
Où Pépé la Téloche entre en contact épistolaire avec un être mystérieux dont on ne sait s’il vient du Ciel, de l’Enfer, de la quatrième dimension ou du bistrot d’en face.
Ainsi l’on frappait à la porte de Pépé la Téloche à l’entour de minuit.
À l’entour ? non, à minuit même, car les douze coups sonnant à la pendule de Pépé coïncidèrent avec les douze coups frappés sur l’huis par un mystérieux index. Et l’index frappa trois autres coups. Comme au théâtre. Douze coups représentant les douze apôtres, trois coups figurant la Trinité. Toute cette théâtralité rassura Pépé quand aux intentions de son visiteur. Celui, celle ? qui s’annonçait ainsi n’était certainement pas un mauvais bougre, une méchante bougresse. Pas un barbare en tout cas, aux yeux de Pépé qui ne pouvait imaginer que barbarie et culture pussent faire bon ménage, bien que certains nazis s’avérassent délicats mélomanes, hélas.
L’ancêtre était friand d’imparfaits du subjonctif, ces truffes de la langue française, ce caviar de la conjugaison, bien qu’il se mélangeasse, pardon, mélangeât parfois les pinceaux en l’employant. C’est donc sans crainte, mais fort intrigué que Pépé ouvrit sa porte. Ce qu’il restait de campagne luisait doucement sous la lune qui, comme un point sur un n’i, ne coiffait pas le clocher jauni, mais le toit du supermarché au loin, on n’arrête pas le progrès. Mais il n’y avait personne devant la porte. Sur le seuil le mystérieux visiteur avait déposé une enveloppe. Celle-ci contenait deux textes sur papier vélin dont voici le premier. L’écriture à l’encre violette était belle, quoique fort étrange, tarabiscotée, pleines de pleins et de déliés.
LES ÉTOILES COMMÈRES
Ces trois petites étoiles imprimées dans certains livres, pour en séparer les paragraphes, me fascinent. Je les reproduis ci-dessous, en caractère helvetica taille 72 pour vous donner une idée du truc.
***
Et si ces étoiles de papier étaient de vraies étoiles, quelque part, dans un univers pour nous microscopique, un infra-univers ? Je rêve comme l’Alice du Pays des Merveilles d’absorber un breuvage qui me fera rétrécir, rétrécir, rétrécir, rétrécir… Alors, je pourrai y accéder, à ces trois étoiles, ou plutôt disons que j’accéderai à la planète que réchauffent ces trois étoiles, avec juste ce qu’il faut de chaleur pour qu’ y apparaisse la vie.
***Je ne peux pas dire que j’y atterrirai, sur cette planète, puisqu’elle ne sera pas la Terre.Disons que j’aplanèterai, même si ce vocable sonne mal à l’oreille. Que trouverai-je sur cette planète chauffée par trois étoiles-soleils ? Je n’en sais encore rien. Mais je sais que j’aurai trois courtes ombres pour me tenir compagnie quand je marcherai en plein midi. Si je trouve là-bas l’âme frangine, ça fera six longues ombres quand no flânerons main dans la main, sur une plage au soleil couchant, comme dans les films quand le film finit bien.
Puisqu’on parle de soleils couchants, je me ferai peintre et je peindrai trois couchers de soleil en même temps.
Quand je serai mort, ma croix fera trois ombres, comme toutes celles de mes camarades de cimetière, mais peut-être que sur cette planète, la mort n’existe pas ou n’existe plus, et peut-être aussi que ce monde n’est pas crucifié comme le nôtre.
Je me dis parfois que notre dérisoire soleil à nous n’est sans doute qu’une étoile servant, avec deux autres étoiles compères (ou plutôt commères) à séparer les paragraphes d’un livre intitulé : » l’ Univers. «
Ci dessous la reproduction des étoiles commères. ( En taille 96 cette fois , elles le méritent bien.)
***
J’aimerais bien le bouquiner, ce Bouquin-Univers. Mais c’est là bien du boulot, ça en fait des heures de lecture, et une vie n’y suffira pas. Mes deux chattes qui sont des bêtes mais sont loin d’être bêtes ont beau se frotter à mes bouquins, elles n’en comprendront jamais le sens. Alors je me dis que même si je deviens savant savant savant avec un cerveau de premier choix et des neurones de compétition, je mourrai ignorant de bien des choses, en me frottant au Livre-Univers.
Pour me consoler de tout ça, je vais jouer à être actionnaire ou président de quelque chose, ça me passera le temps en attendant le dernier autobus. Tu ne sais jamais à quelle heure il arrive, le dernier autobus, et si le conducteur est sympa.
Poste ce cri ptit’ t’homme : Barbares, vandales, attilas de service, totalitaires, fanatiques de l’autodafé : arrêtez de brûler les bouquins, SVP : sur certains sont imprimées de petites étoiles, comme celles ci-dessous.
***
Si l’on crame ces bouquins, peut-être que quelques parts des soleils explosent puis s’éteignent en cendre de super-novaes. Merci beaucoup et la bise chez vous.
Pépé la Téloche avait lu le premier texte sur le seuil, car malgré son grand âge il avait autant bon pied que bon œil. Mais c’est à la lueur de la lampe à pétrole, devant un verre de liqueur de crapaud, qu’il lut le second texte.
QUI REVIVRA VERRA
La salle d’attente était bondée. Faut dire qu’elle n’était pas grande. Tout le monde se dévisageait… enfin, tout le monde… une dizaine de personnes des deux sexes officiels apparemment. Chacun était dans un drôle d’état, mais un état pas drôle du tout : un type brûlé, une femme poignardée, le couteau dans le cœur. La majorité des patients avait comme moi le teint livide et le visage gonflé. Avec la tronche que j’offrais à mes semblables, difficile de faire le beau auprès de ma voisine, charmante malgré ses multiples fractures.
Une éternité que j’attendais mon tour. J’avais envie de fumer, mais je n’osais pas. Et puis j’ai vu l’affichette sur le mur :
Vous pouvez fumer, à présent.
Tant qu’à faire.
Au point où vous en êtes…
Alors j’ai allumé ma pipe.
Une fille est entrée dans la salle d’attente, l’air vraiment angélique. Elle s’appelait Angélique, d’ailleurs, c’était écrit sur le badge épinglé à sa blouse blanche.
– Monsieur Gzkdcfgas, le docteur vous attend ! a-t-elle annoncé.
J’ai levé timidement le doigt.
– Ce doit être moi. Mais ce n’est pas Gzkdcfgas, mais Gzkdcfgaz, avec un z à la fin.
Angélique a poussé un soupir d’ange désabusé.
– Veuillez nous excuser. Notre ordinateur souffre de dysfonctionnement, depuis la grève illimitée et sans préavis des programmateurs.
Quelques instants après, j’étais dans le bureau du toubib, face au doc, un petit mec à blanche barbichette, au visage ridé comme la surface d’un étang quand souffle la brise printanière. La vue d’Angélique, la secrétaire médicale, avait réveillé le délicat poète qui sommeille en moi en compagnie d’un lubrique phacochère.
Le doc a passé le stéthoscope dans tous les coins de mon anatomie.
– Le cœur ne bat plus, le sang ne circule plus, vous ne respirez plus, bravo, mon ami, vous êtes qualifié. Je vais vous remplir votre bon d’entrée.
L’ancêtre s’est dirigé à pas menus vers son ordinateur pour taper de deux doigts sur le clavier, mais on voyait bien que ce n’était pas son truc, l’ordi, au papy. Alors il a soupiré, puis s’est mis à scribouiller un parchemin avec une plume d’oie.
Il a soupiré :
– Ce satané ordinateur est encore en panne. Voici votre lettre de recommandation pour la suite. Sortez du bureau par la porte de gauche et prenez le couloir B. Angélique vous montrera le chemin, c’est en pleins travaux de restructuration des services et le trajet est mal indiqué.
J’ai lu ce qu’il avait écrit sur le parchemin.
– Comment ? Je vais encore me réincarner ! me suis-je indigné. Moi qui ai trépassé en tentant de sauver une dame de la noyade ? Une laide et acariâtre, en plus ! C’est dire si j’étais désintéressé ! C’est au Paradis que je devrais être affecté ! C’est une n’honte ! Je demande à voir le Grand Directeur !
L’antique doc a chevroté :
– Le Grand Directeur ovaire-bouqué frise le burnoute ! Et ce n’est pas moi qui fait le règlement ! Et ne vous plaignez pas. Toutes les autres personnes qui étaient avec vous dans la salle d’attente ont péri en tentant en vain de sauver leur prochain ! Que voulez-vous, la vie se moque de nous, et plus quelqu’un est sage, plus elle l’ébouriffe et le tourmente !
J’avais déjà entendu ça quelque part, mais où ?
– Client… pardon, patient suivant ! Angélique, conduisez monsieur Gzkdcfgas jusqu’au couloir B ! a conclu le médecin.
– Gzkdcfgaz, avec un z à la fin, ai-je rectifié pour la forme, mais le doc avait déjà le nez plongé dans le dossier du prochain patient.
Angélique m’a conduit jusqu’au couloir B, celui des réincarnations.
– Tout de même, ai-je dit, c’est une n’honte ! Une vraie chienlit cette Administration Suprême ! Et après on s’étonnera qu’il y ait tant de mécréants, de matérialistes, de sans-Dieu en plus des sans-dents !
Angélique a souri de son sourire de Joconde, sourire certainement commercial, mais ça fait toujours plaisir.
– Que voulez-vous, nous sommes en pleine restructuration, il faut bien faire avec.
Elle a ajouté :
– Je vais vous donner le conseil que l’on donne à nos clients fidèles : demandez la planète Terre pour votre prochaine réincarnation, je n’en ai entendu dire que du bien.
Je vais suivre le conseil d’Angélique. Qui revivra verra, après tout.
Quand il ut achevé sa lecture, Pépé renonça à se resservir en liqueur de crapaud. N’était-il pas victime d’une hallucination alcoolique ? Non ! tout cela était bien réel. Aussi réel que la truie Angela qui reniflait les lettres de son rose groin, comme pour en deviner, elle aussi, le scripteur. Ce scripteur venait-il du Ciel, de l’Enfer ? de la quatrième dimension ? Était-ce un mauvais plaisant venu prosaïquement du bistrot ? Au bas de la seconde lettre, Pépé la Téloche lut le post-scriptum suivant :
» Il faut absolument que je vous vois pour affaire pressante mais j’ai préféré pour un premier contact vous joindre par courrier. Ces deux textes vous prouveront, je l’espère, que je suis un être fréquentable, car, je vous préviens, mon aspect extérieur risque de vous surprendre, et, me voyant sans m’avoir jamais vu auparavant, j’eusse pu craindre que vous ne vous enfuissiez saisi d’épouvante. Si vous êtes d’accord pour que nous entrions en contact, demain à la même heure, agitez trois fois votre lampe à pétrole sur le seuil de votre charmante chaumine « .
Alors Pépé la Téloche agita sans crainte trois fois sa lampe à pétrole sur le seuil de sa chaumine. Que pouvait-il craindre de quelqu’un qui aussi bien maniait le subjonctif imparfait ?
Qui est le mystérieux visiteur auteur d’étranges textes ?
Nos innombrables lec-trices et teurs l’appendront sans doute dans l’épizode dix-huitième des aventures de Pépé la Téloche ( dernier jeudi du mois )
13 Février 2020
chronique quasi télé – Pépé la Teloche – Epizode dix-sept
Où Pépé la Téloche entre en contact épistolaire avec un être mystérieux dont on ne sait s’il vient du Ciel, de l’Enfer, de la quatrième dimension ou du bistrot d’en face.
Ainsi l’on frappait à la porte de Pépé la Téloche à l’entour de minuit.
À l’entour ? non, à minuit même, car les douze coups sonnant à la pendule de Pépé coïncidèrent avec les douze coups frappés sur l’huis par un mystérieux index. Et l’index frappa trois autres coups. Comme au théâtre. Douze coups représentant les douze apôtres, trois coups figurant la Trinité. Toute cette théâtralité rassura Pépé quand aux intentions de son visiteur. Celui, celle ? qui s’annonçait ainsi n’était certainement pas un mauvais bougre, une méchante bougresse. Pas un barbare en tout cas, aux yeux de Pépé qui ne pouvait imaginer que barbarie et culture pussent faire bon ménage, bien que certains nazis s’avérassent délicats mélomanes, hélas.
L’ancêtre était friand d’imparfaits du subjonctif, ces truffes de la langue française, ce caviar de la conjugaison, bien qu’il se mélangeasse, pardon, mélangeât parfois les pinceaux en l’employant. C’est donc sans crainte, mais fort intrigué que Pépé ouvrit sa porte. Ce qu’il restait de campagne luisait doucement sous la lune qui, comme un point sur un n’i, ne coiffait pas le clocher jauni, mais le toit du supermarché au loin, on n’arrête pas le progrès. Mais il n’y avait personne devant la porte. Sur le seuil le mystérieux visiteur avait déposé une enveloppe. Celle-ci contenait deux textes sur papier vélin dont voici le premier. L’écriture à l’encre violette était belle, quoique fort étrange, tarabiscotée, pleines de pleins et de déliés.
LES ÉTOILES COMMÈRES
Ces trois petites étoiles imprimées dans certains livres, pour en séparer les paragraphes, me fascinent. Je les reproduis ci-dessous, en caractère helvetica taille 72 pour vous donner une idée du truc.
Et si ces étoiles de papier étaient de vraies étoiles, quelque part, dans un univers pour nous microscopique, un infra-univers ? Je rêve comme l’Alice du Pays des Merveilles d’absorber un breuvage qui me fera rétrécir, rétrécir, rétrécir, rétrécir… Alors, je pourrai y accéder, à ces trois étoiles, ou plutôt disons que j’accéderai à la planète que réchauffent ces trois étoiles, avec juste ce qu’il faut de chaleur pour qu’ y apparaisse la vie.
***Je ne peux pas dire que j’y atterrirai, sur cette planète, puisqu’elle ne sera pas la Terre.Disons que j’aplanèterai, même si ce vocable sonne mal à l’oreille. Que trouverai-je sur cette planète chauffée par trois étoiles-soleils ? Je n’en sais encore rien. Mais je sais que j’aurai trois courtes ombres pour me tenir compagnie quand je marcherai en plein midi. Si je trouve là-bas l’âme frangine, ça fera six longues ombres quand no flânerons main dans la main, sur une plage au soleil couchant, comme dans les films quand le film finit bien.
Puisqu’on parle de soleils couchants, je me ferai peintre et je peindrai trois couchers de soleil en même temps.
Quand je serai mort, ma croix fera trois ombres, comme toutes celles de mes camarades de cimetière, mais peut-être que sur cette planète, la mort n’existe pas ou n’existe plus, et peut-être aussi que ce monde n’est pas crucifié comme le nôtre.
Je me dis parfois que notre dérisoire soleil à nous n’est sans doute qu’une étoile servant, avec deux autres étoiles compères (ou plutôt commères) à séparer les paragraphes d’un livre intitulé : » l’ Univers. «
Ci dessous la reproduction des étoiles commères. ( En taille 96 cette fois , elles le méritent bien.)
J’aimerais bien le bouquiner, ce Bouquin-Univers. Mais c’est là bien du boulot, ça en fait des heures de lecture, et une vie n’y suffira pas. Mes deux chattes qui sont des bêtes mais sont loin d’être bêtes ont beau se frotter à mes bouquins, elles n’en comprendront jamais le sens. Alors je me dis que même si je deviens savant savant savant avec un cerveau de premier choix et des neurones de compétition, je mourrai ignorant de bien des choses, en me frottant au Livre-Univers.
Pour me consoler de tout ça, je vais jouer à être actionnaire ou président de quelque chose, ça me passera le temps en attendant le dernier autobus. Tu ne sais jamais à quelle heure il arrive, le dernier autobus, et si le conducteur est sympa.
Poste ce cri ptit’ t’homme : Barbares, vandales, attilas de service, totalitaires, fanatiques de l’autodafé : arrêtez de brûler les bouquins, SVP : sur certains sont imprimées de petites étoiles, comme celles ci-dessous.
Si l’on crame ces bouquins, peut-être que quelques parts des soleils explosent puis s’éteignent en cendre de super-novaes. Merci beaucoup et la bise chez vous.
Pépé la Téloche avait lu le premier texte sur le seuil, car malgré son grand âge il avait autant bon pied que bon œil. Mais c’est à la lueur de la lampe à pétrole, devant un verre de liqueur de crapaud, qu’il lut le second texte.
QUI REVIVRA VERRA
La salle d’attente était bondée. Faut dire qu’elle n’était pas grande. Tout le monde se dévisageait… enfin, tout le monde… une dizaine de personnes des deux sexes officiels apparemment. Chacun était dans un drôle d’état, mais un état pas drôle du tout : un type brûlé, une femme poignardée, le couteau dans le cœur. La majorité des patients avait comme moi le teint livide et le visage gonflé. Avec la tronche que j’offrais à mes semblables, difficile de faire le beau auprès de ma voisine, charmante malgré ses multiples fractures.
Une éternité que j’attendais mon tour. J’avais envie de fumer, mais je n’osais pas. Et puis j’ai vu l’affichette sur le mur :
Vous pouvez fumer, à présent.
Tant qu’à faire.
Au point où vous en êtes…
Alors j’ai allumé ma pipe.
Une fille est entrée dans la salle d’attente, l’air vraiment angélique. Elle s’appelait Angélique, d’ailleurs, c’était écrit sur le badge épinglé à sa blouse blanche.
- Monsieur Gzkdcfgas, le docteur vous attend ! a-t-elle annoncé.
J’ai levé timidement le doigt.
- Ce doit être moi. Mais ce n’est pas Gzkdcfgas, mais Gzkdcfgaz, avec un z à la fin.
Angélique a poussé un soupir d’ange désabusé.
- Veuillez nous excuser. Notre ordinateur souffre de dysfonctionnement, depuis la grève illimitée et sans préavis des programmateurs.
Quelques instants après, j’étais dans le bureau du toubib, face au doc, un petit mec à blanche barbichette, au visage ridé comme la surface d’un étang quand souffle la brise printanière. La vue d’Angélique, la secrétaire médicale, avait réveillé le délicat poète qui sommeille en moi en compagnie d’un lubrique phacochère.
Le doc a passé le stéthoscope dans tous les coins de mon anatomie.
- Le cœur ne bat plus, le sang ne circule plus, vous ne respirez plus, bravo, mon ami, vous êtes qualifié. Je vais vous remplir votre bon d’entrée.
L’ancêtre s’est dirigé à pas menus vers son ordinateur pour taper de deux doigts sur le clavier, mais on voyait bien que ce n’était pas son truc, l’ordi, au papy. Alors il a soupiré, puis s’est mis à scribouiller un parchemin avec une plume d’oie.
Il a soupiré :
- Ce satané ordinateur est encore en panne. Voici votre lettre de recommandation pour la suite. Sortez du bureau par la porte de gauche et prenez le couloir B. Angélique vous montrera le chemin, c’est en pleins travaux de restructuration des services et le trajet est mal indiqué.
J’ai lu ce qu’il avait écrit sur le parchemin.
- Comment ? Je vais encore me réincarner ! me suis-je indigné. Moi qui ai trépassé en tentant de sauver une dame de la noyade ? Une laide et acariâtre, en plus ! C’est dire si j’étais désintéressé ! C’est au Paradis que je devrais être affecté ! C’est une n’honte ! Je demande à voir le Grand Directeur !
L’antique doc a chevroté :
- Le Grand Directeur ovaire-bouqué frise le burnoute ! Et ce n’est pas moi qui fait le règlement ! Et ne vous plaignez pas. Toutes les autres personnes qui étaient avec vous dans la salle d’attente ont péri en tentant en vain de sauver leur prochain ! Que voulez-vous, la vie se moque de nous, et plus quelqu’un est sage, plus elle l’ébouriffe et le tourmente !
J’avais déjà entendu ça quelque part, mais où ?
- Client… pardon, patient suivant ! Angélique, conduisez monsieur Gzkdcfgas jusqu’au couloir B ! a conclu le médecin.
- Gzkdcfgaz, avec un z à la fin, ai-je rectifié pour la forme, mais le doc avait déjà le nez plongé dans le dossier du prochain patient.
Angélique m’a conduit jusqu’au couloir B, celui des réincarnations.
- Tout de même, ai-je dit, c’est une n’honte ! Une vraie chienlit cette Administration Suprême ! Et après on s’étonnera qu’il y ait tant de mécréants, de matérialistes, de sans-Dieu en plus des sans-dents !
Angélique a souri de son sourire de Joconde, sourire certainement commercial, mais ça fait toujours plaisir.
- Que voulez-vous, nous sommes en pleine restructuration, il faut bien faire avec.
Elle a ajouté :
- Je vais vous donner le conseil que l’on donne à nos clients fidèles : demandez la planète Terre pour votre prochaine réincarnation, je n’en ai entendu dire que du bien.
Je vais suivre le conseil d’Angélique. Qui revivra verra, après tout.
Quand il ut achevé sa lecture, Pépé renonça à se resservir en liqueur de crapaud. N’était-il pas victime d’une hallucination alcoolique ? Non ! tout cela était bien réel. Aussi réel que la truie Angela qui reniflait les lettres de son rose groin, comme pour en deviner, elle aussi, le scripteur. Ce scripteur venait-il du Ciel, de l’Enfer ? de la quatrième dimension ? Était-ce un mauvais plaisant venu prosaïquement du bistrot ? Au bas de la seconde lettre, Pépé la Téloche lut le post-scriptum suivant :
» Il faut absolument que je vous vois pour affaire pressante mais j’ai préféré pour un premier contact vous joindre par courrier. Ces deux textes vous prouveront, je l’espère, que je suis un être fréquentable, car, je vous préviens, mon aspect extérieur risque de vous surprendre, et, me voyant sans m’avoir jamais vu auparavant, j’eusse pu craindre que vous ne vous enfuissiez saisi d’épouvante. Si vous êtes d’accord pour que nous entrions en contact, demain à la même heure, agitez trois fois votre lampe à pétrole sur le seuil de votre charmante chaumine « .
Alors Pépé la Téloche agita sans crainte trois fois sa lampe à pétrole sur le seuil de sa chaumine. Que pouvait-il craindre de quelqu’un qui aussi bien maniait le subjonctif imparfait ?
Qui est le mystérieux visiteur auteur d’étranges textes ?
Nos innombrables lec-trices et teurs l’appendront sans doute dans l’épizode dix-huitième des aventures de Pépé la Téloche ( dernier jeudi du mois )