Une journée particulière

En bonne ménagère, elle venait de terminer son travail du matin : ramasser, ranger, nettoyer, toutes ces choses laissées pêle-mêle dans l’appartement, après le départ intempestif de son mari et de ses enfants. Elle se retrouva seule, un court instant désemparée et prit le temps de s’asseoir et de boire un peu de café.
Tous s’en étaient allés, habillés de l’écharpe et de la tenue de miliciens, rejoindre la grande cérémonie, la grande parade qui attirait tous les habitants du quartier et de la ville entière.
Aujourd’hui c’était « le grand jour » où les deux dictateurs allaient se rencontrer.
Des haut-parleurs diffusaient en continu discours et musiques militaires. Tous ces sons lui parvenaient mais une certaine lassitude se lisait sur son visage malgré la sympathie qu’elle partageait avec les siens, pour cet événement.
Etre mère de famille nombreuse et bonne épouse, telle était la doctrine à laquelle elle avait adhéré, telle était sa place sociale. Pour cette raison-là, son devoir de rester à la maison, semblait l’emporter sur un vague sentiment d’exclusion qu’elle ressentait.
Au loin on entendait la rumeur fébrile d’une foule en liesse. Les fenêtres étaient restées grandes ouvertes et l’atmosphère extérieure emplissait l’habitation. Elle s’approcha de son balcon et vit que tous les autres appartements étaient désertés.
Son horizon était fait de béton, de grands immeubles disposés autour d’une cour rectangulaire, un habitat moderne, sorte d’HLM construit dans ces années-là, pour loger avec plus de confort et d’espace les familles nombreuses souvent venues de province pour travailler à la ville. Ces bâtiments construits à grande échelle correspondaient à une politique de modernisation du pays, mais aussi dans le but de rallier les masses à une cause totalitaire.
Cet environnement bétonné donnait à ce lieu une impression d’enfermement.
Elle ne se doutait pas que la rencontre qu’elle allait faire ce jour-là, allait tout faire basculer en elle : ses idées, ses sentiments et qu’elle allait vivre une émotion intense jusque là jamais vécue.
C’était en mai 1938, en Italie et ce jour-là allait être pour elle une journée particulière.
Aurore BESSY