
Il y a quatre-vingt ans avec la Retirada (l’exode des républicains espagnols fuyant « Franco la Muerte ») et la chute de la République, s’ouvrait un des pages sombres de notre histoire contemporaine : celles du « Négationnisme des Républicains Espagnols » accompagné du génocide de ces mêmes Républicains .
Le « Négationnisme Espagnol » ou le « Révisionnisme Ibérique »
Il consiste en trois attitudes :
La première : le mensonge, le trucage de la vérité. Le fait ne pas reconnaître les faits historiques dans leur réalité de les déformer ou inventer d’autres versions comme
– La participation et la libération de Paris par les Républicains espagnols de la 9ème compagnie de Leclerc avec les chars Guadalajara, Madrid, Teruel, Ebro. Dire que ce sont les Français qui sont arrivés les premiers dans la capitale est un mensonge, ajouter même qu’ils s’agit de Marocains et non d’Espagnols, est un crime contre l’histoire et la mémoire ! Non seulement envers les Républicains espagnols qui se sont battus pour la France mais aussi envers le Maréchal Leclerc, le capitaine Raymond Dronne et les autres officiers français de la 9eme DB.

– Ne pas admettre l’existence des camps de concentration. En parler comme de camps de rétention ou de camps de regroupement pour les réfugiés alors qu’ils furent parqués, pire que des bêtes dans des conditions ignobles (répression, froid, humiliation qui non rien à envier aux camps allemands de la mort) est une insulte pour les réfugiés et pour ceux qui les ont aidés…
– L’accueil que fit le gouvernement Daladier à l’armée républicaine espagnole en France et aux civils. Minimiser l’événement, ne pas le diffuser dans la presse (ne faire venir qu’un journal et ne faire visiter qu’un camp de concentration modèle à la Croix Rouge et aux journalistes), masquer la réalité des camps, est contraire au devoir de liberté d’information.
– Le mensonge sur les objectifs des « bandoleroas » et leur assimilation à des bandits de grands chemins alors que ce furent des révolutionnaires en lutte contre le franquisme.

La deuxième : les trahisons de la vérité
– La trahison de la République et l’arrêt de la Révolution sociale
– L’influence majeure des Communistes dans le gouvernement de Négrin.
– Le détournement de l’or de la banque d’Espagne via l’Union soviétique.
– Les assassinats systématiques des leaders libertaires : Durruti, Ascaso, Nin (attribuer l’exécution de Durruti à un de ses proches, qui l’accompagnait ce jour-là, relève aussi bien de l’injure que de la plaisanterie : Durruti a été abattu à distance)
– Le retrait des Brigades Internationales (après la trahison de Munich)
Les causes de l’assassinat de Federico Garcia Lorca
Longtemps, en Espagne franquiste, on fit croire que l’exécution du plus grand poète était due au fait qu’il était homosexuel (crime condamné par l’Église et la société totalitaire). En fait, si Féderico fut tué c’est qu’il était non seulement républicain mais bien révolutionnaire et que sa littérature dérangeait (interdite sous Franco) (Romancero de la « guardia civil » qui tua la population d’un village). On invoqua sa déviance sexuelle pour le discréditer, pour réduire sa mort à une affaire de mœurs, alors qu’il s’agissait bel et bien d’un assassinat politique orchestré par un général nationaliste et des phalangistes fanatiques.
– Le désarmement des milices populaires par les troupes gouvernementales spécialement communistes, faire passer les « libertaires » pour des traîtres et des « amis des Franquistes » est une manœuvre de basse politique, ignoble visant uniquement à éliminer les éléments révolutionnaires des armées, car trop dangereux, trop dérangeants, trop incontrôlables , pas « politiquement, corrects, présentables » !
La troisième le silence, l’oubli, sur des événements historiques majeurs mais dérangeants :
– Au début du conflit, l’attitude héroïque des marins espagnols dans les ports du Maroc qui refusèrent d’embarquer les soldats marocains et nationalistes qui s’étaient soulevés contre la République.

– L’aide d’Hitler et de Mussolini (prêt d’ avions) pour transporter les troupes marocaines de Franco à Séville et qui vont transformer le coup d’état manqué en guerre civile sanglante.
– Le rôle d’Hitler et de Mussolini dans le conflit, donnant toutes les chances à Franco de l’emporter
– La prise de position de Churchill (anti bolchevique) choisissant le camp de Franco,
– L’échange par Franco au début du conflit, d’un très grand nombre de concessions minières contre des armes allemandes, sans compter l’aide en pétrole et en armement dont Franco bénéficia de la part de compagnies américaines.
– La « Division Bleue » formée de 47 000 volontaires phalangistes sous les ordres du général Munoz Grandes qui combattit aux côtés des Allemands lorsque l’Allemagne attaqua la Russie au moment de la seconde guerre mondiale.
– Pendant toute la première partie de la seconde guerre mondiale, l’Espagne franquiste mit à la disposition de l’Allemagne des bases de sous-marins, des installations d’écoute de radio, du matériel de guerre, et même des bases aériennes, tout en continuant les échanges financiers et commerciaux avec les banques allemandes.
– L’attitude de la France face à la vente d’armes que les Républicains espagnols voulaient faire avec elle : le refus, le blocage de ses ventes.
– L’attitude de la Grande-Bretagne préconisant la non-intervention, la neutralité, laissant la République Espagnole seule face aux fascistes, et entraînant de fait son alliance avec l’Union Soviétique la seule puissance voulant bien lui vendre des armes et la soutenir.
– Le détournement de l’or espagnol orchestré par les staliniens et organisé par Negrin. Feuilleton rocambolesque dont l’issue fut d’offrir aux Russes une réserve d’or inestimable, trésor que Espagne avait accumulée et provenant des Aztèques, des Incas, des Mayas, des indiens d’Amérique qu’elle avait dépouillée. Cet or servit, à n’en pas douter, au développement de l’URSS, à sa conquête économique et spatiale car aucune pièce d’or ne fut remise ou restituée à l’Espagne, ni franquiste ni démocratique. Tout comme le le trésor des Indiens d’Amérique permit à l’Union soviétique d’acheter des armes et de tenir trois ans face aux fascistes, mais aussi de devenir une puissance anti-capitaliste qui domina pendant des décennies le monde.
– La répression des « brigadistes » des Brigades Internationales. De retour chez eux beaucoup furent emprisonnés, d’autres n’eurent pas les hautes fonctions qu’ils méritaient. On se méfiait d’eux, de leur passé, de leurs discours…Sans oublier l’exécution par Staline de Kleber général de brigade de retour à Moscou. Beaucoup de Russes ayant joué un rôle pendant la guerre civile (Berzin, Goriev.. Rosenberg ) furent soit exécutés, soit trouvèrent la mort dans des camps de concentration (purge stalinienne).
– Tito taira durant toute sa vie sa participation aux Brigades Internationales craignant pour son sort. En Espagne en 1936, il avait pris un pseudonyme. Il combattit vaillamment avec des « Rouges Républicains » et mon père s’entretint avec lui !
– Le sort des Espagnols partis pour l’Union Soviétique après la défaite, beaucoup moururent victimes de la purge stalinienne : Negrin et la Pasionaria terrorisés ne dirent rien craignant pour leur vie.
– Des chiffres : 10 000 Républicains morts dans les camps de concentration nazis ;
25 000 morts pendant la seconde guerre mondiale, tombés au combat auprès des alliés
800 000 victimes de la guerre civile ( les deux camps confondus ),
300 000 émigrants ( 50 000 en Amérique du sud) dont l’élite de la nouvelle génération, un pays vidé du meilleur de lui-même, et des exilés en marge de leur histoire.

– Le rôle dominant des Républicains espagnols au cours de la deuxième guerre mondiale : aucun manuel scolaire ne parle de la Libération de Paris par les guérilleros de Dronne, on ne parle pas non plus des 60 000 espagnols qui participèrent à la Seconde Guerre Mondiale (dans les maquis du Sud-Ouest et du Sud-Est, dans l’armée étrangère, au Débarquement, à la Libération de Paris, et leur poursuite jusqu’en Allemagne)
– La tentative de reconquête dans le Val D’Aran en octobre 1944 par les guérilleros après la libération de la France et l’échec dû au non-soutien des forces occidentales et de l’armée impressionnante de Franco lancée à l’assaut des Républicains.
– La précipitation de Charles De Gaulle pour reconnaître le gouvernement de Franco en octobre 1944 après avoir désarmé les « guérilleros espagnols » de France, qui luttaient pour reconquérir la liberté dans leur pays.
– Les actes de résistance dans les Pyrénées qui durèrent jusqu’en 1949.
– Le premier train nazi parti pour le camp de la mort à Mauthausen qui n’était pas chargé de Juifs, ou d’opposant, mais de Républicains espagnols !
– Le rôle du gouvernement de Daladier lors de la Retirada : propagande pour faire retourner les Espagnols chez eux, arrestations des révolutionnaires, des chefs, et livraison à Franco des soi-disant « dangereux » ;
– La Retirada et les camps de concentration. Comment plus de 200 000 espagnols y vécurent-ils ?

– La « Révolution Espagnole » : l’autogestion pendant la guerre, la collectivisation des terres et des entreprises dans tout le pays ; le fédéralisme ; le socialisme libertaire devenu réalité et réalisation ; le peuple dirigeant les affaires économiques, sociales et culturelles ; les milices ouvrières ; la solidarité ouvrière, l’alphabétisation menée comme une croisade contre l’obscurantisme, les avancées pour la condition de la femme pendant la république libertaire : droit de vote, liberté individuelle, de conscience, droit au divorce, à l’avortement à la contraception, à l’union libre, à la responsabilité parentale, droit d’occuper des fonctions réservées jusqu’ici aux hommes : ministre de la santé (Federica Montseny, anarchiste), journalistes, miliciennes…
– Les avancées en médecine, des méthodes nouvelles de traitement des blessures de guerre (balles) qui ont été introduites par l’armée républicaine. Dorénavant, durant les guerres suivantes les blessés par balles ne succomberont plus que par centaines tandis qu’avant ils étaient des milliers à mourir ainsi. Dans les camps de concentration français, les médecins espagnols essayeront de pratiquer leurs méthodes mais seront repoussés par les gardes français qui leur interdiront de pratiquer et combien de fois s’opposeront-ils à des soins insuffisants, non conformes et non efficaces causant la mort de milliers d’hommes femmes et enfants internés. Copeman l’ancien commandant du bataillon anglais des brigades internationales fit devant la famille royale de Windsor, un exposé des précautions à pendre en cas de bombardements aériens.
Ainsi le « négationnisme espagnol » doit-il, aujourd’hui, quatre-vingts ans après , être étudié avec beaucoup de sérieux, de devoir de conscience et de mémoire.
Carmen Montet