Fenêtres sur cour : Riz amer ( Riso amaro ) de Giuseppe De Santis

4 Avril 2015

Avec Riz amer,  Giuseppe De Santis (1917-1997) réalise ici son troisième film après « Chasse tragique » et « Pâques sanglantes ». Scénariste  d’Ossessione (Les amants diaboliques ) le tout premier film de Luchino Visconti adapté du roman de James Cain  » Le facteur sonne toujours deux fois « .

Excellent critique polémiste et anti-fasciste, De Santis aborde, tout comme Rossellini etVittorio De Sica, un genre nouveau qui va se développer rapidement au sortir de la seconde guerre  mondiale.

Ce mouvement cinématographique va s’installer durablement entre 1943 et 1955… courant qui prendra sa source en amont  y compris parmi les réalisateurs français Renoir, Carné, Duvivier ou russes comme Vertov. 

Tout à la fois mélange savant de scénario, de réalité sociale, de documents, le néo-réalisme italien va produire des œuvres qui vont marquer cette période que l’on désignera d’avant-garde en référence aux films produits durant la période mussolinienne.

Dans  » Pâques sanglantes « , ce sont des appels ardents à la réforme sociale. Ailleurs la dénonciation du fascisme, du chômage, de la pauvreté, du sous-développement rural, de la condition des femmes ou de l’exaltation résistante. 

Le regard que porte l’individu vers le groupe/collectivité et son inexistence sociale rompt définitivement avec le cinéma classique. Y compris avec le cinéma américain de la même époque. Ici, ce qui prime c’est la situation. Analyse lucide et douloureuse. Critique ouverte de l’autorité cynique voire cruelle.

La situation économique italienne est désastreuse (conséquence du fascisme, des privations, de l’autorité de tutelle sur la création cinématographique dirigée par le fils du Duce). Les bombardements alliés vont saccager le pays. Dans ce contexte, les budgets consacrés au cinéma et à la culture en général vont se réduire comme une peau de chagrin. Pour pallier ce manque de ressources et cependant permettre l’apparition d’une nouvelle génération d’auteurs et réalisateurs, les tournages ont lieu en extérieur. Économie des décors, des reconstitutions, de locations de plateaux, utilisation de la lumière naturelle, bruits et sons en prise direct, ancrage dans le réel. 

Les acteurs et actrices retenus sont souvent amateurs ou jeunes débutants auxquels se joignent de nombreux figurants comme c’est le cas dans ce film.

Recours à l’improvisation, dialogues simples, images grises, plans moyens et refus d’effets visuels servent un cinéma concret dégagé de tout esthétisme.

De Santis définissait le néo-réalisme ainsi : » Nous combattons pour un réveil de conscience qui se dirige vers le réalisme. Nous avons appris à scruter les horizons illimités d’une imagination qui s’oppose à jamais à la misérable condition de l’homme, à sa solitude, à ses difficultés d’évasion et qui trouve, même dans l’évasion, la grandiose puissance des échanges humains réciproques. Nos sympathies sont allées depuis toujours vers un cinéma qui dégagerait l’essence intime de la réalité à travers un enseignement historique. Le niveau d’une civilisation ne peut se séparer de la terre qui l’a vue naître  »  Il en devint un des maîtres après avoir été un jeune théoricien. 

Meilleur cinéaste néo-réaliste de la seconde génération après s’être imposé internationalement avec Riz Amer, il connut une dure période puis un lent déclin pour avoir voulu s’attaquer aux interdits et tout tenter pour y parvenir.

 Le film :

A la suite d’un vol de collier dans une chambre d’hôtel, la femme de chambre Francesca ( Doris Dowling ) s’enfuit avec son amant Walter. 

Pourchassé par les policiers,Walter ( Vittorio Gassman ) se sauve pour échapper à ses poursuivants. Francesca grimpe dans un convoi de mondines – repiqueuses de riz -. Elle fait la connaissance de Sylvana au cours du voyage qui les emmène dans la plaine du Pô pourvoyeuse de main-d’œuvre féminine. Les conditions sont dures. Le labeur pénible. Et pour combattre les revendications des mondines, le patronat fait appel à des femmes plus pauvres au salaire misérable ou prêtes à se vendre pour un tarif journalier plus maigre. Source de conflits. Ce théâtre de l’exploitation féminine inspirera la chanson :  » Bella Ciao » 

«   Una mâtina, mi son alzato

O bella ciao, belle ciao, belle ciao ciao ciao … »

Sur place, Francesca est embauchée. Walter la rejoint. Ils font la connaissance de Sylvana, rôle interprété par Sylvana Mangano. Provocante en short court et corsage moulant rehaussés de son air effronté et émancipateur, De Santis l’impose comme sex-symbol en réponse à l’américaine Rita Hayworth.  

-Scènes du début puis au cours du film où Sylvana se déhanche sur des musiques swinguantes –

Walter se lie d’amitié avec cette pulpeuse créature et devient son amant. Ensemble, ils échafaudent un plan pour récupérer le collier et s’offrir une vie de rêve. Un autre soupirant va s’interposer dont le rôle fut confié à Ralf Vallone.  Sylvana devra choisir entre ces deux hommes de condition sociale différente. 

Malheureusement, les événements vont s’accélérer et se dégrader. Les  illusions des deux nouveaux tourtereaux épris de gloire, d’ambition et de gain vont se transformer en tragédie. 

Film en noir et blanc d’une durée de 107mn où la photo sublime la mise en scène.

Mélodrame social et politique. Son traitement s’apparente à un documentaire.

Mélange subtil du jeu des acteurs, du son, des angles et prises de vues. Realisé en compagnie de 200 travailleuses saisonnières, le film s’engage et engage le spectateur dans un rapport non distancié face au récit. 

Lors de sa sortie en France en 1961, il fut le premier film diffusé avec le carré blanc, c’est à dire un film déconseillé aux mineurs pour son caractère immoral et choquant. Les speakerines de l’époque le signalaient avant la diffusion. Puis le carré fut remplacé par un rectangle blanc.