Carnet de voyage – La Belle Guinée – Julie Ladret

5. Les rebelles

La démence diurne enfante ses macchabées à la pupille dilatée. Le blanc immaculé des orbites semble accuser le ciel… Une plaie béante dissocie presque la tête du corps raide, le sang est noir comme un reste d’homme…

Tatoué aux endroits cachés, l’assaillant trône. Respiration saccadée, il essuie son front détrempé de sueur droguée… Il ne voit qu’un flou «Tue, tue, tu existes en négation à la vie. Ta réalité est une mer de sang noyée d’innommables ennemies…»

Le hurlement d’une femme est un chant fou. Une vie traquée, apeurée, pénétrée de part en part, violée jusqu’à ce qu’elle n’ouvre plus jamais son regard, jusqu’à ce qu’elle…

Silence…Son corps perle. La femme dévoile son dernier souffle, libère ses paupières et le fixe… Elle le fige dans sa propre horreur, elle lui renvoie un mirage de lave et de sang…

«Manche longue ou manche courte?», la bouche de l’assaillant se perd dans un rictus haineux. Ces mots le frappent dans la tête comme les tambours incessants, comme les milliers de cœurs de ses victimes mutilées…

Les bras, les jambes s’entassent dans l’immense charnier de son âme. Les bras de son père, le regard de sa mère… Et ces autres qui l’empoignent, l’enserrent, le droguent et le transforment par une immonde alchimie…

Même la famille ne reconnaît plus l’enfant, tellement détruit, écorché, griffé par l’effroyable réalité que ma peau blanche a créée.

Être sans famille sur cette terre rougie de heurts, c’est être une ombre, un oublié, une erreur…C’est ne plus être…

Mais qui sont ces rebelles, sinon des ombres impénétrables marquées par la folie humaine, que des soldats sans pays qui vivent pour tuer, qui ne défendent rien, ne construisent rien…Ils sont le fruit issu de la ronde des idéaux occidentaux déchirant les rideaux du monde. Pourtant, la mort ne soumet personne et encore moins les hommes aux hommes…

Et les barrages se referment au point du jour. Un homme, nu, tremble sous l’œil de la dictature policière cherchant un tatouage caché, bien caché…

La vie est foulée par des bottes boueuses…. Et cet incroyable silence…

Après seulement, la nature retrouve sa voix. Après seulement, la vie renaît, autrement mais toujours… C’est comme chercher son cœur dans le chant d’un oiseau….

La bataille

Les rebelles avancent aux portes du désespoir. Une ville fantôme désertée par l’oubli…

L’exode ruisselle sur les routes comme un fleuve humain dégorgeant de peur, de cri et de misère…

Cette intolérable incertitude qui enserre les poitrines, un étau de fer sur une chair noire…

La dernière ville doit tomber devant la richesse, devant l’aveuglant diamant que porte cette terre. Une folie…

Juste avant la bataille, tout est vide, creux. Le pas des mercenaires résonne. C’est un pas dérangé, incontrôlé…Les rebelles s’avancent, s’avancent dans un vacarme solitaire sans savoir que doucement se referment sur eux d’innombrables poings levés, mains armées…Ils se croient seuls, forts mais tout est déjà fini, ils sont légion à les combattre, jeunes volontaires en soif de paix…L’étau armé a tiré, tiré, tiré, jusqu’à l’orée du soir…. Puis le feu, les murs de la ville tremblent de peur pour les rares âmes humaines qu’ils protègent encore…

L’enfant soldat à la peau d’argile tombe. Enrôlé dans une guerre qu’il n’a pas voulue, il tombe pour rien, absolument rien…

Les portes de la ville sont toujours rouges en mémoire à ce massacre…Et on rit encore de la douleur des rebelles, de ces enfants souillés, bouche ouverte pour hurler leur mort…

Et on pleure encore à l’intérieur…

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s