Carnet de voyage : LA BELLE GUINEE – Julie Ladret

9 Avril 2018

2. La ville

Au-delà de la vitre, le monde s’anime avec une ferveur inlassable, incontrôlable… Sur les berges du goudron, le marché s’étend comme la traînée noire d’une fourmilière.

Chacun a sa tâche, sa peine à porter. Cette petite fille ne le sait que trop, elle vend des fruits avec des mouches dessus. Chaque jour et chaque jour, elle vend des fruits avec des mouches dessus. Elle pense à son petit frère qu’elle porte sur son échine cambrée, elle porte le poids d’être mère sans jamais avoir enfanté.

La pluie diluvienne surprend le jour, une tendre amante qui flatte les contours du monde. Elle dilue la terre en pâte molle, en une boue qui recouvre l’étalage de meubles exposés en plein air et éclabousse joyeusement les chaussures.

Toujours et toujours les marchands vendent des nappes, de minuscules coras au milieu de la route et toujours, ils ignorent les caprices du ciel, puisqu’ils font partie d’eux, puisqu’ils vivent grâce à eux.

Des mains tendues mendient un cadeau en exhibant un enfant malade. Elles réclament des billets en frappant la vitre telle une pluie battante.

Le tintamarre insupportable des tôles frappées de gouttes d’eau oblige à crier…

Encore et encore des petites maisons imprégnées de pluie défilent, s’enfilent au collier de ma mémoire.

Chaque émotion est une perle différente, précieuse, elle enserre mon cœur de richesses.

Je suis riche de ce pays rempli de sa beauté et de ses contrariétés.

Le Marché

Les ruelles sont réanimées par la lumière. La vie semble apparaître spontanément, elle vient peupler lentement la ville d’âmes courbées et ensommeillées. Les chiens errants sont battus et chassés dans l’ombre des journées. La lumière est le royaume des hommes, ils se sentent forts en elle.

Des femmes, des enfants installent des vivres mouchetés sur une natte posée à terre. Elles ont été cueillies, tuées la veille pour vendre.

Puis un magasin de tissus offre un bonheur incomparable aux pupilles devant cet entassement multicolore…

Un cordonnier travaille sa semelle de pneu. Le bruit sec du couteau, une chanson en dialecte et quelques lanières de cuir tombent au sol …Et la peau revient à la terre…

Le boucher commence son œuvre, déchire et tranche la chair de vache, de chèvre, laissant les restes baigner dans son sang au milieu de la rue… Mon cœur se soulève jusqu’à étreindre ma gorge. Des poules accrochées par les pattes se meurent doucement d’épuisement.

Une maman allaite son enfant au mitan de son amour dans l’étalage de savons, d’une simplicité et d’un naturel émouvant.

La terre m’éclabousse les pieds, elle est mélangée de sang, d’eau et de graisse. Mes pas se mêlent, s’enchevêtrent dans l’indomptable foule. Je suis bousculée, accrochée par tant de femmes de bonne volonté.

Tout est foisonnant et odorant, mes narines s’imprègnent de friture de pomme de terre, de poisson, de sang caillé, de sueur…

Tous mes sens sont réceptifs à ce festival de couleurs. Les odeurs soulignent les plis de mon front. Et peu à peu le dégoût s’atténue et laisse l’émerveillement opérer.

Les ruelles glissent sous ma démarche, parcourues de chaleur et d’enfants vendant des petits glaçons colorés…

Tout semble mouvant, une culture passionnante où rien n’est aseptisé, où rien n’est vide, néant, où tout est rempli de sang, de vie

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s