Un certain dimanche au point du jour : le 21 mai 1911. Le brume enveloppait d’un ciel d’incertitude le champ d’aviation d’ Issy les Moulineaux, quand soufflait un vent du nord-est favorable. Entre crainte et confiance, Emile Train attendait le signal de son départ pour le raid Paris-Madrid, organisé par » Le Petit Parisien « .
Inscrit sous le numéro 19 parmi vingt engagés, dont la moitié seulement restait en lice, il avait vu la foule admirer Beaumont comme un oiseau gracieux, Garros, tel un dieu longuement adoré, ovationner Gibert, qui matait les bourrasques, et puis saluer Frey après trois vaines tentatives d’envol. Il avait écouté Le Vasseur acclamé pour sa montée vers les nuées, entendu les poulbots enivrés par Védrines, aux lisières du réel. Train, de son côté, ne prêtait plus l’oreille qu’au bruit de son moteur…
6h30 du matin : Train, un passager à bord, s’enleva avec effort du sol. L’appareil qui, la veille, s’était maintenu à haute altitude, plafonnait à une quarantaine de mètres. Et de plus belle reprenaient les ratés, qui avaient précédé l’atterrissage. Le monoplan tanguait, roulait, se rapprochait du sol. Sur le point de caler, le moteur faiblissait. Train fit demi-tour pour se poser en urgence. Droit devant, un peloton de cuirassiers, juste après avoir refoulé des curieux, traversait le terrain. L’aviateur tenta de virer court pour retourner sur ses pas. Mais le moteur ne répondait plus. Il réussit alors l’impossible : redresser l’avion au-dessus des cavaliers. Et puis il s’abattit, complètement cabré, sur le côté, faucha un groupe d’officiels qui venaient de visiter les hangars et regagnaient leur tribune : le préfet de police Lépine, l’industriel mécène d’aviation Deutsch de la Meurthe, le président du Conseil Monis et le ministre de la Guerre Berteaux.
Si le premier s’en sortit indemne, les deux autres avec de graves blessures, le ministre de la Guerre, un bras sectionné par l’hélice, mourut vite d’une grave hémorragie. Train, qui s’était dégagé de l’appareil, courut désespéré s’enfermer dans son hangar.
Un professeur d’aviation de la Sorbonne posa d’emblée le principe de » mettre hors de cause l’auteur involontaire de cet affreux accident. Train n’est pas un novice, c’est un pilote expérimenté « . Blériot ne prit pas ouvertement parti, sans citer le nom de Train, il affirma qu’ « on ne doit pas faire d’exhibition devant la foule. Et surtout on doit interdire les appareils qui ne sont pas au point et les pilotes qui ne se sont pas suffisamment exercés « .
Il refusait toute compétition basée sur la vitesse, ajoutait que l’aéroplane était » actuellement un engin militaire « . Or, justement, bien que petit constructeur, Train, avait reçu commande de quinze appareils pour la guerre et les colonies. Léon Berthou, l’ancien président de la commission sportive aéronautique, incrimina l’aérodrome d’Issy les Moulineaux, situé dans une cuvette sournoisement balayée des remous d’air, et rendue dangereuse par les habitations en bordure. Le sénateur Reymond avança le chiffre de 400000 spectateurs massés autour de la piste, foule compacte hors d’état d’échapper à un accident. Train reçut aussi l’appui de ses frères, tous deux ouvriers à la » Manu « . Ils envoyèrent une dépêche aux organisateurs : « Notre famille est consternée de l’accident d’ Issy les Moulineaux « . Mais l’aviateur…y sentait son étoile ternie…et il saurait bientôt…lui préférer l’oubli…
