LAURE COUSIN UNE CONFISCATION JEHAN JONAS-Le coup de coeur de Pierre Thevenin

21 Novembre 2015

«Tu m’as aimée avec précaution. Doucement, sans rien dire, tu caressais mes blessures jusqu’à en effacer la culpabilité non identifiée. Tous ces petits défauts que je vivais comme une grande défaillance, tu les rebaptisais traits de caractère amusants et cocasses. Exhalant ton souffle de protection nocturne, tu enveloppais la violence du combat de ma tête contre l’oreiller pendant mes nuits assiégées ; accrochée à la bouée du sommeil agité de mes angoisses, tu en déroulais l’ancre… ».

Si vous vous intéressez de près à la chanson, le nom de Jehan Jonas vous est sans doute familier. Sinon, je vous invite à découvrir et à savourer ce magnifique auteur-compositeur-interprète des années 60-70 injustement oublié (d’où le titre de l’ouvrage). Si vaste est le sujet que j’ai prévu de lui consacrer deux coups de cœur. Je laisse les chansons pour décembre. Aujourd’hui, j’aimerais vous faire partager le plaisir et l’émotion que j’ai éprouvés à la lecture de cette biographie pas comme les autres où l’on s’adresse tantôt au lecteur, tantôt à l’artiste disparu. Ainsi que l’indique le bel hommage mis en exergue ci-dessus, Laure Cousin fut la compagne de Jehan Jonas, et ce durant plus de 15 ans ( entre 1965 et 1980, date de la disparition prématurée du chanteur ). Elle était donc tout à fait qualifiée pour nous raconter son Jehan. D’autant qu’elle écrit dans un style remarquable.

Des extraits d’une confession, d’une sorte d’autobiographie à la troisième personne, « Voyage au fond d’une âme » courent tout au long de l’ouvrage. Un grand nombre de couplets, de textes en prose , de monologues, de dialogues (car Jehan était « multicartes ») en parsèment également les pages. Sans s’effacer (elle n’avait pas à le faire) l’auteure se met peu en avant, sauf dans l’un des derniers chapitres sobrement intitulé « Nous ».

Né Gérard Béziat, le 12 août 1944 et décédé le 29 avril 1980, le chanteur est devenu Jehan ( prénom de troubadour s’il en fut ) Jonas ( l’homme « de la baleine »). Dans le livre, la chronologie est respectée mais les chapitres ont également un contenu thématique : chapitre VIII : « Éros au pilori » ( nous y reviendrons) , chapitre IX : «La censure », chapitre XIII :« L’homme au quotidien ».

Tantôt tendre, tantôt écorché vif, Jehan rappelle beaucoup un autre très grand de la chanson décédé récemment et qui, lui non plus, n’a pas vraiment réussi à percer auprès de ce que l’on appelle le grand public : Allain Leprest. Pas plus que celui-ci, Jehan n’a eu de formation scolaire poussée. Tous deux ont été d’abord ouvriers. Comme quoi là où l’écriture s’apprend le mieux, c’est sur le tas. A condition d’avoir des choses à dire et du talent pour les dire.

Selon la dame chanson de Télérama, Valérie Lehoux (que j’évoque souvent parce que ses articles sont tellement représentatifs de la mode actuelle, de la chanson qu’on nous sert sur les ondes), si Leprest n’a pas été reconnu à sa juste valeur, il en est entièrement responsable. Elle veut dire qu’il n’est jamais entré dans le jeu médiatique. Ce fut la même chose pour Jehan Jonas. La compromission n’était pas non plus le genre de la maison.

Dans le premier texte en prose cité par Laure Cousin, il explique ce qu’est pour lui un « artiste » : « L’émotion … Mot clef de l’artiste. Qu’elle vienne du cœur, de l’esprit ou du sexe (N’en déplaise aux gens qui pensent qu’on ne doit pas toucher à « ces choses-là » parce que » c’est sale ! Ces gens qui font des enfants on se demande comment et surtout pourquoi). Qui sait, l’opération du Saint-Esprit, est bien censée avoir marché au moins une fois ! « Ne jamais avoir tort, ne jamais avoir raison. Ne jamais dire « Il faut… Il ne faut pas… On doit… On devrait… Interdit… Obligatoire… » Derrière ces mots sont tapies des cohortes de flics, de curés, de magistrats, de papes, de soldats… ». Il aurait pu ajouter d’hommes politiques, de syndicalistes et d’autres encore.

Il a eu ses heures de gloire dans les sixties. Ne s’est-il pas produit, notamment, en première partie de Léo Ferré ? Malheureusement, ça n’a pas duré. Comme il refusait de faire des mamours aux médias, ceux-ci l’ont assez vite ignoré. Il a même enregistré une séquence pour « Bienvenue », de Guy Béart qui a été coupée au montage. Comme trace, il lui est en resté un bulletin de salaire !

Il y a eu la vague Yéyé (qui n’existe plus que dans la nostalgie de certains sexagénaires et à travers une tournée doublement vintage), puis sont arrivés, la pop, le rock. Mais laissons la parole à l’auteure :

« Cette musique n’a rien à voir avec la chanson à texte de notre continent mais entretient, à volonté, son côté facilement attirant, dansant et à usage répétitif. Peu importe que l’on comprenne peu ou pas les paroles. Elle est un phénomène de bonne intention officialisée par un son, un rythme, un look »… « Pour certains, il y a électrochoc ; le verbe se noie dans ce melting-pot de tous les courants populaires essentiellement américains, du moins anglo-saxons. On est à l’heure du pressage, de l’imitation et le gouffre se creuse entre deux approches, deux transmissions, deux motivations de la chanson. L’une vient de la rue, l’autre du studio et de la technologie. L’une de la parole, du verbe, l’autre du rythme. L’une du contenu, l’autre du contenant ».

Difficile, si l’on est amateur d’authenticité, de ne pas souscrire à une analyse aussi clairement et finement exprimée. Ceci dit, Jehan a eu quelquefois des comportements quelque peu étranges pour un libertaire : en particulier lorsqu’ il a devancé l’appel, c’est à dire qu’il a demandé à être incorporé avant l’âge. Dans l’armée de l’air (heureusement, c’était après la guerre d’Algérie, à Taverny, et il pouvait disposer de ses nuits pour chanter dans la rue). Laure Cousin en a une explication psychanalytique : il s’agissait pour lui de se déconstruire avant de pouvoir mieux se reconstruire.

Abandonné très tôt par sa mère qui lui manifestait la plus grande indifférence, il a souffert toute sa vie de ce terrible manque. Dans une lettre à Laure, datée du 8 août 73 et envoyée de Lesconil, en Bretagne, il écrit :

« Bon anniversaire. Ma femme. Je suis aujourd’hui à Lesconil. Sais-tu ce que signifie pour moi cette ville ? Elle signifie deux mois de vacances avec ma mère … Et je m’aperçois que de cette ville – Lesconil – il ne me reste, comme souvenir, que celui d’un doigt écrasé sous un rocher ».

C’est sans doute pour cela qu’il a été très joueur (entre autres de flipper) et si facétieux, pour tenter de rattraper l’enfance qu’il n’a pas eue : «Homme de plaisir, gourmet de la vie, tu fus à la fois un enfant, un adolescent, un adulte espiègle, caustique, taquin, coquin, cocasse ».

Il a refusé le plus longtemps possible que Laure travaille car c’eût été une manière, à ses yeux, de s’éloigner de lui.

Il fallait pourtant remplir la soupière et, en 70, elle s’en va à Saint-Tropez où l’on demande une vendeuse dans une galerie commerçante. La place étant prise, elle va être engagée comme gérante estivale d’une librairie érotique, la toute première en France. Une ouverture inattendue sur un univers « sale ». Nous y revoilà ! Du coup, ils vont se mettre tous deux à lire des ouvrages dits « obscènes » par ceux et celles qui les dévorent en cachette ou s’en abstiennent parce que Dieu voit tout et qu’ils ne veulent pas risquer de finir chez le voisin d’en dessous. A l’époque, la Boutin de la République « en » avait (mais elles ne devaient pas lui servir beaucoup) et s’appelait Jean Royer, maire de Tours.

Laure et Jehan se sont rendu compte que, dans ce genre aussi, il existait une littérature de bas étage et une autre de haute volée. Peut-on comparer Gérard De Villiers et Apollinaire ? Et condamner le sado-masochisme lorsqu’on est bien pensant, c’est un peu gros quand on sait que le plus connu des masos de l’histoire fut le crucifié lui-même et que les saints se sont livrés à toutes sortes de mortifications (flagellations, cilice, jeûnes).

Bref, cette découverte fortuite donne à Jehan l’idée d’écrire, lui aussi, des ouvrages sulfureux sous un autre pseudonyme : Henri de Canterneuil.  A de nombreux égards, les écrits de Jehan Jonas sont plus que jamais d’actualité :

« Est-ce que vous avez remarqué que les immigrés, ça va toujours du Sud vers le Nord. Dans l’autre sens jamais… Si ça vient du Nord, touriste !… c’est comme les Indiens en Amérique. Eux, ils ont réussi le tour de force de devenir immigrés sans avoir à bouger de chez eux. Ce sont les autres qui sont allés en Amérique pour faire d’eux des immigrés ! »

Et les candidats aux élections qui sont soit des imbéciles corrompus, soit des salauds capables ! Mieux vaut choisir les deuxièmes parce qu’eux, au moins, tiendront leurs promesses.

Les derniers chapitres s’intitulent « Ta maladie », « La reddition », « Le silence », « La fin du voyage ». Depuis l’enfance, Jehan souffrait de bronchite chronique, peut-être la somatisation de son sentiment d’abandon maternel. Évitant de se shooter et de boire plus que de raison, il n’en a pas moins fumé la pipe (il les collectionnait). Et le mal l’a emporté à la fleur de l’âge : à peine 36 ans. Ça s’est passé à La Salpêtrière où Laure n’a pas pu lui fermer les paupières :

« Alors que je voulais suivre mon compagnon jusqu’à son lit dans le service de réanimation, cette femme (une infirmière) refusa et dit : « Il n’a pas besoin de vous ». Je ne la croyais pas mais obéis. Je ne l’ai jamais revu vivant ». 

Je ne voudrais pas terminer sur ce moment d’inhumanité de la part d’une « professionnelle de santé » (Dieu merci, elle fut la seule à se comporter de la sorte). Je connaissais l’absence d’armée au Costa Rica, en Islande et dans quelques « confettis », tels Panama ou le Liechtenstein, ces deux derniers, paradis fiscaux notoires, « se bornant » à contribuer au financement des conflits. J’ignorais en revanche, l’existence d’un peuple de Malaisie, les Sénoïs, qui ne connut jamais la moindre guerre, et ceci en se servant de leurs rêves : Si un Sénoï avait rêvé avoir nui à quelqu’un, il devait offrir un cadeau à la personne lésée. Ce peuple caché au fond des bois a, hélas, disparu dans les années 1970, victime de la déforestation. Il n’empêche que son exemple donne à méditer.

Le livre de Laure Cousin est édité par l’association « Jehan Jonas Second Souffle » dont elle est présidente. En voici les coordonnées :

Association Jehan Jonas Second Souffle

Chez Madame Laure Cousin

4, rue des Lauriers

Appartement B 45

31650 SAINT-ORENS

jehanjonas2dsouffle@yahoo.fr

Et rendez-vous le 19 décembre pour la suite.

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