
Nous voilà plongés au XIXème siècle en Roumanie. ça nous rajeunit pas ! Loin des vertes vallées où paissent nos paisibles troupeaux sous l’œil vigilant des gamins de ferme et du fidèle compagnon canin, Radu Jude nous entraîne dans une aventure picaresque.
Là-bas, aux confins de l’Est européen, en 1834, le seigneur est tout-puissant et règne en maître absolu selon des codes féodaux que personne ne doit transgresser.
Pour mieux situer la trame et le scénario de ce film, il est essentiel de résumer brièvement l’époque dans laquelle se déroule l’action.
Nous sommes en Valachie, province de l’actuelle Roumanie au début du XIXème siècle. Paysannerie et servage, croyances et superstitions, analphabétisme et domination sont les principaux critères de vie.
Costandin le flic (shérif) et son fils doivent impérativement retrouver un tsigane soupçonné de relations coupables avec l’épouse du Seigneur local. Cette enquête, dans une campagne orthodoxe inculte va nous conduire de village en village jusqu’à la capture, le retour puis le châtiment terrible envers ce tsigane. Ces deux personnages, et plus particulièrement le père, nous fait parfois sourire par ses digressions et proverbes ridicules. Son mépris affiché et viscéral des femmes, vieillards, enfants, paysans, turcs, juifs, russes et surtout des gitans qui représentent en bas de l’échelle sociale, une « race » inférieure corvéable à merci.
Ainsi, au cours de ce voyage, le père se doit de faire la morale à son fils et lui inculquer le sens de la vie selon ses codes, règles, préjugés et considérations racistes ou xénophobes.
Parfois drôle, absurde, violent ou dérangeant, le film nous offre à voir deux compères tels Don Quichotte et Sancho Pança qui vont réussir à traquer et mettre la main sur leur « proie » puis s’apercevoir au retour qu’il est innocent de tous les crimes dont on l’accuse.
Certaines scènes, certains plans sont des tableaux, des iconographies profanes à l’intérieur desquels s’articulent et gesticulent des êtres sauvages insconscients du mal qu’ils procurent tant ils sont certains de leurs bons droits, des préceptes religieux et nationalistes. Le sentiment de culpabilité fugace vis-à-vis du présumé coupable aura lieu mais s’estompera très vite face à la mission qui leur est confiée et à l’obéissance inconditionnelle du commandement supérieur.

Au-delà du jeu d’acteurs, des décors naturels, des costumes, des beuveries, du rythme, de l’enquête, des modes de déplacement, Radu Jude, grand admirateur de John Ford er Howard Hawks en utilisant le noir et blanc pour mettre de la distance entre cette époque et la nôtre parvient à construire un film aux couleurs du western. Campagnes arides ou verdoyantes, forêts, marécages, plaines et montagnes se succèdent sans pouvoir définir le temps avec précision.
A nous, spectateurs, de faire le lien entre ces deux mondes, l’actuel et l’ancien, ces deux espace-temps pour réaliser que le fanatisme, l’aveuglement, les stéréotypes, la xénophobie, les propos et les actes racistes demeurent toujours virulents comme pour exorciser notre incapacité à vouloir combattre les vieux démons de notre inhumanité, de nos insavoirs et nos peurs supposées ou entretenues à la fois par une morale bigote et les privilèges aux mains de castes dominantes.
Ce film a obtenu l’ours d’argent à la Berlinade (festival de Berlin). Une récompense bien méritée pour un cinéaste roumain nouvelle génération.
Constantin Mourakopoulos