
Entre le premier film, La Dame de Shangaï, sorti en 1948, et le second, La soif du mal, dix ans se sont écoulés et en noir et blanc pour des choix esthétiques liés aux deux récits.
Quiconque a eu l’occasion, ou la saisira, de voir ses deux films ne pourra s’empêcher de s’exclamer : » Il a sacrément grossi O.Welles « . Et pour cause puisqu’il joue dans les deux films des rôles de composition avec malgré tout le bénéfice de l’âge dans le premier.
De ces deux films, se dégage un mystère, un trouble indescriptible, marque de fabrique du réalisateur.

Ainsi, dans La Dame de Shangaï, il joue aux côtés de la célèbre Rita Hayworth ( de son vrai nom Margarita Carmen Cansino. De père espagnol et mère irlandaise )
Séduit par sa beauté, il accepte de s’embarquer sur le yacht de son mari avocat réputé pour une longue croisière maritime tumultueuse. Soupçonné à tort d’un meurtre, il va réussir à découvrir l’auteur de celui-ci avec, comme point d’orgue, une fameuse séquence poursuite à l’intérieur d’une galerie des glaces. Le film se termine dans le quartier chinois de San Francisco, d’où son titre.
Histoire de crime sur fond d’amour-passion ! Et le monstre guidé par la cupidité n’est pas celui que l’on imagine. Adapté du roman de Sherwood King ( Je mourais avant le réveil ) O.Welles se lance dans une opération aventureuse pour prouver à la Columbia sa capacité à construire un film à succès en embauchant la sublime Rita Hayworth, son épouse, dans la vraie vie comme on dit. Considéré comme un film mineur (série B) et ulcéré au plus haut point les studios vont le remanier, effectuer de nombreux cuts, car l’image et la photogénie de leur star est dégradante selon leurs codes.
Frileuse au possible, la Major, attendra la sortie de Gilda* réalisé par Charles Vidor qui couronnera Rita Hayworth au Panthéon des stars pour lancer la distribution. Reste que le film baigne dans une atmosphère étrange, mélange de séduction, rapport amoureux et manipulation. Le récit du commentaire doublé par la voix d’O. Welles force le trouble. Le scénario est simple mais chaque scène se terminait originellement par un gag. L’action est permanente. À noter deux excellents seconds rôles entre le mari infirme au caractère puissant et Glenn Anders chargé de compromettre le naïf Michaël O’Hara.
* Dans ses mémoires, Rita Hayworth se confiera au sujet de Gilda : » Les hommes s’endorment avec Gilda et se réveillent avec moi »

La soif du mal ( Touch of evil ) produit par Universal en 1958 avec un certain Charlton Heston qui au passage tournera en 1959 sous la direction de William Wyler un film à grand spectacle nécessitant 400000 figurants ( non ! non, j’ai bien recompté un à un tous les participants ) et quatre mois de tournage pour la séquence de course de chars. Malgré son énorme succès commercial, son budget astronomique, ses oscars décernés à la louche ce film est loin d’être un must. Enfin, il propulsa C. Heston au rang de super héros international et combla d’émoi les femmes de la quarantaine.
Mais revenons à la Soif du mal dans lequel figuraient aussi : Janet Leigh, Orson Welles et…Marlène Dietrich. Adapté du roman de Whit Masterson ( Badge of evil ).
Sur la frontière américano-mexicaine, deux flics s’affrontent. Deux conceptions du métier, deux origines, deux histoires, deux générations et expériences, deux situations dont le but unique et ultime : devenir maître de la situation.
Si O.Welles n’est plus celui que le système a voulu détruire, son œuvre demeure. On s’ y perd, on s’y retrouve ! Chercher, chercher encore la raison du secret, du pourquoi de tant de mystères. Secret des puissants, des renégats, des jaloux, de famille, des frustrés, des bouffons, de l’Etat ou de celui ni riche, ni pauvre mais qui a le pouvoir de distinguer le bien du mal : le flic.
Tiré d’un roman sans grande envergure, O.Welles traque l’indicible. Il évite le piège de l’histoire banale ou simpliste. Les procédés employés pour perdre son adversaire se retournent contre l’auteur. En somme, la fin ne justifie aucunement les moyens.
Il nous fait prendre conscience à travers ses personnages magnifiques et flamboyants, ses plans, que ce que l’on décide d’être est au centre de notre chemin. En ce sens, le flic véreux, roublard, cynique peut atteindre au sublime même s’il nous répugne par endroits. A l’inverse, le flic nimbé de son auréole de probité doit lui aussi prouver sa force et son audace, non derrière un idée abstraite mais en poursuivant sa marche vers la vérité. Traque réciproque entre deux blocs opposés en apparence mais dont la conscience est d’abord individuelle. Et ce film avec sa débauche de grands angles nous en donne une preuve irréfutable.
Vouloir filmer de très près les visages anxieux, déformés par les peurs, les désirs, les combats, c’est comprendre la souffrance et la tragédie.

A noter qu’Orson Welles reçut la palme d’or en 1949 pour son film « Le troisième homme » tiré d’un roman de Graham Greene. Ni la critique européenne, ni la critique américaine ne firent bon accueil à ce film.
En 1983, la Palme d’Or à Cannes est attribuée au film de Claude Lelouch » Un homme et une femme » . Le public se lève, hurle son désaccord et siffle le jury pendant dix minutes. Dans l’apaisement qui suit cette protestation, le prix spécial du Jury lui sera décerné. Ovation du public pendant un quart d’heure.
Orson Welles avait défrayé la chronique avec un canular radiophonique en 1938 sur CBS. Il annonçait dans son introduction, en s’appuyant sur le roman La guerre des Mondes de son homonyme H.G.Wells, l’attaque imminente de la terre par les martiens. Il en résulta une grande panique parmi les auditeurs qui avaient pris l’émission en cours.
Sa vie durant, il l’aura partagé entre l’Amérique, l’Espagne et la France. Ne travaillant ni pour la postérité, ni pour le lucre qu’il considérait comme vulgaire, son œuvre majeure qui réconcilie le muet et le parlant est incontestablement Citizen Kane.
Poursuivi par l’idéologie maccarthyste pour déviance communiste – accusation mensongère pour un homme épris d’égalité qui a toujours condamné le stalinisme et les intellectuels affidés – lui qui fit campagne contre le fascisme, rédigea des discours pour Franklin Roosevelt, se réfugiera en France. N’ayant pu obtenir les crédits nécessaires à l’élaboration d’un film en 1983, il déclara plus tard à propos de Jack Lang : »L’année dernière, il recevait dans son bureau en manches de chemise. Maintenant, il se fait habiller chez Cardin, il a acheté un appartement Place des Vosges 1,5 million : c’est ça un ministre socialiste ! »
Parmi ses autres œuvres, on peut citer : Macbeth, Falstaff, Le Procès, La Splendeur des Amberson…