
En 2013, je suis tombé sur ce roman dans une librairie où j’ai coutume de flâner dans les rayons. Rares sont les romans d’auteurs grecs récents à notre disposition immédiate. Ce n’était pas le cas pour celui-ci. Je n’avais jamais rien lu de cet auteur mais le titre accrocheur m’a renvoyé à ce mouvement des irresponsables » Les annonciateurs du chaos » dont Makris Yorgos, surréaliste poète et théoricien du sabotage prônait en 1944 le plasticage des monuments anciens qui nous asphyxient » littéralement « .
Incroyable, inimaginable, impensable, utopique ! Vouloir faire sauter le Parthénon ( la salle des vierges ) dans un boum boum explosif, un grand fracas, un séisme culturel planétaire et rompre avec les racines, la nostalgie, le passé romantique qui nous oppresse. Il n’y a que la littérature, la poésie, l’imagination la plus débridée qui nous permettent cette liberté.
Soixante ans plus tard, un jeune homme Ch.K passe à l’acte. Explosion, dispersion du monument en une multitude d’éclats, nuage de poussières de marbre, Il est 20h13 ce vendredi 17 Avril à Athènes. La Société des saboteurs esthétiques d’antiquités vient de frapper.

C. Chryssopoulos écrit une fable métaphorique sur la Grèce contemporaine alourdie du poids de son passé et en lutte avec un présent qui se disloque.
» Je cherchais seulement à nous libérer de ce que d’aucuns considèrent comme la perfection indépassable. Je me voyais comme quelqu’un qui offre un cadeau, qui propose une issue, qui relève un défi «
L’auteur de cette fiction entremêle le récit du gardien du monument, les témoignages des habitants recueillis par la Police, des pièces à conviction en référence au mouvement surréaliste.
Né à Athènes de père grec ( Constantinople ) et de mère d’Odessa, Christos Chryssopoulos avec ce 12ème roman traduit en plusieurs langues et paru chez Actes Sud a soulevé lors de sa sortie un débat dans le milieu de la littérature et au-delà. Réflexions sur l’art et sa conservation, l’art dans la ville, l’histoire, le sacré iconographique.
Cette fable n’est pas nihiliste au sens premier. Elle évite le piège de toute dérive. Certains chapitres nous renvoient au cercle des irresponsables et fournit le lien nécessaire pour comprendre la gestuelle provocatrice de l’acte. Ni criminalité, ni folie. Au plus près d’une société grecque ballotée par les remous politiques et un pays schizophrénique, le héros romantique « révolutionnaire » en apparence détruit le symbole d’un héritage mondial, d’un rêve inaccessible pour délivrer les grecs partagés entre un passé glorieux et lointain, submergés par un présent décomposé et incertain. Roman bref, incisif, tranchant. Le soldat de l’exécution frappe et détruit l’image sacralisée d’un temple conçu par les architectes Ictinos, Callicratès et Phidias pour abriter la déesse Athéna- qui a survécu au fil des siècles du haut de son socle rocheux. Cet acte provoque parmi la population : consternation, colère, crainte, indifférence, fanatisme.

Aussi loin qu’il me semble, la littérature moderne où l’idée de destruction est présente dans de nombreux romans, aucun n’avait jamais déclaré la guerre de façon radicale à un monument universel de cette notoriété et envergure.
La volonté caractérisée d’effacer par ce geste profanateur et cataclysmique l’idée de perfection totale, de beauté absolue est jouissif. Contrairement à Erostrate, le héros ne recherche pas la célébrité. D’ailleurs son acte isolé et sa préparation demeurent secrets. Aucun aveu vient confirmer ou infirmer un prétendu geste insensé.
Pour le cercle des « annonciateurs du chaos » il devenait plus que nécessaire de l’envisager pour mettre un terme à un probable tourisme de masse misérable dont ils pressentaient l’avènement.
Prophétique, non ?
» La profanation du sacré est la tâche politique de la génération qui vient «
Autres ouvrages du même auteur : Le monde clos paru en 2007 et le Manucure en 2005 toujours chez Actes Sud
Le cercle du Mouvement des irresponsables comprenait également Léna Tsouchlou, Natalia Méla, Takis Vassilakis et Minos Argyrakis.