
Tout d’abord, je suis profondément atteint par le massacre organisé, planifié par une bande d’illuminés, de kamikazes non-aveugles mus par la pulsion de mort dont la lâcheté combinée à un lavage de cerveau a conduit à cet odieux carnage. Ma pensée s’adresse à toutes celles et ceux qui ont perdu un ou des membres de leur famille, des amis, des voisins, des amours. Une vie ôtée ici ou ailleurs de par le monde pour imposer arbitrairement et cruellement sa domination est autant de pétales de roses jetées aux orties.
Que penser de cette escalade de violence individuelle ou collective commanditée par des penseurs soi-disant éclairés, exécutée par des groupes fanatisés, élaborés par dirigeants officiels ou auto-proclamés, relayés par des individus isolés ? Violences qui ont comme dénominateur commun, un contenu et un discours rodés qui flattent les plus bas instincts de nos semblables et nous entraînent à perdre toute réflexion positive et censée. A nous infantiliser et nous guider vers l’innommable. Nous persuader que nous sommes des ennemis héréditaires, des barbares assoiffés de sang, des créatures sataniques, des impurs, des renégats, des hommes et femmes à abattre sans distinction ou plutôt si avec un discernement cynique qui se pare des vertus du langage idéologique, guerrier ou patriotique selon que l’on se place d’un bord ou de l’autre. Pensées binaires, visées triviales.
Des noces sanglantes et funestes de l’homme moderne et civilisé aux noces sanglantes et funestes de l’homme traditionnel et civilisé. Dans quel camp vous situez-vous ? C’est la question que l’on nous inflige ou distille et quand la maison s’enflamme par l’entremise de pyromanes aux comportements pathologiques déclarés quelles réponses propose-t-on ? Se penche-t-on véritablement sur les causes ? Agissons-nous par anticipation ou par simple réaction épidermique ? Parce que c’est depuis quelques décennies que l’on nous demande de juger entre le bien et le mal, non pas de choisir ce qui va dans le sens de l’apaisement, de la compréhension, du dialogue, de la réflexion analytique, de notre avenir et de celui si fragile de notre planète mise en décomposition par l’avidité de quelques nantis planétaires. Il faut impérativement camper sur des positions opposées, inébranlables, Pouvons-nous faire l’impasse sur la situation à moins d’être dans le déni total ? Se retrancher derrière l’ignorance ou après moi le déluge ? Jamais autant de canaux de diffusion de l’information n’ont été si abondants. Jamais autant d’exemples récents de l’actualité nous ont montré les pires formes du recul de civilisation, de droits démocratiques, d’auto-détermination des peuples à leur liberté et indépendance, de valeurs humanistes auxquels nous sommes tant attachés. Sommes-nous tous coupables ou atteints précocement de la maladie d’´Alzheimer ? Trop crédules envers nos valeurs républicaines ? Pas assez vigilants ? En manque de repères ou de transcendance ? Paumés ou réfractaires ?
Alors faut-il chercher l’erreur ou la différence ? Entre modèle ancien ou performance contemporaine ? Le père de Camus décédé, comme son fils, prématurément disait : »Un homme ça s’empêche »…de massacrer, de torturer, de tuer aveuglément. La mesure est au centre de toute la vie selon lui. Sartre, de son point de vue ne l’entendait pas de la même oreille se faisant le chantre de l’apologie du meurtre durant les événements de la guerre en Algérie.
L’instinct de mort, d’anéantissement, de destruction, de puissance sont des forces obscures qui nous éloignent de l’homme en marche vers la modernité et son émancipation. Ouvrons les yeux, les oreilles pour détecter dans les boîtes à propagande, les discours haineux, patriotiques, faussement universalistes des va-t-en guerre au son du clairon et du tambour pour combattre les fous de Dieu et leurs commanditaires ou des partisans inconditionnels de la kalachnikov et des ceintures d’explosif. Œil pour œil, dent pour dent. Qui veut la paix prépare la guerre. Les idiots utiles ont un bel avenir et nous promettent des lendemains sans rémission.
Le partage du monde n’est pas à définir de façon simpliste etmanichéenne entre des gentils et des méchants. Combattons les obscurantismes, les fanatismes et tous les ismes qui sont des marqueurs d’idéologie meurtrière. Manipulateurs religieux ou laïques, gourous, prophètes, prédicateurs, nihilistes, concepteurs de bonheurs mercantiles… Ils aliènent nos vies et les valeurs de bien-être commun. Peut-être, par pure vanité et sentiment de supériorité, ils s’imaginent que sans leurs présences et leurs préceptes moralisateurs ou frivoles (selon leurs objectifs) il n’y aurait point de salut pour l’humanité ? Ou alors a-t-on perdu en route le chaînon qui nous manque aujourd’hui et que certains possédaient ? Un New Deal mondial possible ou illusoire ? Un système keynésien envisageable ou hors contexte ? Un peu de compassion perpétuelle ou une grosse émotion sensationnelle fugace ? Mais voilà, ces messieurs veulent nous installer un ordre mondial par la création de poches de chaos et de dérèglements ou rêvent par nostalgie d’un empire au nom d’un Dieu qu’ils sacrifient sur l’autel de la cruauté. Et ils prennent nos fils et nos compagnes, nos frères et nos sœurs en otage pour assouvir leur soif de pouvoir. Impérialisme religieux, impérialisme capitaliste, fausses barbes, crânes rasés… nous pouvons nous lancer dans un débat infini. Au lieu de vouloir refaire le monde, il serait temps de penser à ne pas le défaire, disait Camus.

Naomi Klein, journaliste et écrivain canadienne, décrit dans son livre « La stratégie du choc » le mode préparatoire et opératoire. Créer la terreur, tétaniser la population : un traumatisme collectif par ici, un coup d’État par là, une attaque terroriste, une catastrophe naturelle plongent les individus dans un état d’hébétude, de peur, d’iraison. Il suffit de porter secours aussitôt avec l’aura du sauveur suprême qui défend la veuve et l’orphelin. L’image caricaturale du Superman viril, consolateur, protecteur. Accident ou volonté de semer le chaos pour installer des sociétés sous emprise, des états d’urgence provisoires et qui sait…durables ? Ce qui est pris est pris. Et se poser en victime ou martyr selon la cause en jeu sur le plateau et la scène internationale. Théâtre tragique, opéra baroque. Absurdité permanente qui serait à ranger dans la catégorie grotesque sans tous ces vies arrachées et jetées en pâture au Dieu Néant.

Milton Friedman de l’Ecole de Chicago et prix Nobel d’économie a théorisé cette tactique pour asseoir le concept de guerre de civilisations et qui fut si utile à Mister Busch pour déclencher un conflit contre Saddam Hussein, dirigeant laïque.
Les têtes pensantes de nos terroristes qui vivent en Europe (enfants de notre monde, décérébrés certes, conditionnés, lobotimisés j’en conviens, pas tous idiots malgré tout ) n’ont-ils pas repris à leur compte la stratégie du choc à des fins perfides et cyniques ? Peut-on atteindre son objectif avec des méthodes sanguinaires ? Et pourquoi des civils ? En réponse aux actions répressives et sanglantes des militaires français en Algérie, le FLN avait déclenché des représailles sous forme d’attentats à la bombe dans des lieux publics causant la mort de nombreux civils. Autre temps, autre lieu, me direz-vous ? Reste la méthode immuable qui cristallise, qui déroute, qui provoque la vendetta. Justice expéditive absurde. Alors oui, comme Camus, à cette justice sanguinaire, je préfère ma mère et ne peux cautionner de tels actes commis au nom de la révolution, de la patrie ou d’autres élucubrations philosophico-religieuses.
Les Américains qui ne sont pas en reste en matière d’interventions militaires sur le globe considèrent qu’il faut envisager les morts de civils comme des dégâts collatéraux. Ils désignent cela sous le terme de pragmatisme ( encore un isme ). Et le résultat est édifiant. La peur et la panique achèvent l’œuvre. Toute forme de pensée rationnelle s’évapore. Table rase. Et tout est possible. Du totalitarisme mou ou fou avec des variantes optionnelles aux idéologies nauséabondes pour le BONHEUR du peuple. Des frontières, des murs, des séparations, des guerres sur des guerres, là où il faudrait une dynamique de vie, de plaisir, d’hédonisme, de savoir, de biens publics, de santé, d’éducation, de culture. Peut-être accepte-t-on dans l’indifférence générale que le suicide des jeunes et vieux soit en augmentation ? Le monde du silence, tout aussi destructeur, est peut-être plus supportable que le chaos, le bruit, la fureur des armes ? Pertes et profits.
La vie va reprendre son cours, les chefs vont bomber le torse, les commentateurs vont commenter et la conférence sur le climat va se dérouler dans un climat entre gens de bonne compagnie qui n’en ont rien à foutre. Mais ça, ne le dites pas ! Foutaises et supercheries ne doivent pas devenir nos plats de résistance. Manipulations collectives de masse ou individuelles, vérités truquées, nos gâteries et sucreries.
Alors, plus que jamais, continuons à nous mobiliser, ne pas nous démoraliser, sombrer dans la détresse, exorciser l’état anxiogène qui nous traverse momentanément, chasser les idées noires, éviter les anti-dépresseurs, demeurer réaliste et perceptible à toutes les modifications de notre structure qui nous séparent, chanter, danser, rire, boire un verre avec les amis, regarder l’autre dans toute sa richesse, repousser les vieux démons, écarter les jeunes cons, pratiquer l’auto-dérision, désobéir à des commandements stupides, s’inventer des tranches de vie agréables, demeurer dans le soleil, nous asperger d’humour pour combattre dans nos cœurs et nos esprits les faiseurs de morale, les empêcheurs de tourner en rond, les vindicatifs aigris, les coincés du bulbe et toute la clique des puritains encagoulés, encostardés qui se prennent au sérieux dans les méandres de leurs médiocrités et de leurs certitudes.

Nikos Kazantzakis qui fut excommunié par le clergé orthodoxe pour son livre Zorba puis fut enterré à l’extérieur du cimetière d’ Héraklion a fait inscrire comme épitaphe sur sa tombe la phrase qu’il met dans la bouche de Zorba :
« Je ne crois en rien, je ne redoute rien, je suis libre »