeau de pirate ) luisait de bonté, de secrète douleur, de l’amère expérience de mille vies de douleur et de la désespérance de l’enfant découvrant que le père Noël c’est rien qu’un imposteur.

La truie Angela, venue renifler cet ange singulier, ne s’y trompa pas, et l’accueillit par un grognement de bienvenu. L’ange tendit à Pépé la Téloche une courte main velue.

– Je me présente. Je suis monsieur Langeleau. Ravi de vous rencontrer. Vous êtes bien monsieur Joseph Clapion, dit  » Pépé la Téloche ? « 

Le susdit Pépé mit sa main noueuse dans celle de monsieur Langeleau.

– En vérité, je vous attendais , monsieur l’ange.

Le vieillard ne s’étonnait pas de cette visite. Il avait gardé son âme enfantine, pour lui le monde était encore enchanté, pour lui le vol d’une libellule, l’envol d’un pigeon, un arc-en-ciel, la valse des galaxies, tout ça c’était des merveilles. Alors, la visite d’un ange, même disgracié, c’était dans l’ordre des choses.

– Asseyez-vous, vous prendrez bien un verre, monsieur l’ange, fit Pépé. Une petite lichette de liqueur de crapaud ?

L’œil unique de monsieur Langeleau regardait avec gourmandise la bouteille d’infernale liqueur, mais il dit pourtant :

– Non, plutôt un verre d’eau, sans vouloir vous offenser.

Alors, sirotant son verre d’aqua simplex, l’ange raconta à Pépé la Téloche et à la truie Angela sa… ou plutôt ses longues longues longues vies.

Nous reproduisons ci-dessous le plus fidèlement possible ses pathétiques confidences. Il se peut qu’il s’y soit glissé quelques erreurs de transcription, car monsieur Langeleau souffrait d’un défaut d’élocution.

Confession d’un ange déçu et déchu

monsieur,

D’abord, laissez-moi vous remercier, monsieur clapion ainsi que cette charmante phacochère qui semble être votre animal de compagnie, pour la chaleur de votre accueil. Malgré ma repoussante allure, vous ne m’avez point rejeté. Vous l’avez deviné, c’est pour vous prouver que je ne suis pas un monstre, que j’ai glissé hier sous votre porte ces deux textes de haute portée métaphysique, que j’ai écrit à mes moments perdus. Le second de ces textes narre sous le couvert d’une fiction l’une de mes multiples réincarnations.

Oui, je l’avoue, je suis un ange déchu. Au début de la Création, j’étais un des bras droits de celui que nous appelons familièrement entre nous, les anges, le Big Bang Boss. Je fus, une éternité, un employé modèle… Et puis, venu de je ne sais d’où, l’ennui me prit de vivre ainsi dans l’Harmonie Suprême, dans le cocon douillet du Créateur. Je me révoltais donc contre le Grand Patron qui me licencia après plusieurs avertissements, je dois le reconnaître, car, comme les patrons terrestres font preuve d’humanité, le Patron Céleste fais preuve de Divinité. Je fus mis à la porte des Cieux, j’avoue l’avoir bien cherché car j’étais chef de la révolte, secrétaire général des anges contestataires ! Ah, on lui en a fait baver, au Grand Manitou ! Je devins donc un homme, condamné à se réincarner sur une infinité de planètes, car l’humanité grouille dans l’Univers, comme les asticots sur une infinité de fromages ! Oui, le Big Bang Boss n’ est pas du genre radin, de la vie, Il en a foutu partout dans l’Univers ! Mais il restait en moi quelque chose de l’ange. C’est donc en beau gosse que je me réincarnais chaque fois, mais un peu moins beau à chaque réincarnation, une sorte de photocopie un peu moins nette chaque fois. Il faut dire qu’au point de vue péchés, je n’y allais pas par quatre chemins ! Les sept, je les ai pratiqués, et dans toutes les galaxies. Mais au moment de ma dernière réincarnation, juste au moment où l’employé(e) chargé(e) -quelle casse-tête que l’écriture inclusive- de remettre l’âme dans un corps nouveau de plus en plus laid allait procéder à l’opération, ce ou cette employée, un certain ? une certaine Sol-Ange ?… a reçu un coup de téléphone du Septième Ciel :

-Ah, mon Dieu ! c’est Vous, le Vrai, ce n’est pas une blague ? ! Mes respects, Ô Big Bang Boss ! La réincarnation du sieur Langeleau est annulée ? ! Mes respects, je lui annonce la nouvelle tout de suite ! Et Sol-Ange a raccroché, et puis elle, ou il m’a dit comme ça :

-Ordre du Big Bang Boss : vous allez être réintégré chez les anges, mais à à l’essai, car vous avez fait preuve de beaucoup de courage lors de votre dernière réincarnation, vous sacrifiant de façon désintéressée pour une noble cause. Mais ange du premier échelon, seulement. (il y a onze échelons chez les anges. Les anges réintégrés du premier échelon n’ont pas une gueule d’ange comme vous vous les figurez, ils ont des tronches d’anges déchus, cabossés, leur robe est encore tachée des souillures du péché, et leurs plumes ressemblent plus à celles du canard, voire à celles du poulet élevé en batterie, qu’à celles du cygne. Et ils peuvent être mis, ou plutôt remis à la porte pour mauvaise conduite.)

Et donc, j’ai passé quelques secondes ? minutes ? siècles ? millénaires ? comment savoir ! … dans le sein des cieux, occupé à des tâches subalternes et ménagères d’ange du premier échelon, nettoyage d’arcs-en-ciel, astiquage de lunes, ramassage de poussières d’étoiles, enfin des boulots à la noix, de ceux dont le Big Bang Boss affirme que pour en trouver un, il suffit de traverser la galaxie, quand j’ai reçu un courrier du Directeur des Ressources Célestes :

 » Vous êtes pressenti par le Big Bang Boss pour obtenir votre deuxième échelon si vous acceptez la mission suivante : devenir l’ange gardien de l’humain Clafoutis Valentin, terrien ayant déserté le Paradis, et ramener cet individu au Jardin d’Éden.

PS : Méfiez-vous : la planète Terre est pleine de danger, et ses habitants pervers ont inventé un objet redoutable, nommée télévision. « 

Le directeur des ressources célestes. (signature illisible et mégalomane de technocrate se prenant pour le bon Dieu)

Une éternité que je l’attendais, cette promotion ! Qu’eussiez-vous fait à ma place ? J’acceptais.

Ainsi s’acheva la confession de monsieur Langeleau, ange déchu en cours de rédemption.

Et l’ange Langeleau conclut :

– Dîtes, Pépé la Téloche, vous qui êtes le meilleur ami de Valentin Clafoutis, le déserteur du Paradis… Ne sauriez-vous pas où il se cache, ce traître ? Si je ne le retrouve pas, tintin pour mon deuxième échelon, et je risque, Dieu seul le sait ! une mise à la porte définitive !

Pépé la Téloche livrera-t-il son ami Valentin Clafoutis – qui, après un moment de déprime reprend goût à la vie terrestre – à l’ange Langeleau ?

Dieu seul le sait…

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