Serge Granjon – Le roman de l’histoire de Saint-Etienne : Il y a deux cent ans : les premiers députés stéphanois

Depuis ces premiers jours d’octobre 1789, qui l’avaient amené de Versailles à Paris, au milieu d’un étrange convoi de femmes armées de piques, le roi supportait mal sa résidence surveillée au château des Tuileries. Ce fut une des raisons de sa fuite vers Metz, dans la nuit du 20 juin 1791. Mais, au retour de Varennes, il n’était plus qu’un prisonnier et, sur sa couronne, les lys étaient flétris. Dès lors à Paris les extrémistes des sections voulurent sa déchéance. N’ayant pu l’obtenir de l’assemblée, ils vinrent forcer les portes de la cour du château. Et quand, aux Tuileries, ce fut l’ultime salve, que l’épaisse fumée s’éleva sur l’uniforme rouge et blanc de la garde sans vie, c’en était fait de la royauté. Et le peuple en révolte, par l’intermédiaire d’un certain Huguenin, à la tête des sections parisiennes insurgées, fit savoir au président de l’Assemblée Nationale que le peuple souverain exigeait la réunion des assemblées primaires.

Le président grimaça : sous la pression de la rue, l’Assemblée Législative devait se saborder, et céder la place à une autre Assemblée : La Convention, chargée d’établir une nouvelle constitution puisque la royauté venait d’être abolie.

Pour cela, il fallait, ainsi que le prévoyait l’ancienne constitution de 1791, convoquer les assemblées primaires qui choisiraient les électeurs qui, à leur tour, désigneraient les députés envoyés à l’Assemblée Nationale. C’était le principe du suffrage à deux degrés, qu’on qualifia aussi de suffrage indirect.

Les élections primaires avaient été instituées par le roi, en janvier 1789, pour procéder aux élections des États Généraux.  En faisaient partie les hommes « nés Français ou naturalisés, âgés de vingt-cinq ans, domiciliés et compris au rôle des contributions » . Plus rigoureuse, la constitution de 1791 avait introduit un suffrage censitaire, c’est à dire que, pour avoir le droit d’être citoyen actif et d’entrer dans les assemblées primaires, il fallait payer un impôt direct, fixé à trois journées de travail au moins, ce qui privait du droit de vote beaucoup de citoyens, appelés de ce fait les « citoyens passifs ».

Ce fut le député Guadet, un brillant avocat girondin, qui proposa à l’Assemblée Législative de nouvelles modalités pour les élections à la Convention. Elle les adopta : « La distinction des Français en citoyens actifs et non actifs sera supprimée. Pour être admis, il suffira d’être âgé de vingt et un ans, domicilié depuis un an, vivant de son revenu, ou du produit de son travail et n’étant pas en état de domesticité ». C’était se rapprocher du suffrage universel, et le nombre des votants grimpa ainsi à sept millions dans le pays, soit environ le quart de la population totale. Du coup, comme dans les autres départements, ils devenaient beaucoup plus nombreux dans celui de Rhône et Loire, une appellation de nos jours surprenante.

C’est à la demande des Stéphanois, en février 1790, lorsque fut décidée la création des départements, que Forez, Lyonnais et Beaujolais s’étaient trouvés regroupés dans le département de Rhône et Loire, qui reprenait de la sorte l’ancienne province du Lyonnais. Bien sûr, Lyon en serait à la tête, mais Saint-Étienne préférait cette hégémonie à celle de Montbrison, sa rivale bien moins peuplée, mais qui serait sans aucun doute le chef-lieu d’un département de la Loire, grâce à son expérience en matière d’administration.

La décision venait d’en être prise : les assemblées primaires dans chaque canton de France se réuniraient au plus tôt.

Ce fut, comme ailleurs, le cas en Rhône et Loire. La commune de Saint-Étienne désigna vingt électeurs dans ses quatre assemblées de Polignais, de la place (du Peuple), de Chavanelle et de la rue de Lyon. Les deux premières étaient réunies dans les chapelles des Pénitents, et les deux autres dans l’église des Minimes (de nos jours Saint-Louis) pour l’assemblée de Chavanelle, et dans  la grande salle du jeu de l’Arc pour celle de Lyon.

L’ÉGLISE SAINT-LOUIS COMME BUREAU DE VOTE

Ainsi, les assemblées primaires du Rhône et Loire avaient choisi les électeurs pour élire les députés de l’Assemblée législative. Où allaient-ils se retrouver ? L’année précédente, ç’avait été à Lyon, dans l’église des Cordeliers. Cette fois, ce serait Saint-Étienne qui allait les accueillir. Et les élections devaient se dérouler dans l’église des Minimes.

Le couvent avait été mis en vente comme bien national, et la ville l’avait acquis en 1791. La municipalité cherchait de nouveaux locaux pour ses réunions. Jusqu’alors, l’étroite maison de la ville avait été suffisante, étant donné le peu d’assistants. Mais à présent, avec les assemblées populaires fortes de plusieurs centaines de participants, il fallait prévoir grand. L’église des Minimes semblait tout indiquée. On l’aménagea spécialement pour la circonstance. Au milieu du chœur fut dressée une estrade pour le bureau électoral qui devait siéger, formé d’un président, assisté de deux secrétaires et de six scrutateurs. Venus des quatre points cardinaux de l’immense département de Rhône et Loire, les électeurs arrivèrent pour élire les représentants du peuple.

Mais, comme dans toute la France, ils étaient moins nombreux que prévu : sur les 2361 à avoir été désignés par les assemblées primaires, il ne s’en présenta que 884. Et peu de raisons pouvaient être évoquées, hormis l’indifférence de bon nombre de ces nouveaux mandataires à la « chose publique ». La plus sérieuse pourrait être le départ des volontaires au début du mois d’août, ayant pris l’uniforme pour sauver la patrie. Ces fervents patriotes s’étaient ainsi trouvés éloignés des urnes, eux qui auraient peut-être été des électeurs, mais surtout qui auraient poussé les indécis à faire leur devoir. Il est pourtant étonnant que l’on ait pu parler des massacres de septembre, pour expliquer le faible nombre des électeurs présents. Ces massacres ne commencèrent qu’au premier jour des élections, le 2 septembre, lorsque Danton appela à résister, dans la France envahie, aux ennemis de la patrie. Ils eurent lieu à Paris, jusqu’au cinq septembre, lorsque les égorgeurs allèrent dans les prisons assassiner les suspects, les prêtres réfractaires. A Lyon même, le 9 septembre, huit officiers du Royal-Pologne et trois prêtres furent massacrés. Mais à cette date, les élections touchaient à leur fin, puisqu’elles furent terminées le 11 septembre.

On pourrait reconnaître l’impact des massacres sur les élections si les nouvelles de Paris, apprises avec le retard habituel, avaient fait quitter Saint-Étienne à un grand nombre d’électeurs quelques jours après le début du scrutin.  Il n’empêche que la peur des extrémistes jacobins a pu jouer un rôle.

SAINT-ÉTIENNE :  MÉTROPOLE DE LA RÉVOLUTION

Jamais la ville n’avait connu, et de si tôt ne connaîtra pareille animation. Pendant toute cette période, ce fut entre la place du Peuple et le couvent des Minimes un va-et-vient perpétuel. Une foule innombrable la parcourait, cette rue qui était alors d’un seul tenant, et dont il reste aujourd’hui deux importants tronçons : la rue Saint-François et la rue Philippon. Les voix bourrues des sans-culottes ou bien des citoyennes coiffées de leurs charlottes devaient jour et nuit escalader leurs hauts murs. Aux heures cruciales de la Révolution, des files de gens s’y croisaient, certains allant tuer le temps ou se désaltérer dans un recoin d’auberge, alors que d’autres sortaient pour aller aux nouvelles. Car pour chaque résultat, le bureau quittait la salle et se rendait sur le parvis , escorté par des gardes nationaux qui tiraient en l’air, pendant que les tambours battaient. Cela se produisit ainsi quinze fois, autant de fois qu’il y avait de députés à élire.

Et parmi ceux-ci figuraient deux Stéphanois, très représentatifs de la future Assemblée : le modéré Marcellin Beraud et Noël Pointe, le jacobin.

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